Alban, 938 habitants aux dernières nouvelles et surtout, au dernier recensement. Le club de l’Est tarnais, proche de la frontière ouest aveyronnaise, aime à le rappeler, juste par souci de comparaison avec tous les autres qualifiés en 16èmes de finale du championnat de France de Fédérale 3. Un véritable exploit parti de loin pour aller encore plus loin… (par Jonah Lomu)
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». Que Mark Twain nous pardonne l’emprunt de sa célèbre citation centenaire, mais il y a quand même un peu de ce sentiment d’exploit permanent au cœur du Canton d’Alban. Et du coeur, ils en ont aussi à revendre ces diables rouges. Ils le prouvent depuis tant d’années. Déjà en 2018, alors éliminés en quart de finale par les Lions Verts, nous évoquions des valeurs communes avec Saint-Girons (voir article). En février 2020, nous parlions d’un « Canton d’Alban, puissance 1000 », en rapport avec une saison parfaite, avant l’arrivée de ce satané covid empêchant d’aller décrocher un bouclier qui lui tendait les bras, fort d’une invincibilité absolue. Qu’importe, les Tarnais ont garni leur club house du bouclier occitan à la rentrée suivante (voir article). De quoi aborder avec confiance une première saison en fédérale 3, partie dans l’inconnue et stoppée net par le maudit virus. La première véritable saison au premier échelon fédéral a donc commencé en septembre dernier, avec une entrée en matière pour le moins laborieuse : 6 défaites, dont trois consécutives en ouverture de championnat, pour deux succès entre septembre et décembre. Mais derrière cette froide lecture statistique, se cache un contenu, et des revers bonifiés qui auraient pu tout aussi bien se transformer en victoires émérites. Alors peut-être que la victoire à Sor Agout dans le derby tarnais (9-17), en janvier, a servi de déclic. Car hormis une défaite contre l’ogre Pézenas, les Albanais vont enchaîner 6 victoires de rang pour arracher une superbe 4ème place synonyme de qualification. Une satisfaction énorme déjà. Surtout quand on voit que les trois premiers de cette poule 8 (Palavas, Servian-Boujan, et Pézenas) sont qualifiés pour les 16èmes de finale ! Comme on dit dans ces cas-là, ce qui vient ne sera que du bonus. Imaginez donc bien que la victoire contre Bellegarde-Coupy en barrages devenait un « bonus bonifié », ouvrant la porte en grand des 32èmes de finale du championnat de France.
L’adversaire, Blois… du petit lait à distance, imaginant sans doute que ce tirage au sort lui sera favorable. Mais le village des irréductibles albanais est une forteresse compliquée à prendre. Elle repousse l’assaillant blésois avec 37 points dans la soute et un écart confortable de +24 à gérer pour le retour. L’idée d’une qualification improbable en 16èmes de finale germe dans les têtes. La semaine est studieuse, le départ en bus calé au samedi matin, histoire de digérer au mieux les 9 heures de trajet pour rallier le chef lieu du Loir-et-Cher. Le dimanche à 15h, 1 300 supporters, plus le préfet, le président du conseil départemental et le maire de la ville sont présents pour assister à la remontada tant espérée. En menant rapidement 10-0, puis 17-0, suivi d’un carton rouge contre Alban (sur un fait de jeu), il ne restait plus qu’à inscrire un essai transformé pour que le rêve devienne réalité. Mais une fois de plus, les Tarnais vont se rebeller. D’abord en passant deux pénalités, puis en inscrivant un essai à la 75ème minute, synonyme, malgré la défaite 17-11, de qualification certaine. Encore un exploit donc, ou plutôt une nouvelle grosse performance, car les exploits ne le sont plus quand ils se répètent si souvent chez les Rouge et Blanc.
« 19 joueurs sur 22 en sont issus dans l’équipe alignée contre Blois. Voilà notre autre fierté. »
Bernard Mauriès, co-président emblématique, nous livrait son analyse à chaud :« Mon premier sentiment, c’est de la fierté, puis beaucoup de bonheur bien sûr. On s’attendait à une réaction de Blois, et on l’a eu, mais on a rien lâché, comme d’habitude. On bat le 4ème national en livrant une performance aboutie. On avait parlé de respect et d’humilité, les joueurs l’ont mis en pratique une fois de plus. Tout comme les dirigeants de Blois, que je tiens à saluer ici, pour leur accueil et leur état d’esprit remarquable. »
La voix est posée, le ton mesuré, mais l’émotion à peine feinte. L’euphorie d’une qualification à peine évaporée, la question de l’avenir se pose évidemment en étant à 80 minutes d’une montée en fédérale 2. La sagesse présidentielle parle, d’une double mais même voix entre Bernard Mauriès et Alain Imbert, qui en direct du bus de retour nous confient : « Blois à trois fois notre budget, avec une large enveloppe des collectivités, ce club était programmé pour monter en fédérale 2, et nous le leur souhaitons bien sincèrement. Nous, nous n’étions programmés que pour un maintien au départ. Cette victoire et cette saison doivent donc ramener du monde au club, et des finances, car avec nos 110 000€, nous sommes réalistes : nous devons nous structurer pour envisager une montée. C’est notre première année en fédérale 3, on se posera la question tranquillement quand elle se posera, car nous sommes des paysans et des sages. »
Il y aurait presque du Castres Olympique dans ce discours, si ce n’est que la question des finances et du réservoir de joueurs se pose en d’autres termes bien évidemment. La conclusion du sage président Bernard Mauriès allait dans ce sens : « Il faut faire perdurer notre belle dynamique, nous avons un travail de vie sur notre bassin. Il faut trouver des joueurs, travailler encore plus sur notre école de rugby qui nous donne tant de satisfactions. 19 joueurs sur 22 en sont issus dans l’équipe alignée contre Blois. Voilà notre autre fierté. »
Rendez-vous est donc pris après les 16èmes de finale. Une confrontation aller-retour face à une vieille connaissance croisée en Honneur il y a quelques années : Léguevin (voir notre article de 2017) Les deux équipes occitanes luttaient déjà pour les premières places régionales. Elles vont cette fois s’affronter pour se faire une place au soleil en fédérale 2. Première bonne nouvelle, le déplacement sera nettement mois long lors du match retour pour le Canton d’Alban (120km au lieu des 520 du weekend dernier). Qu’importe, quand on aime, on ne compte pas. « Canton » a que l’amour du maillot, le jour du grand voyage, pour tracer un chemin et forcer le destin… Oui, après Mark Twain, Jacques Brel aussi ne nous tiendra pas rigueur de cette intrusion dans sa chanson, tant elle s’applique au Canton d’Alban, mais aussi au Coq Léguevinois. Vivement le match aller et retour vous avez dit ?