La 4ème journée de Régionale 3 en Nouvelle-Aquitaine était attendue depuis longtemps à Sare et Ascain. Les deux villages basques, distants de seulement 8 kilomètres, se sont en effet retrouvés pour leur premier derby depuis plus de 6 ans. En plus de la domination territoriale, la première place du groupe se jouait, car chaque équipe était jusque là invaincue. Le décor, l’attente, la rivalité, l’enjeu, tout était réuni pour vivre un derby mémorable dans la province du Labourd. Laissez-nous vous y emmener… (par Ax-les-Termes, Ô Féelit, photos Jean-Marc Lestage pour RugbyAmateur)
Après avoir patienté si longtemps, les deux voisins peuvent enfin se toiser
Le contexte historique
Pour bien comprendre ce qu’il se jouait à Sare dimanche dernier, il ne faut pas se contenter de lire le score du match, ou d’étudier le classement de chaque équipe. Non, il faut se plonger sans retenue au coeur de ce délicieux morceau de Pays Basque, et vivre cette rencontre au plus près. Vous êtes désormais à Sare, ou Sara en basque, village de 2 700 habitants, dominé par La Rhune, ce dernier sommet occidental pyrénéen haut de 900 mètres, dont la célébrité doit beaucoup à son train à crémaillère de collection centenaire qui emmène les touristes au sommet. Nous y reviendrons plus tard, notamment grâce à son conducteur, joueur du derby mouvementé du jour. L’histoire locale a été aussi très mouvementée, entre guerres de territoires et contrebandes, notamment de par sa proximité avec la frontière espagnole, à seulement 7 kilomètres.
Pourtant, en ce dimanche de match, une grande sérénité règne dans ces rues typiques de la province du Labourd, comme le clame la devise « Saran Astia » (« à Sare, on a le temps »). Le théâtre de la rencontre est tout aussi charmant que la commune. Le stade municipal Agnimeinea est en effet situé au pied de deux collines. La première est complètement boisée, et l’on n’ose imaginer le nombre de ballons perchés qu’elle abrite. L’autre est beaucoup plus utile, puisque, faute de tribune, elle est un promontoire de choix. Enfin, la vue sur la Rhune est tout simplement splendide et l’environnement d’un vert flamboyant, rappelle que la météo locale peut être capricieuse.
La fameuse tribune de Sare, unique au monde
À cette époque de l’année, les feuilles de certains arbres virent à l’orange, et offrent un contraste majestueux. Vernon Pugh, ancien président de World Rugby, était tombé amoureux de ce site inoubliable. Après avoir vu les oies cacarder et les pottoks (les petits chevaux basques) brouter en bord de pelouse, le tout devant un public passionné, il avait notamment déclaré : « Je n’ai jamais vu un terrain aussi beau ». Et il en est un qui ne dira pas le contraire, c’est Pépito Elhorga, dont la maison d’enfance se situe au pied de ce stade. L’ancien international français y a fait ses premiers pas, avant de faire les beaux jours de St Jean de Luz, Biarritz, Agen, Bayonne, puis Anglet.
Au milieu des arbres, la maison d’enfance de Pépito Elhorga veille sur le terrain local
Face aux Saratars, se présentaient donc les voisins d’Ascain, ou Azkaine (en basque), à seulement 8 kilomètres de là, mais 17 minutes en voiture tout de même. Il faut dire que les routes, au pied de la Rhune, sont aussi sinueuses que la dernière saison traversée en Régionale 2 (une seule victoire en 18 matchs). L’on imagine donc aisément les Azkaindar très déterminés à remporter ce derby de La Rhune, attendu depuis des années. Les deux formations ne s’étaient en effet pas rencontrées depuis longtemps, puisque Sare avait quitté le championnat national, pour celui de la Ligue Basque depuis la saison 2018/19. L’histoire était donc en marche, et un nouveau chapitre à écrire…
Couleurs, écritures et architecture : bienvenue au Pays basque
L’avant match
L’avant-match va parfaitement finir de vous mettre dans l’ambiance de ce tableau certes pittoresque, mais tellement agréable, d’un derby « oublié » entre deux voisins basques, évoluant dans la plus basse division française.
L’échauffement est à la hauteur de l’enjeu du jour, les deux équipes ont investi leurs vestiaires respectifs, typiques eux aussi. On y retrouve forcément les bancs pas assez larges, la table de massage, la grosse poubelle remplie de blocs de boue avec la marque des crampons, des restes de straps, des murs craquelés, des traces au plafond, vestiges de célébrations récentes d’après-match.
Vestiaire abandonné par les joueurs partis à l’échauffement
Tout cela dans un bâtiment à l’architecture typique du pays, avec ses portes rouges et sa typographie si particulière. Sur le tableau d’affichage des compositions, inutile de vous dire qu’il faut avoir fait basque LV2 pour comprendre les noms des équipes et des joueurs.
Les vestiaires de Sare vus de l’extérieur
Oui, nous sommes bien au coeur de ce que le rugby amateur offre de meilleur. Et Abdallah Abderemane, arbitre de la rencontre y va même de sa touche personnelle, en oubliant la pièce du toss. Pas de caméra à l’horizon, pas de public, pas de stress, à chaque problème, sa solution. M. l’arbitre, tout sourire propose aux deux capitaines, de se départager pour savoir qui aura le coup d’envoi et qui choisira le terrain par une autre alternative, pour le moins originale : un Chi Fou Mi ». Idée bien évidemment acceptée, et également avec le sourire par les deux adversaires. Pierre contre Ciseaux, c’est Pierre qui remporte ce premier duel du jour…
M. l’arbitre a le sourire…… le vainqueur aussi, le perdant un peu moins…
Le match : du coeur, du combat et des cou…rageux
La rencontre tant attendue peut enfin démarrer. Très vite, on comprend que les stéréotypes du derby seront également respectés sur le terrain. Les deux équipes produisent un jeu sans grandes envolées, fermé en attaque et un gros combat en défense. Ce sont donc les pénalités qui vont rythmer cette première période. L’ouvreur saratar, Xabi Iralde, ouvre d’abord rapidement le score devant son public (3-0, 3ème). Puis son vis-à-vis, Sylvain Mihura lui répond, par deux fois (3-6, 32ème). Juste avant la pause, Iralde s’assure que le suspense reste entier dans le second acte et passe trois points supplémentaires. 6-6 à la pause, un vrai derby donc !
Qui dit derby, dit défense (très) rugueuse
À la reprise, le public sarate n’espère bien sûr qu’une chose, la victoire de son équipe. Mais il ne se fâcherait sûrement pas d’un peu plus de spectacle durant les 40 dernières minutes. Laissons chacun s’imaginer ce qu’il s’est passé durant un quart d’heure, dans l’intimité des vestiaires, aux odeurs marquées de camphre. La motivation est manifeste, l’engagement total, mais Il faudra attendre l’heure de jeu, pour voir les premiers points de la seconde période, à nouveau inscrits par le buteur maison (9-6, 59ème). De leur côté, les Azkaindars tentent de déployer leur jeu, en vain, et se heurtent à une défense très solide. À force de pousser, ils parviennent tout de même à mettre leurs adversaires à la faute, ce qui se conclut par un carton blanc et une pénalité, que Mihura passe. 9-9, on joue la 67ème minute, tout reste à faire.
Avec son vis-à-vis, l’aérien Sylvain Mihura a été un des deux grands acteurs de la rencontre
Le clou du spectacle : un suspense jusqu’à la fin du match
À 10 minutes de la fin, l’air, marin d’un côté et montagnard de l’autre, si bon habituellement, devient pourtant irrespirable. Alors que l’on rentre dans le « money-time », Sarie, le capitaine des polos noirs se blesse au plus mauvais moment. Escorté par une solide garde rapprochée pour l’évacuer du terrain, le maffré doit laisser ses coéquipiers se débrouiller seuls.
Bastien Sarie, le capitaine courage sort sur blessure, bien entouré
Ces derniers vont d’ailleurs souffrir, car Ascain bloque le jeu dans leur camp et s’offre des occasions de marquer. Pourtant, c’est bien l’équipe locale qui aura le dernier mot, par son héros du jour : Xabi Iralde. Lui, le conducteur du célèbre train touristique de La Rhune, qui emmène chaque jour de la semaine, de très nombreux touristes visiter le mythique sommet, va emmener ce dimanche, son équipe vers le succès grâce à une pénalité passée à la 78ème minute. 12-9, score final ! Pas d’essai, mais une victoire importante pour les uns, un bonus défensif pour les autres, une franche poignée de mains, et surtout, un rendez-vous donné pour le match retour, le 28 janvier prochain…
Xabi Iralde, conducteur du train de la Rhune la semaine, et héros de son équipe le weekend
Avec cette nouvelle victoire, Sare réalise une très bonne opération et se classe logiquement 1ère de sa poule, avec 16 points. Place désormais à deux semaines de repos, avant de se déplacer chez l’AS Idron Lee, 5ème avec deux défaites et deux victoires. La victoire est impérative pour rester devant Nafarroa, seulement un point derrière malgré un match de moins. De son côté, malgré la défaite, les joueurs d’Ascain restent tout de même 3èmes du groupe, ex-aequo avec l’US Saultoise. Le 4 novembre, il se pourrait qu’ils aident indirectement leurs adversaires du jour, puisqu’ils recevront Nafarroa, pour un nouveau match au sommet.
4 victoires en 4 matchs, retour dans le championnat français plus que réussi. Sar…oule !
Les réactions
Simon Harignordoquy, admiratif de son ouvreur
Simon Harignordoquy, arrière de Sare : « On est arrivé en Régionale 3 sans réellement connaître notre niveau. Je suis conscient que c’est une phrase bateau, mais on prend donc les matchs les uns après les autres. La preuve, on en est à 4 victoires en 4 matchs, c’est que du bonheur. Sur ce match, peut-être que l’enjeu d’un derby a pris le pas sur le jeu, car n’y a pas eu de grandes envolées. Notre gros point noir a été la touche, d’autant plus qu’ils ont été très propres sur les leurs. Pour nous les arrières, ça nous enlève nos rampes de lancement, mais les avants ont deux semaines pour les travailler et ça va le faire. C’était surtout un match très serré. À 9-9 avant la fin, ils ont même eu des occasions de plier le match. Finalement, Xabi a le sang-froid de passer la dernière pénalité. C’est un monstre ! Malheureusement, notre capitaine se blesse, mais il aura le temps de récupérer durant ces deux semaines. »
Joannis Luberriaga, demi de mêlée et capitaine d’Ascain : « C’est hyper frustrant, parce qu’on est tombé dans leur piège et on n’a pas su jouer notre jeu. Pourtant, on savait que ça allait se dérouler comme ça. On sait depuis Août que tout le monde attendait ce match du 15 octobre. Pourtant, petit à petit on s’est monté la tête, et finalement on été bridés. On a aussi eu du mal à s’adapter à leur jeu d’avants. Surtout, on a pas réussi à concrétiser nos quelques occasions. Mais ce n’est pas bien grave, le bilan du premier bloc est tout de même de 3 victoires et 1 défaite et on en tire beaucoup de positif. Le prochain rendez-vous est à la maison contre Nafarroa, qui a tout gagné pour l’instant et avec des bonus offensifs. Ce sera un vrai test pour voir où on en est vraiment, car aujourd’hui, pour moi, on n’a pas joué au rugby. »
Le capitaine Joannis Luberriaga, frustré, mais déjà tourné vers le prochain choc, contre Nafarroa
Peyo Etcheverrigaray, entraîneur, dirigeant et soigneur de Sare : « On se prépare pour cette rencontre depuis qu’on a vu Ascain dans la poule. Ça fait des années que nous attendions ce derby et les joueurs avaient vraiment envie de le jouer à fond, avec les tripes. Malgré tout, encore une fois, on arrive à se faire peur alors qu’on a le match en main. On tremble, on commet trop de fautes et on craint donc jusqu’à la fin que la partie nous échappe. C’est lié à un manque de maturité de notre part, on n’anticipe pas les phases de jeu et on se précipite. En plus, on garde le même point noir que depuis le début de la saison : les touches. Il faut absolument le régler pour jouer les matchs du haut de tableau. En tout cas, on a tous été libérés au coup de sifflet final. On s’en fiche de gagner avec une petite marge, seule la victoire compte. Je ne sais pas ce que ce match représentait pour Ascain, mais pour nous, c’était un derby très important. »
Peyo Etcheverrigaray rappelle toutes les attentes autour de cette rencontre
Sami Minaris, entraîneur des trois quarts d’Ascain : « Comme on s’en doutait, on a eu droit à un match engagé, mais dans les règles. Nos joueurs ont répondu présents durant 80 minutes, on perd finalement sur des détails. Leur défense très agressive, notamment dans le jeu au sol, nous a perturbé. Ceci-dit, le premier bloc reste très satisfaisant, avec 13 points au compteur. Surtout qu’on ne savait pas réellement où on allait en début de saison. Durant les 15 jours de repos à venir, on va bien s’entraîner, pour préparer un nouveau bloc très intéressant, durant lequel il ne faudra pas se louper d’entrée. »
Malgré cette défaite, Sami Minaris reste satisfait du début de saison de ses hommes
Sur le banc : Aguirre, Daguerre, Y.Galardi, L.Galardi, Mihura Jorajuria, Vignaud, Dubois
BONUS PHOTOS : la panoplie des plaquages dans un derby
Echauffement…à vos marques, prêts ?C’est parti : premier plaquage avec plongeon dans le dos arrachage du ballon…… placage achar »nez », ……placage aux jambes et à… tout ce qu’on peut attraper, …… placage à deux (interdit, bien évidemment) …… et enfin le placage du tailleur, pour remettre les maillots à la bonne taille.