Article paru le 31 mars 2021
Casque rouge vissé sur la tête, tatouages sur les avant-bras, 1.78m et solide gabarit, difficile de passer à côté d’Alexia Cerenys. La deuxième ligne du Lons Rugby Féminin Béarn Pyrénées, est une joueuse transgenre, la première à évoluer au plus haut niveau féminin. A toutes fins utiles, rappelons-en la définition : une femme transgenre est une personne dont l’identité de genre est féminine, alors que le genre qui lui a été assigné à la naissance sur la base de l’apparence de son sexe est masculin. La native des Landes nous raconte donc son parcours, sur et en dehors du rectangle vert, fait de hauts et de bas, mais surtout, d’une victoire essentielle au final… (Par Marco Matabiau)
Comme toute bonne Montoise, Alexia fait, pendant 8 ans, ses premières armes au Stade Montois, mais dans la section… football. Puis, à 14 ans, convaincue par les copains du collège, elle rejoint la section rugby, préférant la mentalité de groupe plutôt que celle plus individualiste qu’elle découvrait chez les adeptes du ballon rond. Elle débarque donc en août 1999 dans le groupe des cadets et se fait sa place en troisième ligne : « Pour ma part, j’aurais préféré jouer au centre. J’avais déjà l’habitude, avec le football des grands espaces et des longues courses. Mais bon, quand t’as un certain physique… ». S’en suivent les années cadet, puis junior. Au cours de sa saison Crabos, elle est victime d’une commotion, causée par le genou d’un partenaire directement sur la tempe. Le début d’une longue liste de blessures.
En fin d’année scolaire, Alexia obtient son bac et, quelques semaines plus tard, c’est le départ des Landes pour des études à Périgueux. Elle en profite pour rejoindre le CAP, avec à la clé un huitième de finale Crabos perdu en 2005 contre l’USAP (futur finaliste malheureux face au Stade Toulousain). Puis viennent les années Reichel, la première expérience en réserve de Fédérale 1 (au poste de talonneur !), et après l’obtention de son BTS, c’est le retour à Mont de Marsan. Elle y intègre les Espoirs, puis se blesse gravement au genou et à la cheville. Après une opération et une longue rééducation, elle s’apprête à disputer sa deuxième année en Espoirs quand, à l’aube d’une saison prometteuse, c’est le coup dur : grave entorse à la cheville : « J’avais 22, 23 ans. J’ai alors décidé d’arrêter le rugby. Cette période correspond aussi à un questionnement sur ma vie interne ».
Transition…
Même si elle arrête la compétition, Alexia poursuit sa remise en forme et reprend une activité sportive. Elle revient ensuite sur sa décision et signe, à 24 ans, à Villeneuve de Marsan. Après deux petits matchs, une nouvelle blessure aux côtes, des pépins musculaires, ainsi qu’une rupture amoureuse, la mènent à faire une introspection. En février 2010, elle contacte donc sa cousine et sa meilleure amie pour en discuter : « Je ne savais pas vraiment qui j’étais. Une question qui me taraudait depuis l’âge de six ans. Je n’arrivais pas à mettre des mots sur ce qui se passait dans ma vie ».
Elle craint la réaction de sa famille : « C’était très patriarcal chez moi, et ma mère avait reçu une éducation religieuse stricte », et s’inquiète aussi de ne pas savoir l’expliquer. A 25 ans, elle décide donc de préparer son « coming out » auprès de ses proches, notamment d’en parler au père de son filleul, à qui elle dira « Je ne me sens pas bien dans mon corps, je suis une femme trans ». Le premier janvier 2011, elle se livre enfin à ses parents et déclare: « Dans ma tête, je suis une fille ! ». Au départ, la réaction est plutôt vive. Son père passe à son appartement dans la foulée, et trouve Alexia habillée en fille : « On va aller voir un psy, on va te soigner et arranger ça ». Au mois d’avril se tient la première séance chez le psychologue, qui souhaite immédiatement rassurer la famille : « Ce n’est pas une maladie ». Les parents accompagnent désormais Alexia dans sa démarche, le temps des tensions est retombé, laissant place à celui de l’acceptation.
Une période qui n’est pourtant pas des plus simples pour Alexia : « J’étais dans un entre-deux souvent difficile à gérer. La journée, en public, je m’habillais en garçon. Le soir, en privé, je vivais ma vie de femme ». Débute alors la transition : « J’ai d’abord dû consulter un psychiatre, puis un endocrinologue (premier rendez vous en mai 2012) pour recevoir le traitement hormonal et faire notamment chuter le taux de testostérone. Un long cheminement, jusqu’au 11 septembre 2014, date à laquelle s’est déroulée mon opération de réassignation de sexe ».
Plus de trois ans entre son « coming out » et son opération, un temps qui peut sembler très long mais qui, par le choix d’un « parcours libéral », est « ultra rapide pour l’époque ». L’opération passée, Alexia est ravie : « Je me sentais enfin vraiment moi. Plus j’avançais, plus je prenais confiance en moi ». Vient enfin la demande de changement d’identité : « Entre le dépôt de dossier et l’obtention de ma carte nationale d’identité, 18 mois se sont écoulés ».
Rugby, quand tu nous tiens…
« Jusqu’à l’obtention de ma CNI, le rugby ne me manquait pas. Je me disais que ça faisait partie de mon passé. Et puis ça m’a repiquée ». Et de quelle manière ! En mars 2016, Alexia signe avec les Féminines du Stade Montois, en Fédérale 1. Une licence loisirs au départ, avant de reprendre la compétition le mois de septembre suivant. Vient le moment de se présenter à ses nouvelles coéquipières : « Je voulais leur faire part de mon passé. J’ai choisi de la faire lors du weekend de cohésion. Julie Lafargue m’a alors expliqué que les filles n’attendaient que ça, qu’elles me connaissaient de mes années avec les Crabos et qu’elles me soutiendraient quoi qu’il arrive ».
Avec une préparation très courte, elle joue 20 minutes face au Stade Bordelais : « Le cardio et le physique étaient limites, c’était dur de reprendre après deux ans d’arrêt et cinq opérations. » La suite n’est pas forcément un long fleuve tranquille, elle se souvient : « Lors du déplacement à Herm, dans la proche banlieue dacquoise, certains spectateurs s’en sont pris à moi. Du moins, c’est ce qu’on m’a raconté. J’étais dans mon match et je n’ai pas fait attention à tout cela ». La saison est plutôt bonne puisque, premières de poule, les Montoises vont jusqu’en quarts de finale. Si le parcours s’arrête prématurément, l’expérience acquise s’avère décisive pour la saison suivante. Au terme de la saison 2017-2018, malgré une amère défaite 15–17 contre Bruges–Blanquefort, l’équipe accède sportivement à l’Elite 2. Cependant, le président Courtade refuse cette accession, malgré un effectif de 46 joueuses pour composer les deux équipes. Une énorme déception pour tout le groupe.
Sur un plan plus personnel, au terme de la saison, Alexia est contactée par le Stade Bordelais. Elle est intéressée, mais c’est finalement Lons, tout juste promue en Elite 1 après sa défaite en finale d’Elite 2 contre Grenoble, qui a sa préférence. « A 33 ans, j’étais propulsée en Top 16, niveau auquel je ne pensais pas évoluer un jour ». Là encore, Alexia décide de se présenter au groupe : « Ça s’est passé lors d’un entraînement. J’ai été extrêmement bien accueillie, que ce soit par le président, le coach ou le groupe. Mon intégration a été parfaite. » Et d’ajouter : « Je ne remercierai d’ailleurs jamais assez toutes les personnes qui m’ont soutenue et dont j’ai eu la confiance. A ce jour, j’ai la chance à la fois de jouer en Top 16, une compétition difficile qui demande beaucoup d’énergie, et de porter les couleurs de Lons, des couleurs que je porterai jusqu’au terme de ma carrière ».
La saison peut débuter : « On a fait un gros travail physique avec le préparateur. J’ai joué 20 minutes lors du 3ème match, pour la réception de Rouen. Ma première titularisation a eu lieu ensuite à Montpellier, j’ai joué 60 minutes. C’était parti et ça dure depuis trois ans. » Et bien parti puisque Lons fait aujourd’hui partie des huit équipes qualifiées pour les play-offs de l’Elite 1 : « On a battu La Valette du Var, on a battu Lille à Lille. On avait bien démarré. Sur le dernier match de poule, on perd face à Lille chez nous, mais on les prive de bonus offensif et on se qualifie ». Un exploit à n’en pas douter. Le début des play-offs est certes plus compliqué : les Béarnaises s’inclinent lourdement à Montpellier, mais sont à créditer d’une solide performance à Blagnac (malgré la défaite 7–26) avant signer leur premier succès dans le « grand 8 » face au Stade Rennais (20–13). Un début des plus encourageants.
Une sportive impliquée…
En septembre 2018, « L’Equipe Magazine » consacre un article à Alexia. « Cet article a eu un effet boule de neige dans la presse régionale». En effet, elle est contactée pour la cérémonie des Out d’Or, qui met à l’honneur des personnes qui favorisent la visibilité des problématiques LGBT. Elle est d’ailleurs faite lauréate du Out d’Or dans la catégorie Sports, en juin 2019. On lui demande également de donner des conférences, de partager son vécu de femme transgenre dans le sport. « On ne s’en rend pas forcément compte au départ, mais cela a un impact sur beaucoup de monde. De nombreuses personnes m’ont contactée, dont un homme trans pratiquant le rugby, et j’ai reçu de nombreux messages de soutien ».
En juin 2020, World Rugby convoque l’instance médicale sur la question des transgenres dans le rugby et conseille aux fédérations de ne pas sélectionner de joueuses trans dans les compétitions internationales. En juillet, la Lonsoise envoie donc un message à World Rugby en stipulant que cette décision ne correspond nullement aux valeurs de ce sport, dont la différence physique fait partie des spécificités. Elle est ensuite contactée par l’association International Gay Rugby pour en savoir davantage sur la position de la Fédération Française de Rugby sur la question. Envoi d’un message début août, réponse par mail de Bernard Laporte qu’elle rencontre quelques jours plus tard à Peyrehorade (Landes) alors que le président est en campagne pour sa réélection. Le point de vue est clair : « Il m’a tout de suite rassurée en me certifiant que cela n’empêcherait nullement la pratique dans les championnats nationaux ».
En parallèle, Alexia est en discussion avec un groupe de parole américain autour d’un projet inclusion des personnes LGBT dans le rugby autour de France 2023 : « Il s’agit de connaitre la position officielle de le FFR afin de monter le projet ». Affaire à suivre donc…
Précisions – Cet article, diffusé le 31 mars 2021 sur RugbyAmateur, repris dans de nombreuses rédactions, a provoqué beaucoup de réactions. En juillet 2022, la Fédération anglaise de rugby à XV a recommandé d’interdire le rugby féminin aux femmes transgenres. La fédération irlandaise en a fait de même, tout comme l’International Rugby League (XIII).
Bravo pour votre courage et votre ténacité ! J’ai beaucoup apprécié votre présentation chez Quotidien, merci pour ce que vous êtes ! Bons matches