Partis au pays du soleil levant pour disputer le championnat du monde de rugby scolaire, les lycéens de la Borde Basse (Castres) ont réalisé l’exploit de s’imposer en finale face aux Néo-Zelandais du Mount Albert Grammar School sur le score de 9 à 3. Une aventure inoubliable pour ces jeunes rugbymen qui ont représenté leur nation le temps d’un tournoi. Yoan Bailly, un des trois entraîneurs tarnais (avec Eric Chavarel et Pierre Robin)
Tout d’abord, comment êtes-vous devenu coach de cette équipe ?
Au départ, j’étais venu pour donner un coup de main à Eric Charavel et Pierre Robin, professeur d’EPS à la Borde Basse, avant de m’impliquer totalement lors des championnats de France. Les joueurs avaient gagné le championnat départemental, académique, puis inter-académique. C’est ce qui nous a permis d’aller au championnat de France puis au championnat du monde.
Comment est constitué ce groupe ?
Bon évidemment, tous sont issus du lycée de la Borde Basse, dont une très grosse majorité est titulaire chez les Crabos du Castres Olympique. Les autres proviennent des clubs alentours. Même s’il y a forcément une différence de niveau intrinsèque de par le nombre et le type d’entraînement, les joueurs non issus du CO se sont mis au diapason de leurs potes. Ils ont fait tout le travail de l’ombre, ce qui est vital dans le rugby. On pouvait voir la différence notamment dans la récupération post-matchs. Les joueurs du CO ont plus de facilités à récupérer que les autres.
Quel a été votre parcours en championnat de France ?
En poule, pour le premier match, on perd contre Mont de Marsan (0-5), ensuite on gagne contre Rilleux (14-7) et Narbonne (19-7). En phase finale, on bat Montpellier 7 à 3. On prend Dax en demi-finale et on gagne 15-0 contre eux. Puis en finale, on rejoue Mont-de-Marsan et on les bat 15-0 aussi. L’équipe est montée en puissance au fur à mesure de la compétition.
Est-ce que le championnat de France était un aboutissement en soi ?
Oui clairement. Car pour tout vous dire, on ne savait même pas que le championnat du monde existait (rires). Je l’ai su car c’est Eric Charavel qui m’a appelé en me disant « il y a un championnat du monde au Japon, on pourrait essayer d’y aller ». Le projet est parti de là.
Justement, comment s’est bâti ce projet ?
Il s’est fait grâce à la mobilisation de pleins de personnes. Je tiens a féliciter les joueurs pour leur implication car on a su en janvier qu’il y avait cette compétition et en mars les 40 000 euros nécessaires étaient récoltés. La directrice de Borde Basse, Madame Najat Delpeyrat a également tout fait pour nous aider. Le Castres Olympique a aussi fait un geste énorme en laissant les joueurs à « disposition » de l’UNSS. Les sponsors ont été d’une très grande aide, je pense notamment à Pierre Fabre, car il fallait budgétiser les billets d’avion, soit mille euros par personne, les maillots, le logement, etc…Au final, on a réuni tous les fonds pour partir, et sincèrement, c’était déjà fou d’y parvenir.
« Ils n’ont rien lâché ! »
D’un point de vue sportif, le décalage horaire a-t-il eu un impact sur les performances ?
Non, pas vraiment parce qu’on a décollé à 14h de Blagnac et les joueurs ont pu dormir dans l’avion. Ils ont pu dormir sur place et récupérer rapidement. Donc, le voyage n’a pas eu de répercussion négative, ça nous a même aidé à bien préparer la compétition. Je peux vous dire qu’ils avaient vraiment hâte de jouer.
Racontez-nous vos premiers pas dans la compétition ?
On a joué contre Tokaï Sagami, une des deux équipes japonaises que nous avions dans la poule, que l’on gagne 20 à 10. Au deuxième match, on prend les champions du Japon, on perd 12-0 à la mi-temps. Les joueurs ont tout donné pour revenir et ont réussi à l’emporter 20-22. c’était un match spécial, avec une cérémonie d’ouverture et une Marseillaise. Quand tu es en tribunes ou à la télé ça va, mais quand tu es sur le terrain, que tu es acteur ce n’est pas la même chose. C’était vraiment très fort en émotions. J’ai 32 ans, je n’avais jamais vécu ça. J’étais fier, on a vraiment senti qu’on représentait notre pays dans le monde.
Entre le dernier match de poule, et les phases finales, vous gérez vos match et votre effectif ?
Tout à fait, on a fait tourner, même si je n’aime pas ce mot, car les 30 ont fait le boulot. Mais ceux qui ont joué ce troisième match avaient la pression aussi puisque si on ne gagnait pas, on ne finissait pas premiers. Ça a été tendu et on a fait rentrer quelques « cadres » à la mi-temps et gagné 27-7. Mais il faut vraiment féliciter l’ensemble du groupe. En quart de finale, on s’est fait concasser contre les Sud Africains mais on a gagné 24-10. Puis en demi-finale çà a été vraiment très dur. La fatigue s’accumulait. On disait aux joueurs « vous êtes fatigués mais les autres aussi le sont ». Ils n’ont jamais lâché, ça n’a pas été un grand match de rugby mais on a obtenu notre ticket pour la finale.
Comment avez-vous géré la pression de cette finale ?
On devait se remobiliser par rapport à la mauvaise demi-finale. Ils avaient de la pression oui mais de la pression positive. Encore une fois, la Marseillaise les a transcendé. On a été sevré de ballons toute la partie. Nos jeunes se sont fait cabosser mais ils sont restés concernés. On gagne 9-3 au final, et c’est bien le plus important. Les Blacks sont très, très gaillards, ils alternent très vite le jeu et concassent très fort aussi. Je pense qu’on est la seule équipe à avoir bossé la vidéo comme des malades. On a travaillé les matchs un par un pour contrer au mieux nos adversaires. Les Néo-Zélandais et les Japonnais jouent de la même façon, peu importe l’adversaire. Nous, on s’adaptait aussi.
« Ce sont de bons gamins, même si ce sont des petits cons parfois (rires) »…
C’est le secret de votre victoire selon vous ?
C’est le fait surtout qu’ils soient tous copains. Ils se chambrent en permanence mais c’est leur manière de se dire qu’ils s’apprécient je pense. Leurs coachs du CO leurs inculquent les valeurs d’entraide et de collectif. Ils oublient leurs clubs respectifs : ils étaient Borde Basse avant tout pendant cette compétition.
Le Haka en finale était particulièrement intense, comme chez les grands. Et on a vu vos joueurs avancer comme leurs aînés en 2011, c’était prémédité ?
On leur avait dit de montrer du respect, ce sont des traditions néo-zélandaises. Mais quand les Blacks ont entamé le Haka, ils ont avancé le museau à 50 centimètres d’eux. Je ne pense pas que ce soit de la provocation mais plus une manière de dire « Eh les gars vous faites le Haka mais nous aussi on est là, et on ne va rien lâcher ». D’après ce que j’ai entendu des joueurs, c’était un clin d’œil aux français de 2011 sauf que nous on a gagné (rires).
On vous sent fiers d’eux…
Ce sont de bons gamins, même si ce sont des petits cons parfois (rires). Pour l’anecdote, il y a eu un gros clash extra-sportif la veille de la demi-finale entre eux et nous. Ils étaient tranquilles, un peu trop peut être. Nous, nous étions vraiment tendus. Peut-être que ce clash a joué sur notre moyenne performance en demi-finale, mais nous a resserré pour la finale. On s’est dit qu’on n’était pas venus pour finir deuxième.
« Tout ce monde à l’aéroport, le regard des gens, tout ça fait que tu es vraiment fier… »
Avez-vous senti le soutien et l’engouement qui naissaient en France ?
Oui, par les réseaux sociaux oui, ça te montre vraiment à quel point tu représentes ton pays dans le monde. Tu as vraiment du mal à en prendre conscience sur le moment. Puis évidemment, on s’en est rendu compte à l’arrivée à l’aéroport : tout ce monde, le regard des gens, tout ça fait que tu es vraiment fier.
Avec un peu de recul, quelles différences voyez-vous entre les écoles du monde entier ?
On a vu ce qu’était le rugby de l’Hémisphère Sud, qui s’inspire du Super 15. Par contre, les Sud Africains, eux, te rentrent dans la gueule pendant 80 minutes. Ceux qui m’ont impressionné ce sont les Japonnais. Techniquement ils sont monstrueux. Ils sortent deux heures avant les matchs pour travailler les skills, c’est quasi militaire. Ils bossent tout le temps et en redemandent. Si on fait ça en France, on va nous prendre pour des tarés (rires). Quand tu vois comment ils travaillent, ce n’est pas étonnant de voir leur niveau international en telle progression. Ce qui est différent aussi, c’est qu’il n’y a pas de club là-bas, ils ne jouent qu’avec leur lycée. Après au niveau des gabarits, on était les moins gaillards de tous. On était plutôt considéré comme les outsiders. Et quand on a remporté le titre, il y a des mecs qui n’ont pas tout compris (rires).
Vous allez défendre votre titre et repartir pour une nouvelle aventure ?
Non, c’est trop compliqué. Le championnat commence le 9 mai, c’est trop tôt pour tout le monde. Donc pas de championnat de France cette année, les joueurs sont beaucoup trop fatigués. Si c’est pour y aller et ne rien faire, autant ne pas y aller. L’énergie qui est dépensée pour un tel événement, c’est énorme, ce ne sont pas des trucs qui se font à la va-vite.
De toute façon, on imagine bien que ce titre et cette année resteront gravés dans votre mémoire. Vous avez peut-être envie d’en profiter pour remercier des personnes non ?
Oui, absolument ! Je remercie déjà le Castres Olympique pour tout leur travail effectué, qui a largement contribué à cette victoire inoubliable. Donc merci aux coachs des Crabos Cédric Jalabert et Renaud Gély ainsi qu’à tous les entraîneurs de tous les autres clubs bien sûr. Je tiens à remercier la proviseure Madame Najat Delpeyrat qui a tout mis en oeuvre pour nous aider à partir au Japon. Je remercie aussi Philippe Carayon du comité du Tarn qui nous a accompagné. Mention spéciale également pour le médecin du Castres Olympique, Jean-Michel Auret alias le magicien. Il a su soigner les joueurs physiquement…et mentalement. S’il y avait une arcade ouverte, il posait une compresse, du strap et ça repartait, il mettait les points de sutures après. D’ailleurs contre les Sud Af, on a comptabilisé une trentaine de points de suture répartis sur trois joueurs. Une vraie mission commando ce tournoi (rires). Evidemment bravo aux joueurs qui ont tous tirés dans le même sens, ils se rappelleront toute leur vie de cette expérience. Et pour finir, je tiens à remercier Eric Charavel et Pierre Robin, les deux profs de sport de la Borde Basse qui ont emmenés ce groupe là où ils en sont aujourd’hui. Bravo et merci à tout le monde !