Analyse à froid et bilan sans gain du dernier Tournoi. De la victoire contre l’Irlande en octobre dernier dans le cadre d’un Tournoi 2020 clôturé avec huit mois de retard, à celle face à des Gallois en reconstruction (présumée) lors d’un match amical, en passant par une cruelle mais prometteuse défaite en prolongations contre des Anglais un brin suffisants, le XV de France confirmait son renouveau, et son large réservoir. L’espoir de remporter le Tournoi 2021 a pris logiquement de l’épaisseur, bien entretenue par une presse dithyrambique (mot compte double !) au moment d’ouvrir les débats en Italie début février…
Premier temps – La dolce vita romaine justement (victoire 10-50) permettait de bien s’échauffer les épaules avant le premier test grandeur nature verte prévu en Irlande. Dominés mais devant au score, nos Bleus résisteront jusqu’au bout à la pression irlandaise (ce qui n’est pas peu dire pour quiconque s’est rendu sur place), et s’imposeront dans la douleur (13-15). Brice Dulin sera élu homme du match, pour ses belles réceptions sous les ballons hauts, ses relances aussi, et son sens du sacrifice en défense, qui valait autant qu’un essai. Les larmes aux yeux, l’arrière rochelais pouvait savourer sa ballade irlandaise, synonyme de retour réussi comme titulaire au sein d’un XV de France, où les trentenaires sont aussi rares que les victoires italiennes dans un Tournoi.
Deuxième temps – La bonne dynamique enclenchée depuis un an ne prévoyait pas de subir une douche écossaise à Paris. Chacun espérait un nouveau succès. Mais on ne prévoyait pas non plus que la fameuse bulle sanitaire fasse pschitt et sème la zizanie jusqu’aux plus hauts sommets de l’état. Marcoussis, nouveau cluster, renvoyait les joueurs chez eux, ils y resteront trois semaines, sans activité. Le match contre les flowers of Scotland aurait pu être annulé, il sera reporté. Ouf ! On passait donc directement à la Rose, avec un troisième déplacement. Place au Crunch, avec juste une toute petite semaine de prépa, à l’ancienne. Les Bleus s’envoient, marquent en début et fin d’un premier acte de haute volée. On se prend à rêver d’une victoire chez nos meilleurs ennemis. Et puis, les Anglais, au forceps, et aux biceps de Maro Itogé, s’imposent à trois minutes du terme. Les Bleus menaient 16-20, et s’inclinent finalement 23-20. L’occasion était belle pourtant de faire rire Eddie jaune. Sorry, good game ! Et cette fois, ce n’est pas la faute de Monsieur Andrew Brace, arbitre irlandais, devenu star depuis la Coupe d’Automne. Non, c’est sans nul doute un manque de jambes, de jus, de gaz, de peps, appelez-ça comme vous voulez, qui a manqué pour terminer ce duel de gros bras. Difficile de ne pas pointer du doigt, même si ce n’est pas bien, ce foutu « bubble-gate ». Le rapport diligenté par le Ministère des Sports dédouane Fabien Galthié, dans l’oeil du cyclone pendant dix jours. Ce rapport interne n’accuse personne, sauf… la chance. Ou plutôt le manque de chance. Le risque zéro n’existant pas. Sauf le nombre de points marqués au classement par les Italiens, très réguliers dans la rouste printanière, depuis 32 rencontres dans le Tournoi, mais c’est un autre débat que les Géorgiens voudraient bien ouvrir.
Glandes of my father
C’est rageant donc, car des Français au top face à des Anglais en manque de rythme, l’occasion était bien belle de remporter la bataille d’Angleterre. Et se rapprocher un peu plus d’un Grand Chelem attendu depuis dix ans. On n’y penserait pas forcément si les médias nationaux ne nous le rappelaient pas quotidiennement, un objectif qu’ils ont survendu depuis fin janvier. Alors tant pis, on se battra pour la victoire finale. Histoire de valider une certaine progression, faire mieux que l’an passé, et surtout, donner à cette nouvelle génération dorée, le goût d’une victoire dans une compétition internationale.
Troisième temps – Encore fallait-il disposer de Gallois, en reconstruction paraît-il, venus certes à bout péniblement des Irlandais (21-16) en ouverture de Tournoi, avant de monter en puissance à chaque sortie : succès d’un point en Ecosse (dont on connaît désormais la valeur), suivie d’une bonne claque sur les joues anglaises (40-24), puis sur les fesses italiennes (7-48). Les Diables rouges visaient un nouveau Grand Chelem en cas de succès à Paris. Dominateurs et pragmatiques, ils y ont cru, à raison, surtout en menant 20-30 à dix minutes du terme, et à 15 contre 14 en plus. Mais deux cartons jaunes et deux essais plus tard, dont le dernier sur la sirène, anéantissaient tous leurs espoirs et ravivaient les nôtres (victoire 32-30). Glandes of my father d’un côté, jour de gloire pour les autres donc. Brice Dulin était une nouvelle fois cité en exemple pour son essai en bout de ligne. L’arrière rochelais réalisant un Tournoi de haute volée.
Quatrième temps – Pourtant, une semaine plus tard, le même joueur, était cité… à comparaître devant le tribunal populaire, et des réseaux sociaux. Pour n’avoir pas tapé en touche un dernier ballon, pour l’avoir relancé, entre fatigue et étourderie, entre panache et panade, alors que le jeu lui demandait d’y mettre fin. Les Ecossais, privés d’Errol Finn Russel, coupable d’un mauvais raffut, mais auteur d’une belle poignée de main au moment de quitter ses copains, en ont profité pour récupérer un dernier ballon. Et l’envoyer en bout de ligne pour marquer l’essai de la gagne, à la dernière seconde. Tiens, ça ne vous rappelle rien ce scénario, sept jours après ?
Avec des « si »…
Cinquième temps – On ne peut pas réécrire l’histoire, contentons-nous de l’imaginer. Au jeu des « si » nations, nous pourrions avancer nonchalamment qu’avec des « si », la victoire en Irlande aurait pu nous échapper, qu’elle aurait dû nous revenir contre les Anglais, et qu’en toute logique, les Gallois auraient pu soulever le Trophée à Paris, et non pas chez eux en survêtement. Bref, il vous faudra moins de temps pour y réfléchir et plus pour lire ce billet, que Baptiste Serin n’en a passé sur le terrain samedi soir. Mais de grâce, n’accablons personne. Clamer que la victoire est possible à condition de passer quatre essais à la meilleure défense du Tournoi, c’est déjà mettre la charrue avant les boeufs, et un peu trop de pression sur certaines jeunes épaules. L’excès d’ambition n’est pas condamnable quand on a son destin en mains, et qu’on est des compétiteurs. Mais le rugby est un sport d’humilité et de combat. Il est d’abord de bon ton de s’imposer devant, de prendre le score, le faire enfler si possible et voir ensuite ce qu’il peut advenir. Sur un malentendu, on ne sait jamais, oublies que t’as aucune chance, ça peut marcher.
A « Kilt » ou double
En revanche, poster sur les réseaux sociaux une photo pour la fête internationale de la gaufre, qui plus est, à la veille de ce dernier match capital, reporté pour cause de covid et en partie pour une sortie gaufre, est clairement un manque de respect. Une faute de goût même, « kilt » ne pouvait pas passer inaperçue dans le XV du Chardon. Stuart Hogg l’a bien relevé, et a dû afficher cette photo dans le vestiaire du Stade de France. Nos Bleus, qui étaient Blancs samedi, sur la dernière action, n’ont pas eu droit à la parole, comme le dirait Audrey Pulvar. Certaines phrases et certaines moqueries, aussi sombres qu’un tirage au sort de coupe d’Europe de rugby, sont à « kilt » ou double donc. Comme quoi, on peut en faire, et en dire, de bien belles parfois. Dul…imvraissemblable à Dul…involontaire, la marge est maigrichonne. Heureusement qu’il reste certains gestes, sur le terrain, comme la sortie fair-play et souriante de Finn Russel après son carton rouge après coup de coude trop appuyé sur Brice Dulin. Décidément au coeur des débats…
Sixième temps – Alors tournons la page de cette série en cinq épisodes majeurs, dont le scénario nous aura tenu en haleine pendant deux mois. C’est ce qu’il faudra sans doute retenir en premier. Le XV de France, encore un peu tendre, encore en rodage, un brin naïf, par moments, fait montre de caractère, d’un réel talent, d’un gros potentiel et d’une énorme générosité, qui permet d’avoir regagné le coeur des passionnés. Et surtout, de croire en des lendemains enchanteurs.
C’est déjà une victoire morale, tant qu’elle ne nous ré-installe pas dans la fameuse défaite encourageante. Oublions le « Bubble-gate », oublions les « coupables », et allons nous frotter aux équipes de l’hémisphère sud maintenant, celles qui s’élèveront face aux Bleus dans leur quête mondiale en 2023. Espérons d’ici là que le virus soit un mauvais souvenir, que la fête sera belle, que la France ait enfin renouée avec la victoire finale dans le Tournoi 2022 ou 2023, et que Brice Dulin reste à son niveau de performance. Garantie d’un grand pas en avant pour l’arrière, qui aurait pu postuler, malgré tout, au titre de meilleur joueur français de cette édition 2021. On dit ça…