Les mots de Victor Labat (39 ans), co-entraîneur de Saint-Sulpice sur Lèze (avec Olivier Argentin) sont toujours pesés. Ils sont en plus, trempés dans un sérum de vérité et de franchise qui les rendent toujours plus intéressants. Il y a deux ans, le pilier fraîchement retraité se disait inquiet pour la fédérale, en s’appuyant sur des comportements qu’il n’appréciait guère (voir article : « Je suis pessimiste pour le rugby fédéral »). En avril 2020, en plein confinement, il livrait son sentiment, toujours sans filtre, sur la situation sanitaire et la saison écoulée (voir ou revoir la vidéo en fin d’article). Cette fois, nous avons sollicité l’entraîneur de l’USSS pour avoir son point de vue sur une nouvelle saison plus tronquée encore, aux conséquences multiples. Entretien avec un fervent défenseur du rugby amateur et de ses valeurs…
RugbyAmateur : Comment vivez-vous cette longue période sans compétition ? Comment gardez-vous le contact avec les joueurs ?
Victor Labat : Nous avons réussi, avec le couvre-feu à 20H, à garder deux entrainements sur site, par semaine. Les joueurs ont été très présents durant cette période. Evidemment les perspectives laissées par la FFR, engendraient cela. Depuis le couvre-feu à 18H, nous proposons un entrainement le dimanche matin, et avons demandé au groupe de rester en relation avec notre préparateur physique pour la semaine. Durant le mois de janvier, les joueurs sont restés mobilisés car la Fédération annonçait toujours une reprise au 31/01, voire au 13/14 février. Depuis peu, on sent une nette perte de motivation, il y a beaucoup moins de joueurs qui viennent les dimanches matin. En fait, nous commençons à percevoir les premiers impacts seulement maintenant.
Les joueurs sont-ils toujours mobilisés ? Craignez-vous qu’ils ne reprennent pas une licence pour les plus anciens ou les plus jeunes ?
Je pense que les joueurs sont démotivés oui, mais depuis peu. Que ce soit sur les équipes seniors mais aussi sur les diverses catégories. Il y aura des arrêts de licences, c’est certain. Je ne sais pas comment ça se passera, mais les décisions ne sont pas intervenues assez nettement et les dirigeants du rugby amateur n’ont pas été assez francs dans les annonces, même si la période est délicate. Quand un responsable est élu, il doit prendre des décisions pour l’ensemble et non pour une poignée. Des voix se sont élevées pour créer et prendre des décisions en incorporant l’ensemble des acteurs, entraîneurs, présidents, élus, qui composent le rugby amateur. Je pense que ce schéma est intéressant.
Croyez-vous encore en une reprise de cette saison ?
A titre personnel, je suis opposé à une reprise de la compétition de fédérale 1, même si nous avions investi et travaillé sur un budget pour rendre notre effectif compétitif. Ce serait irresponsable de faire reprendre une compétition pour des équipes amateurs ne pouvant s’entrainer correctement. Il faut en plus se rappeler que l’USSS n’a disputé que quatre matchs depuis mars 2020 ! Et pour être complet, la demande de la FFR à l’ensemble des clubs de fédérale 1, qu’ils soient avec des contrats pluriactifs ou non, est de respecter le protocole sanitaire dit de stade 3, donc sans aucun contact. Impossible de se préparer au mieux dans ces conditions.
« Je déplore le grand manque de communication et de prise de décisions pour le rugby amateur. »
Un entraînement à « Saint-Sul », en ce moment, ça ressemble à quoi ?
Nous travaillons sur des leviers différents du rugby sans contacts. Le travail de technique de passes, du jeu d’évitement, du jeu des espaces, etc, prend ton son intérêt. Par contre, ce qui manque, c’est la conquête, un bon coup de casque, un bon tampon et… bordel, une bonne bière partagée ensemble !
Vous vous projetez donc dès maintenant sur la saison suivante ?
Nous sommes en train de mettre en place nos objectifs sportifs sur les équipes seniors et espoirs pour la saison à venir oui. Notre volonté est de nous servir de cet arrêt pour travailler sur d’autres points, sur des orientations sportives afin de continuer à grandir. Le projet commencé la saison dernière, sur notre qualité de formation, prendra encore plus de poids dans le futur. Car nous sommes un club, et non pas juste une équipe fanion évoluant en fédérale 1.
En cette période particulière et compliquée, avez-vous une conclusion, un message à faire passer ?
Il y aurait beaucoup de sujets à aborder oui, propres à mon club, ou propres à ma personne, mais la situation actuelle nous rend tous à cran, donc il faut savoir relativiser. Aujourd’hui, on voit des orientations franches, à l’avantage du rugby pro, et on ne parle que de ca. L’équipe de France a fait un super travail en terme d’image, de rugby, et j’en suis fier. Les championnats professionnels nous font vibrer aussi, et tant mieux car nous n’avons plus que ça. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a d’autres clubs, d’autres sujets. Attention je ne rentre absolument pas un guerre contre le monde pro, mais cette épreuve difficile peut vite mettre en lumière certaines choses négatives de nos institutions. Ce que je déplore, c’est le grand manque de communication et de prise de décisions pour le rugby amateur.
Victor Labat – Interview du 20 avril 2020