À 56 ans passés, Saadi Kait Naci (US Carmaux Rugby) et Christophe Brun (RC Mende Lozère) foulent encore les pelouses de Régionale 2 en Occitanie avec leurs équipes réserves respectives. Le week-end dernier, les deux doyens se sont d’ailleurs affrontés pour le compte de la 9ème journée de championnat. Une longévité aussi impressionnante que rarissime qui force le respect. Pour RugbyAmateur.fr, le Tarnais a retracé son (long) parcours sur le rectangle vert parsemé d’anecdotes étonnantes, le tout avec un amour inconditionnel pour le ballon ovale, qui l’empêche de raccrocher… (Par Loulou / Photos Christophe Fabriès et Maëva RQT)
«Je suis tombé dans la marmite rugbystique et depuis, impossible d’en ressortir…»
Durant chaque intersaison, dans presque tous les clubs de France, on peut entendre cette phrase prononcée par certains (vieux) briscards : « Cette année les gars, c’est la dernière, après c’est décidé, je raccroche les crampons. » Au final, le short ne reste pas au placard, car l’aventure se prolonge encore un peu plus. Les doyens du rugby amateur de l’hexagone, Christophe Brun (RC Mende Lozère) et Saadi Kait Naci (US Carmaux Rugby), tous deux 56 ans, ne diront pas le contraire, eux qui ont cessé de se prononcer sur leur avenir.
« Je ne dis plus à ma femme et mes filles que je vais arrêter, car à chaque fois, je reprends une licence. J’ai trop de fois annoncé que c’était la dernière, maintenant, elles ne me croient plus. Alors je ne dis plus rien et un jour, je ferai la surprise », décrit Saadi plein d’autodérision, avant d’ajouter, avec passion : « Le rugby est lié à moi et je suis lié à lui. Ce sport est vraiment addictif, c’est beaucoup plus facile de dire je vais arrêter que de le faire. » Voilà comment, à bientôt 57 ans (en mai prochain), le joueur tarnais se retrouve encore sur les terrains chaque dimanche, avec l’équipe réserve de l’US Carmaux (Régionale 2 Occitanie).
Depuis maintenant près de quatre décennies, Saadi Kait Naci a donc le rugby chevillé au corps. Pourtant, rien ne le destinait à vivre une telle carrière. « Je suis originaire des Ardennes, un département qui n’est pas très ancré rugby. Lorsque je me suis engagé dans l’armée vers mes 19 ans, chez les parachutistes, j’ai atterri à Albi au 7ème RPCS (Régiment Parachutiste de Commandement et de Soutien).
C’est ici, à Marssac-sur-Tarn, que les collègues m’ont fait connaître ce sport. Le soir même, j’avais signé une licence », retrace le principal intéressé. « Au début, j’étais perdu sur le terrain, mais j’ai tout de suite adoré l’ambiance conviviale, les amis, tout ce que recherchait quelqu’un comme moi finalement. Je suis tombé dans la marmite rugbystique et depuis, impossible d’en ressortir. »
Durant sa longue carrière, débutée à la fin des années 80, Saadi a connu plusieurs clubs : « Je me suis épanoui au RC Blayais, puis à Cambon Cunac Olympique. Malheureusement, la vie des petites équipes de série est compliquée et beaucoup ont disparu par manque d’effectif. Mais il y avait toujours des amis qui m’amenaient vers un autre club. »
« Je joue avec des enfants d’anciens partenaires »
Ce grand sportif est épargné par les blessures graves et son corps lui permet de continuer à gambader sur le pré. C’est en fin de compte le mental qui a un temps légèrement flanché et aurait pu précipiter un arrêt de la compétition :
« À force de voir des clubs mettre la clé sous la porte, petit à petit, la flamme commençait à s’éteindre. Je désespérais intérieurement, j’étais vraiment parti pour stopper il y a quatre saisons, mais j’ai ensuite découvert un nouveau challenge passionnant, à Carmaux, qui m’a fait pousser l’histoire un peu plus loin. Le staff et la présidente m’ont dit qu’il y avait beaucoup de jeunes et que ce serait sympa que je les encadre, j’ai dit oui de suite. »
Une énième aventure rugbystique pour Saadi, qui embarque sans hésiter dans le bateau, avec ce rôle de maître d’équipage : « Elodie Durand, la présidente a vraiment remis une superbe dynamique à l’US Carmaux, je suis totalement épanoui ici. Ça va être encore plus dur de dire stop, car ça a relancé un enthousiasme débordant chez moi. Les jeunes m’entrainent dans cette mécanique et j’apporte de l’expérience de mon côté. »
La présidente de l’US Carmaux, Élodie Durand, est ravie de voir Saadi porter le maillot rouge et vert de l’USM : «C’est un joueur emblématique de notre club. Kacy, c’est vraiment un homme au grand cœur. Il a l’amour du maillot, l’amour de ce beau sport et c’est une personne entière. Je suis fière qu’il soit sur le terrain et j’espère même qu’après, il restera pour entraîner, car il a de grandes valeurs. » Le message est passé pour une future reconversion derrière le banc…
« Chamailleries avec le père, et le fils… »
Vous vous demandez sûrement comment une telle longévité est possible dans ce sport de combat, si contraignant pour le corps ? Où chaque lundi matin, porter les stigmates de la veille peut ressembler à un véritable calvaire. Mais le résistant Saadi tient bon : « Aujourd’hui, je suis chauffeur livreur, je me lève tous les lundis après les matchs à 2 h 30 du matin. Mais bizarrement, maintenant les douleurs viennent plus le mardi ou le mercredi… (rires). Après, je me maintiens en forme chez moi pour tenir. »
En passant autant de temps sur les terrains, le joueur expérimenté a connu plusieurs générations différentes au sein de son vestiaire : « Je joue avec des enfants d’anciens partenaires avec qui j’évoluais à l’époque. Ils étaient encore dans la poussette sur le bord du terrain quand je jouais avec leur père. C’est fantastique. Quand j’affronte des équipes que j’ai connues par le passé, ils pensent que je suis devenu un dirigeant et sont souvent ébahis de me revoir fouler la pelouse. »
Forcément, cette longévité offre aussi des anecdotes assez exceptionnelles : « Contre Monclar-de-Quercy, un dirigeant adverse m’a reconnu lorsque je suis sorti du terrain. C’était un joueur que j’avais affronté il y a plusieurs années. On a donc discuté de nos confrontations passées et j’en ai profité pour lui faire part d’un léger mécontentement d’un jeune que je venais d’affronter sur le terrain. Il m’a répondu : vous venez de vous chamailler avec le fils et, à l’époque, vous vous étiez déjà chamaillé avec le père. »
Du Tarn à la Lozère, il n’y a qu’un grand pas. Où l’on retrouve Christophe Brun, 56 ans également, et une longévité exceptionnelle, par passion bien sûr, mais aussi parce que son corps ne lui dit toujours pas stop : « J’ai souvent dit que c’était ma dernière saison, et finalement, je repars pour une de plus. »
A 56 ans, celui qui a tout connu avec Mende, les montées, les descentes, a lui aussi l’occasion de jouer avec les enfants de ceux avec qui il a partagé ces moments. Il montre l’exemple à des jeunes de 20 ans, avec comme seule peur « de décevoir, et se de se blesser aussi, forcément ». Celui qui « dépanne » en seconde ligne ou au talon parfois, ne déçoit pas, au contraire, il suscite même le respect et l’admiration.
Dimanche 1er décembre 2024, l’équipe B de l’US Carmaux recevait celle de Mende justement pour le compte de la 9ème journée de championnat (victoire 29-25 des locaux). L’occasion pour les deux doyens de 56 ans de s’adonner à un duel exceptionnel. Saadi Kait Naci nous le raconte de l’intérieur : « On peut dire que nous sommes des jumeaux de terrain. On n’a pas pu trop échanger, mais dans nos yeux brillait encore cette fascination pour l’adversaire. Ça a été un réel plaisir de se serrer la main après un beau match engagé. »
La flamme intérieure brûle encore, avec l’esprit de compétition, de défi et un brin de taquinerie aussi : « Peut-être qu’inconsciemment, on va se faire une petite compétition entre nous deux : le premier qui raccroche les crampons a perdu (rires). » Nous en saurons plus au printemps prochain. Après que ces deux vétérans se soient rencontrés une seconde fois : » Je ferai plus connaissance avec ce vénérable au match retour oui. ».