Samedi dernier, à l’issue de la demi-finale contre Romagnat, les Montpelliéraines ont dit adieu à leur titre, celui qui leur est revenue huit fois depuis 2007. Elles ont également dit adieu à deux joueuses emblématiques de ces années victorieuses. Gaëlle Mignot et Jennifer Troncy. Nous leur rendons hommage à travers deux interviews distinctes. Place à « Jenny »… (par Jonah Lomu – Photos Christophe Fabriès)
Jennifer Troncy, c’est avant tout un palmarès et une longévité exemplaires. La demi de mêlée qui a débutée le rugby à 5 ans à Bagnols-sur-Cèze, est un morceau d’histoire du rugby féminin à elle seule. Elle en aura connu les débuts, plus ou moins laborieux, jusqu’à se faire une place en équipe de France à XV comme à VII. Avec un grand chelem à la clef en 2014, et une participation aux JO de Rio, à VII, deux ans plus tard, les premiers ouverts au rugby féminin. Elle aura aussi disputé toutes les finales du championnat de France avec Montpellier, soit douze au total depuis 2007, pour huit titres !
L’animatrice et meneuse de jeu hors pair, espérait bien en revivre une dernière avant de raccrocher les crampons, mais le sort et des Auvergnates valeureuses en ont décidé autrement. A 35 ans, « Jenny » aura passé quasiment trois décennies sur les terrains, et aura fait l’unanimité tout le long. « Potchok », « la Gitane », « Petit Poney » ou encore « Mamie » sur la fin, autant de surnoms glanés avec les différentes équipes dans lesquelles elle a évolué. Preuve d’un attachement fort pour ce gros caractère, et ce tempérament de feu, qui lui valent le respect et l’amitié de toutes ses coéquipières. Découvrez dans cette interview exclusive une « super Jenny »…
Jenny, on t’a vu descendre du bus en compagnie de Gaelle Mignot. A la fin de l’échauffement, vous étiez côte à côte aussi. Comment avez-vous vécu cette demi-finale toutes les deux ?
Durant toute l’année, on s’est dit que c’était la dernière saison, qu’on finirait ensemble. On a toujours été très proches, on mange à côté lors des rassemblements, dans les vestiaires il y a des regards, pour se motiver, se soutenir. Sur cette demi-finale, j’étais titulaire, mais pas Gaëlle. J’ai eu peur qu’on se croise pendant le match. Finalement, on a joué 5 minutes ensemble, c’est mieux que rien. On espérait vraiment aller au bout. Mais c’est comme ça. On a bel et bien fini notre carrière ensemble.
Quel a été ton premier sentiment au moment du coup de sifflet final samedi ?
De la déception forcément, perdre en demie, c’est frustrant, surtout que c’est très rare pour Montpellier. On a eu la chance de jouer beaucoup de finales, et d’en gagner pas mal aussi. Donc s’arrêter là, en plus pour un dernier match, c’est dur oui. Mais on ne choisit pas sa fin, ni sa sortie. Après le plus important, c’est d’avoir pu partager ce moment en famille. Nous avons consenti beaucoup de sacrifices durant toutes ces années, au détriment de moments perdus, comme des fêtes des mères, des pères, des anniversaires, etc, que nous avons ratés… Là, on a pris le temps de rester ensemble, Gaelle a fait des photos avec son neveu, comme moi avec ma nièce. C’est un petit, mais juste retour des choses que de refermer ce grand chapitre avec ses proches, sa famille, c’était un bon moment de rester avec eux, on leur devait bien ça.
Maintenant que tu es jeune retraitée des terrains, peux-tu nous dire quels sont les meilleurs moments qui remontent en premier ?
Ils sont nombreux en fait. Il y en a pour chaque équipe et niveau. En équipe de France à 7, je garde notre qualif pour les JO, c’était les premiers en plus. On fait un beau tournoi aussi, c’était vraiment bien. Avec l’équipe de France à XV, la Coupe du Monde 2014 restera un moment à part. L’impression que le rugby féminin prenait un nouveau départ, les médias, les matchs à la télé, le public, une vraie ferveur, et un groupe qui vivait bien ensemble. En club, c’est le premier titre qui me vient à l’esprit. C’est une émotion forte, on se dit que le but est atteint, on a peur de ne plus revivre ces émotions, donc on savoure plus je crois. Même si j’ai apprécié à leur juste valeur tous les autres (rires).
Quelle est la suite pour toi désormais ?
Je vais commencer par reprendre les cadettes du club. En parallèle, je vais devenir éducatrice sportive, auprès des associations, des scolaires, toujours au sein du MHR. A l’image de Clotilde Faugere ou de Gaelle Mignot, le club veut réintégrer les « anciennes », pour un passage de témoin, c’est une belle preuve de respect pour notre investissement toutes ces années. Nous en sommes heureuses et fières.
Justement, depuis tout ce temps à jouer, comment juges-tu le développement du rugby féminin ?
L’évolution est manifeste, il y a plus de licenciées, plus de clubs aussi. C’est bien, mais il faut prendre le temps d’y aller pas à pas. Je constate que des jeunes voudraient plus et tout de suite, mais il faut être réaliste. On ne va pas m’arrêter dans la rue parce qu’on me reconnaît. Le rugby féminin reste en plein développement c’est sûr, mais nous ne serons jamais l’équivalent des garçons, c’est logique.
L’élite du rugby féminin ne sera jamais professionnelle ?
Pas à 100% en tout cas, il n’y aura pas assez d’argent pour ça. Il faut être réaliste sur le fait que tout peut s’arrêter très vite, une blessure est vite arrivée aussi. Les joueurs pro de Top 14 préparent tous ou presque une reconversion d’après carrière, alors nous, les filles, c’est obligatoirement pareil. Et nous devons gérer le fait de devenir maman en plus. On peut tomber enceinte et ne jamais revenir à notre meilleur niveau. Non, je crois qu’être semi pro est le bon équilibre : des entraînements réguliers, et un boulot à côté pour le présent et le futur. A ce jour, il y a 5 ou 6 équipes qui dominent le championnat, pour les autres, c’est compliqué. Gagner par 50 points d’écart n’est pas amusant, alors j’imagine quand vous perdez de 50 points. Et puis un tel écart, ça peut être dangereux au niveau des contacts en plus.
On a quand même l’impression que des clubs importants parviennent à progresser…
C’est vrai. Il y a des équipes qui se structurent bien, comme Lyon ou La Rochelle par exemple, laissons le temps à ces clubs de progresser, et quand il y en aura assez du même niveau, on pourra réfléchir à autre chose. Mais ce n’est pas pour demain. Il y a un début de rémunération, des salles de muscu, des entraîneurs et des préparateurs compétents, c’est déjà très bien. Ne brûlons pas les étapes, au risque de créer encore plus de différences entres les équipes.
Que dirais-tu à une jeune joueuse qui voudrait découvrir le rugby ?
Tout simplement, « vas-y, n’aies pas peur, chacun et chacune a sa place dans le rugby. » Le rugby féminin a un bel avenir, on a besoin d’avoir des jeunes qui reprennent le flambeau. C’est un sport formidable, qui vous marque pour la vie. J’ai arrêté le Sevens il y a cinq ans et j’ai gardé le contact avec mes anciennes coéquipières. Je sais que je vais rester proche du groupe au MHR aussi, et pour toujours. J’ai beaucoup donné au rugby, et il me l’a bien rendu je crois.