Il serait du genre à vous faire aimer son équipe, même quand c’est un adversaire de la France. Ce genre de bonhomme qui en impose, charismatique, reconnaissable entre tous, grand par la taille et par ses actes. Exemplaire, dans la victoire ou la défaite. Il a réussi à se faire un nom dans un pays où les « Jones » légendaires sont légions. Il a réussi aussi à se faire un nom au niveau mondial. Et un prénom, performance notable quand on sait qu’il n’est pas simple à retenir, ni à prononcer. D’autant plus remarquable plus sérieusement, qu’Alun Wyn Jones joue en deuxième ligne, poste de l’ombre et de devoir par excellence, pas franchement photo-médiatique…
C’est aussi ce qui donne une dimension encore plus infinie à son record international de sélections. Pour tout dire, et sans faire offense à notre ami Ritchie Mc Caw, on s’en était un peu tous réjouit à l’automne dernier, quand le capitaine gallois a dépassé le troisième ligne All Black. Pas franchement hors-jeu, pas sur ce coup-là en tout cas, mais juste que le costume d’ambassadeur du rugby mondial tombait un peu mieux sur le natif de Swansea. Le joueur le plus capé du monde du rugby est un seconde barre, et oui, à la tête bien faite, pas trop cabossée, et bien pleine en plus. Il a pour lui cette aura, ce respect naturel, conquis par l’exemplarité, et son sens du sacrifice. Il a pour lui aussi un palmarès incroyable : 4 Tournoi des 6 Nations, dont 3 avec Grand Chelem (2008, 2012 et 2019). Une longévité qui n’a d’égal que son niveau de performance à chacune de ses sorties internationales, débutée en 2006.
A 35 ans, il n’y aurait donc aucune honte à être sur la pente descendante, mais le colosse d’1.98m pour 122kg, reste au sommet. Sa 156ème sélection, contre la France, samedi dernier, pourrait même nous faire penser qu’il sera encore à la tête des Diables Rouges pour la prochaine coupe du monde, dont il a atteint deux fois le dernier carré (2011 et 2019). Carré, il l’est assurément, lui le diplômé de droit à l’Université de Swansea. Elu meilleur joueur du Tournoi des VI Nations 2019, il fait incontestablement partie du top 10 de la cuvée 2021. Une régularité impressionnante quand on sait qu’il n’a raté aucun Tournoi depuis… 2007 ! Le corps parle, et nul doute que le géant rouge sait l’entretenir au mieux. Tout comme son mental. « AJW » ne se signalera pas par un essai en coin, ou une percée de 50 mètres, mais il fait bien plus : il fait le travail obscur, pendant 80 minutes, à ferrailler, à prendre les ballons en touche, à combattre au près, et même au large parfois. Il ne s’économise pas le bougre. Il a toujours le bon mot, la bonne attitude. Et la roublardise bien sûr, celle dont les joueurs de son rang et de son expérience usent de temps en temps auprès des arbitres. C’est de bonne guerre pour un tel combattant.
Et puis par dessus tout, il y a son comportement global, d’homme. A chanter un des plus bels hymnes qui soit, ce « Land of my Father » qui rend aux tripes, nous fait monter le son de la télé et les poils dans les secondes qui suivent. On le sent fier et habité le captain. Il n’a pas oublié pour autant d’envelopper de sa veste un enfant « mascotte » transi de froid par une pluie glaciale lors d’un match face à l’Irlande. Il a donné un coup de main au staff du Tournoi, qui rangeait le mobilier de la Triple Couronne remise quelques minutes plus tôt face aux Anglais. Les caméras étaient éteintes depuis un bon moment déjà. Il n’a pas enfoncé Joe Marler quand ce dernier s’était signalé en lui touchant ses parties intimes. Ni sur le terrain, ni en conférence de presse. Classe, et de quoi être « red » dingue des valeurs du bonhomme.
Samedi dernier, Alun Wyn Jones briguait légitimement une nouvelle victoire dans le Tournoi, et un quatrième grand chelem personnel, un record. Il y a probablement cru jusqu’à l’essai de Brice Dulin. Au milieu de l’euphorie tricolore, on l’a vu furtivement, accroupi, le regard un peu perdu, et déçu fort logiquement. Et puis, il s’est redressé, a serré les mains de ses adversaires, puis celles de ses coéquipiers anéantis qu’il a emmené se positionner pour offrir une haie d’honneur aux Français, certes traditionnelle, mais qui fleurait bon la grandeur dans la défaite. Là aussi, il y a eu quelques frissons. Il a déclaré après la rencontre : « Bravo à la France et à sa façon de jouer. Avec un peu de chance, nous avons rendu les gens fiers de nous depuis chez eux ».
On se prend à espérer que cette frustration sera peut être le terreau fertile pour faire pousser l’envie prolonger son contrat avec les Ospreys, son club de toujours, qui court jusqu’en juin prochain. A la différence de CJ Stander (le troisième ligne irlandais a déjà annoncé sa retraite à 31 ans), notre « Hercule Poireau », lui, pourrait se projeter jusqu’au prochain rendez-vous planétaire de 2023. Il aura 38 ans. L’occasion de rentrer un peu plus dans la légende du rugby dont il a écrit de bien belles pages déjà. Après avoir rendu un hommage appuyé et mérité à nos Bleus ce weekend, il était inconcevable de ne pas en faire de même avec celui qui comptait plus de sélections que tout le pack tricolore réuni.
Oui, chapeau bas et respect Mister Jones !
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