Sylvain Grandjean porte en lui l’obstination de l’agriculteur et la foi d’un évangélisateur. Car il en faut de la force et de la foi pour défendre, saison après saison, l’idée du rugby dans la Haute-Marne. Ce département dont l’identité a toujours été écartelée entre une défunte et éloignée région Champagne-Ardennes et une Bourgogne toute proche, mais à laquelle la Haute-Marne n’appartient pas, ni administrativement, ni politiquement, ni sportivement. La voici positionnée dans la nouvelle région Grand-Est, isolée de tout, sur une terre de football, avec des communes par toujours concernées, ni même connaisseuses du ballon ovale Vous touchez du doigt et du crampon les difficultés existentielles des clubs de rugby de la Haute-Marne, au nombre de… trois, dont le Rugby Club de Langres. Taiseux mais engagé, ouvert mais obstiné, Sylvain Grandjean « laboure » jour après jour, saison après saison, les terrains et les mentalités parfois en friche pour que vive la passion du rugby. Le président de Langres nous sert sur un plateau une interview vibrante d’amour du sport et d’espérance, dévoilant aussi la cruelle réalité du quotidien de ce club… (Texte et photos par WilDon)
Le pays où le rugby n’est pas roi…
Le président du RC Langres n’élude pas la question ni la réalité des faits : la Haute-Marne n’est pas une terre de rugby, puisque seulement trois clubs existent : Chaumont, Saint-Dizier et Langres. « Ici, dit-il, c’est football, volley et hand. Mais pas rugby. C’est pour ça que c’est très compliqué à Langres. » Compliqué parce qu’il faut se battre contre des préférences et des mentalités figées depuis la nuit des temps sportifs. « Déjà, tout devrait commencer dans les écoles », annonce Sylvain Grandjean, « c’est une culture qu’on n’a pas. En UNSS, ce sont essentiellement des professeurs de sport qui ne sont pas des joueurs de rugby, mais de football. A cela, s’ajoute la mentalité des communes à qui ce sport ne parle pas. On a vu et rencontré toutes les listes postulant à la mairie de Langres, avant les élections municipales. Or, jusqu’à présent, la mairie ne nous soutient pas plus que ça. Alors on fait avec… »
Il faut aussi tenir compte des contraintes géographiques du département. Bien qu’affiliés à la Ligue Grand-Est, les clubs de la Haute-Marne, beaucoup trop éloignés de la Lorraine et de l’Alsace, ont une dérogation pour évoluer en Ligue de France-Comté-Bourgogne pour des raisons kilométriques, et donc économiques.
Avec une centaine de licenciés, toutes catégories confondues, le RCL n’est pas le premier club haut-marnais en la matière, Chaumont ayant aussi ce privilège. Mais le club du Plateau doit s’adapter en permanence aux réalités économiques, politiques, financières et sportives qui sont les siennes. « On sait bien que Langres n’ira jamais en Fédérale, on compose avec, et nous restons un club formateur. Nous avons 12 000€ de frais de déplacements, toutes équipes confondues, pour une subvention municipale annuelle de… 6 000€. Le calcul est vite fait.«
Pour compenser, le club s’appuie d’abord sur les ressources traditionnelles que sont la billetterie et la buvette lors des matches à domicile, mais aussi lors d’événements, comme le Challenge Guy Collin, tournoi de rugby à 7 existant depuis 1992. « C’est le club qui finance ses structures, notamment l’installation des poteaux d’éclairage que nous avons acheté à la SNCF », détaille un président quelque peu dépité, réaliste, mais objectif. Il poursuit : « Cependant la mairie va bientôt nous construire une cuisine et de nouveaux vestiaires, je tiens à le souligner. Je ne m’attends pas pour autant à de gros changements avec la nouvelle municipalité. Alors on cherche à faire des sous avec les animations, les événements pour faire tourner la buvette, tout ça aussi grâce à nos bénévoles qui sont vraiment extras, sans oublier la vingtaine de sponsors et partenaires qui nous appuient, je me permets de les citer, car on parle peu souvent de nous : AG Grill, Vingeanne Transports, ou encore le Bar La Palette. Nous avons aussi un partenariat en forme de convention avec Langres Haltérophilie Musculation, club qui est sur notre maillot, et qui donne accès à la salle de musculation à nos joueurs. Nous avons enfin des dotations en équipements fournis par la Ligue du Grand-Est et la FFR. Et puis, de par la crise actuelle, la saison prochaine, la FFR ne va pas prendre les licences donc on va pouvoir respirer un peu plus. »
On l’aura compris, le RCL fait feu de tout bois et s’appuie sur toutes les bonnes volontés pour continuer à vivre et exister. Et pour continuer d’exister, le club sud-haut-marnais s’appuie pleinement sur son ADN : la formation.
La formation, l’ADN langroise
« 90% de nos joueurs séniors sont issus de l’école de rugby du club », assène fièrement et avec un grand sourire Sylvain Grandjean, « cela rappelle que nous sommes un club formateur dont beaucoup de nos séniors ont aussi des métiers autour de Langres en étant, par exemple, pompiers ou agriculteurs. »
Le RCL a également su nouer des ententes avec des clubs bourguignons pour faire vivre les équipes de jeunes. Ainsi les U14 de Langres sont-ils regroupés avec ceux d’Is-sur-Tille pendant que les U16 sont le fruit d’une entente tripartite entre Langres, Is-sur-Tille et le RC Dijon. « J’espère que nous pourrons faire venir les jeunes filles que j’ai entraîné à Montigny-le-Roi ici, à Langres, en vue d’aligner rapidement une équipe cadette en championnat. » Une pépite est même sortie des rangs de la formation langroise en la personne de Tony Lanauve de Tartas, formé au RCL des U15 à U19. De Langres, le 2e ligne international sénégalais (deux mètres sous la toise, pour 140 kg) a successivement porté les maillots du Stade Dijonnais, Massy, Pau, Mont-de-Marsan puis Orthez, pour poser ses valises cette saison, du côté de Nuits-Saint-Georges en Fédérale 1.
On le voit, la vie du club langrois n’a rien d’un long fleuve tranquille, surtout dans une région où le rugby reste marginal, comparé aux contrées aquitaines, occitanes, auvergnates ou provençales. Mais Sylvain Grandjean reste confiant : « On n’est pas malheureux. Et s’il n’y avait pas des amoureux du rugby parmi nous, ici à Langres ou à Saint-Dizier ou à Chaumont, nos clubs n’existeraient tout simplement pas. »
Avec trois promotions successives en trois saisons et un titre de champion de Bourgogne de 2e série en 2019, le RC Langres s’avance sereinement vers son nouveau challenge : la 1ère Série. Objectif maintien, et puis on verra bien après. Si le RCL n’ira peut être jamais en Fédérale, le club du Plateau continue son bonhomme de chemin sur une terre qui n’a rien d’ovale. Un combat de tous les jours, envers et contre tout…
Championnat 1e Série 2020-2021 (Ligue Franche Comté-Bourgogne), groupe C, poule 2 : RC Langres, Baume les Dames, Morez, Rump, Censeau, Auxonne, Maiche, Lure
Premier match le 4 octobre 2020 : RO Lure – RC Langres