Brens – Marssac, 12 km de distance entre les deux villages des bords du Tarn. Soit une quinzaine de minutes en voiture. Car oui, on ne prend pas un bus pour faire un déplacement aussi court. Ce derby de 4ème série n’a pas l’exposition d’un Stade Français – Racing, ou d’un Bayonne-Biarritz des grandes heures certes, et pourtant, pour bien des raisons, il n’est pas comme les autres et méritait le coup d’oeil. Nous avons assisté à un grand match, avec des rebondissements, des anecdotes savoureuses et des moments de bravoure extrême. Une définition à lui tout seul de ce qu’est le rugby amateur, un moment de pur plaisir et d’émotions. Suivez-nous à la buvette, on vous raconte… (par David Campese, photos de Christophe Fabriès)
14h, à une heure du coup d’envoi. Le café par litres est prêt, la bière, par fûts, aussi. Il fait beau, presque chaud, ciel bleu, c’est un beau dimanche d’automne, le dernier à l’heure d’un été qui va changer d’hémisphère. Le public, nombreux, arrive petit à petit, gare la voiture le long du fossé à l’extérieur du stade, et se positionne où il peut derrière les mains courantes. Le petit complexe sportif tarnais ne dispose pas de tribunes. Peu importe, c’est l’occasion de saluer plus facilement Pierre, de retrouver Paul, et boire un coup avec Jacques. Les adversaires du jour arrivent eux aussi, en voiture donc, vers 14h15.
On s’étonne de cette arrivée tardive, mais le président Didier Canivenc, dit « Cani », nous répond que ses joueurs sont bien préparés, à l’inverse de lui dont le ventre devenu rond lui a valu une petite pique amicale : « Et ben alors, tu as pris un coup de pied dans le dos ? ». Peu importe, ses joueurs donc, fréquentent assidument une salle de crossfit à Albi. Normal puisque Tommy, troisième ligne aile, y officie comme coach sportif, en plus de ses galons de capitaine marssacois. Visiblement, il fait du bon boulot : pas un pet de gras pour les avants, muscles saillants pour les trois quarts, dont l’arrière pourrait allègrement jouer talon, et inversement ! L’épidémie des maillots rétrécissants a frappé l’ensemble du groupe bleu et jaune, mais sans effet indésirable a priori. Brens de son côté, a le maillot plus ample, ou les muscles moins gonflés peut-être, mais a comme logo « pikachu » sur sa manche. On ne va pas boxer dans la même catégorie semble-t-il.
Pourtant, tout ce beau monde a failli porter les mêmes couleurs et les mêmes tuniques. Ces dernières années, Marssac s’était mis en sommeil, Brens avait déclaré forfait général, l’idée d’une entente avait fait son chemin, mais s’était perdue dans une impasse. Les uns accusant les autres d’avoir savonné la planche. Du temps s’est écoulé sous les ponts du Tarn, et les dirigeants de l’époque ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Les relations sont apaisées, et puis qui sait, un jour peut-être, on reparlera d’une fusion. Comme celle que Brens va confirmer avec l’entente Montans-Peyrole-Cadalen, l’autre club d’à côté qui manquait d’effectif, et a rejoint Brens en début de saison.
Il faut dire qu’à l’ombre du grand frère albigeois et gaillacois, il y a du monde qui se bat pour se faire une place au soleil. Nicolas Soleil justement, le bien nommé président de Brens nous confirme sa simple joie de revoir du rugby dans son village. Côté marssacois, on ne dit pas autre chose, conscient que la mise en sommeil aurait pu être fatale. Alors oui, chacun se réjouit d’aligner une équipe, de voir du monde autour du terrain, et de la buvette (il faisait chaud on vous dit).
14h59, les deux équipes sortent des vestiaires après avoir poussé un cri de guerre, les regards en disent long sur la motivation de chacun. 15h, coup d’envoi. Première réception et premier en avant. Les points de rencontres de ce début de partie sont l’occasion d’évacuer un trop plein de testostérone. Les plaquages sont appuyés, les têtes aussi parfois, l’intimidation est d’usage, mais on reste dans les limites.
Pas le temps de s’oublier de toute façon, le rythme est soutenu. Les intentions sont là, même si des deux contre un sont oubliés au profit de quelques « culs » qui font plaisir au public (un peu moins à celui qui s’est mis en opposition en mode essorage 1400 tours), on voit du jeu.
A vrai dire, on oublie vite que l’on regarde un match de 4ème série. Les passes sont vissées, au cordeau, les plaquages aux jambes sont dignes d’un ralenti sur Canal, le ballon va d’une aile à l’autre, bref, on se régale. Le physique crossfité des visiteurs permet néanmoins de créer des brèches à l’impact. Raynal le centre marssascois, après avoir ouvert le score sur pénalité, se signale par deux exploits personnels, à base de raffuts, d’accélérations, de feintes de passes et d’une belle finition. Il ratera de peu la première transformation, tout comme il réussira de peu la seconde face aux perches, à 20 mètres, juste au dessus de la barre transversale.
A ces 15 points marqués en première mi-temps, Brens, à l’envie, au courage mais aussi à la technique, ira deux fois derrière la ligne aussi. 14-15 à la pause, tout le monde souffle, même le vent. De quoi faciliter la dispersion des odeurs de frites, qui partent en barquettes dans les mains et les estomacs des plus affamés. Et ils sont nombreux !
Le deuxième acte est à l’image du premier : des intentions, du rythme, de l’envie, du courage, des plaquages, à tour de bras, plus ou moins musclés, mais peu importe. Les défenses tiennent bon. Ce n’est pas faute d’essayer, mais rien n’y fait. On dégage les ballons en touche, ou plutôt dans le champ d’à côté. Les remplaçants ont fait leur entrée, la fatigue aussi. Les supporters des deux camps donnent de la voix.
Touche pour Marssac, le talon attend l’annonce. « 358 416 ». Il s’exécute, envoie un ballon en fond de touche, mais pas vraiment droit. Un supporter local chambre : « C’était 418 qu’il voulait dire en fait ». Ca rigole dans le public, un peu moins sur le rectangle vert. On entre dans le dernier quart d’heure, les « impac » restent rudes, certains y laissent une arcade, une cheville. La volonté mélangée à de l’orgueil survitaminé font que le bras de fer restera indécis jusqu’à la 80ème minute. Mais l’intimidation du début de rencontre a laissé la place à des gestes qui trahissent le respect et le fairplay enfouis jusqu’alors.
Toujours 14-15, dernière action, derniers frissons, l’excellent arbitre du jour porte le sifflet à sa bouche, et siffle les trois coups. Les uns hurlent leur joie, les autres intériorisent leur amertume. Les émotions ont été fortes, chacun les expulse à sa façon.
Le temps de faire redescendre le palpitant, et tous ces braves du dimanche après-midi se saluent, se serrent la main, se tombent dans les bras, soupirent, sourient. Le match est terminé, il n’y a plus que du respect entre joueurs, de la complicité aussi. La double haie d’honneur des uns pour les autres le démontrera bien.
Juste avant, et comme nous l’avions mis en avant en vidéo il y a peu, Mathieu, ex joueur de Montans, qui a suivi ses copains à Brens, va avoir droit à son moment de bonheur. Celui que Régis, son coach (et éducateur spécialisé donc), prépare en douce pour lui offrir quelques minutes sur le pré, de manière officieuse, juste après le coup de sifflet final officiel. Cet instant de complicité entre deux équipes qui, d’un commun accord, laissent Mathieu, autiste, traverser le terrain avec le ballon sous le bras, pour aller inscrire un essai. Son essai ! Chacun joue le jeu, la défense adverse desserre l’étreinte, plaque, mais à côté, et tout le monde applaudit le plongeon victorieux. Frissons garantis. Au moment où les équipes se regroupent pour former un cercle, le « foudroyeur », surnom de Mathieu, a bien conscience que son équipe est déçue d’avoir perdu, malgré son essai de la dernière minute. Il prend alors la parole pour distiller une phrase qui laisse pantois ses coéquipiers : « L’échec est le meilleur professeur ! ». Etonnant et inspirant ce gars quand même.
C’est l’heure de chanter dans les vestiaires pour les vainqueurs du jour. Eux qui maîtrisent le fameux « You’ll never walk alone » ne savaient pas que Liverpool, deux heures plus tard, allait en coller une bonne à Manchester United. Unis, Marssacois et Brensols l’étaient tous après la douche, pour boire un coup. Viendront les selfies, les textos, la consultations des autres résultats, des premiers commentaires, et de la deuxième bière. Le reste ne nous appartient plus. La fraîcheur tombe, comme le soleil. Ce derby du Tarn, a fait le bonheur de toutes et tous, y compris celui du président du Comité départemental, Alain Rey, venu en simple spectateur, et ravi lui aussi de ce beau spectacle.
Un jour de derby comme il en existe tant d’autres finalement, dans le reste de la France du rugby d’en bas. Un derby de rase campagne qui nous rappelait que le Covid nous en avait privés trop longtemps. Qu’il fallait apprécier ces instants précieux, comme joueur et comme spectateur. On se dit à dimanche prochain ?
Deux équipes qui seront pas loin du carré final…