Il faisait froid, le ciel était bas et gris, au point d’allumer les projecteurs vers 16h, en deuxième mi-temps. Ce premier match d’après changement d’heure nous rappelait que l’hiver était proche. La pluie fine des highlands du Tarn n’allait pas tarder à humidifier ce gros choc du dimanche entre le beau village de Lisle-sur-Tarn et la Chataigneraie-Célé, entente auvergnate-lotoise. Et pourtant, le scénario et l’envie de tous les acteurs allait quand même nous faire oublier ces caprices météorologiques, et nous réchauffer de ces instants uniques qui font la beauté du rugby amateur. On vous raconte… (par Jonah Lomu – Photos Christophe Fabriès)
Chataigneraie Célé, quel doux nom pour un club de rugby. Résultat d’une fusion originale mais logique depuis juin 2020, entre Maurs, club du sud Cantal et de Bagnac-sur-Célé, club du nord lotois, séparés de 7 km seulement. (voir notre article). La greffe semble prendre cette année, car l’équipe fanion se présentait invaincue avec une joli bilan de cinq victoires de rang. Un leader de poule qui partait donc avec les faveurs des pronostics face à une équipe de Lisle-sur-Tarn, exempte le weekend précédent, sur courant alternatif avec 2 victoires (dont une à l’extérieur) et 2 défaites (dont une à domicile).
Ce statut de favori sera confirmé dès l’entame du match. Après avoir monopolisé le ballon depuis le coup d’envoi, « The » Roques, le demi de mêlée visiteur, dynamise, colle au ballon, et met les cannes. Une brèche s’ouvre devant lui, il trouve à hauteur son centre Teulade qui marque le premier essai du jour dès la 2ème minute de jeu, transformé par l’ouvreur Minguillon (0-7). Ce dernier ratera une pénalité en moyenne position trois minutes plus tard. On craint alors le pire pour les locaux.
Mais la suite est plus brouillonne, entre en avants, touches perdues, fautes au sol et coups de pied directement en touche. Enfin en touche, hors stade pour être plus précis. Le Stade de la Noyère a ceci de particulier qu’il est bordé par une voie ferrée d’un côté et par une rangée de sapinettes bien épaisses, de l’autre, mais pas très hautes. Pas assez hautes pour empêcher la gonfle de partir chez les habitants mitoyens. Au bout de trois ballons « perdus », on demande aux visiteurs d’en fournir un ou deux, sans suite favorable. « Ils viennent sans ballons eux ? » entend-on du côté tarnais, « On vient, c’est déjà pas si mal » rétorque-t-on sur le banc adverse avec un sourire en coin.
Un sourire qui va s’effacer sur l’action suivante. Chandelle des locaux, tentative de contrôle du pied par l’arrière de la Chataigneraie, qui se déchire. Lucas Caminati, le jeune ouvreur maison, se montre plus habile avec son pied, pousse le ballon et aplatit au pied des poteaux. Julien Tichit transforme, 7-7. Lisle-sur-Tarn semble comme libéré par cet essai tombé du ciel, et envoie du jeu. Sur son aile, Jeantout déborde et joue un par dessus qui débouchera sur une pénalité aux 22 mètres adverses. Tichit la rate de peu.
Les locaux ne lâchent pas l’étreinte pour autant, avec des avants conquérants. Suite à une touche bien captée, ils forment un maul qui avance sur 20 mètres. En tête de proue, Quentin Barthe, impressionnant de détermination en seconde ligne, se détache et marque le deuxième essai des siens. Tichit transforme (14-7, 24ème).
L’autre ailier, Pierre André Raissiguier va se signaler aussi par un déboulé grand champ après interception, qui prend de vitesse tout le monde. Troisième essai, 19-7 (27ème). Le premier changement du match intervient à la demi-heure de jeu. Samuel Messelet, arbitre de la rencontre, s’était tordu la cheville depuis un quart d’heure, et malgré sa bonne volonté, ne pouvait plus assurer sa fonction. Après discussion avec Thomas Montesinos, représentant fédéral de la rencontre, C’est donc Monsieur Bellvehy, arbitre des réserves, devenu spectateur derrière la main courante, qui redevenait acteur central en l’espace de quelques minutes. Et il va vite se remettre dans le bain…
Cette micro-pause a semble-t-il réveillé des visiteurs quelque peu assommés par ces trois essais consécutifs. Le solide pilier Fau se prend pour Demba Bamba et met toute son équipe dans l’avancée, qui alterne bien le jeu au près et au large. Les Lislois sortent les barbelés, mais se mettent à la faute. A force de les accumuler, Jeantou-Villeret en paye le prix d’un carton et dix minutes de repos forcé. Minguillon, très efficace au pied, en profite pour combler le déficit de points sur la pénalité (19-10).
Mais même à un de moins, les locaux continuent à envoyer du jeu. Thibaut Bernat, 3ème ligne centre râblé au physique de talon (qu’il était encore l’an dernier), démontre qu’il a du gaz. Il se prend même pour Jonah Lomu en envoyant valdinguer deux adversaires. L’action débouche sur une pénalité longue distance que prend Rémi Barthe, dont le petit passé de footeux ne suffit pas à convertir cette tentative en trois points de plus. La Chataigneraie Célé va perdre sa supériorité numérique quand Fabien Ponton, retourne sans ménagement Marin Fieffe, le demi de mêlée local. Ce sera tout pour ce premier acte enlevé.
Lisle de la tentation… du jeu…
A la reprise, les débats sont plutôt équilibrés, chaque équipe essaye de jouer dans le camp adverse avant de prendre des risques inconsidérés. A ce petit jeu, Raissiguier, après avoir fait admirer sa pointe de vitesse en première période, fait apprécier son jeu au pied et dévisse une chandelle qui aurait pu profiter aux Auvergnats-lotois. Mais l’ailier tarnais n’est finalement pas loin de marquer un essai trois temps de jeu plus tard. Tichit aggrave malgré tout le score sur pénalité (22-10).
Les premiers bobos accélèrent les premiers changements, côté joueurs cette fois. Un petit crachin s’invite sans demander la permission. Peut-être la cause du ballon échappé de justesse par Fieffe, replacé à l’aile, et qui a failli récupérer un coup de pied dans l’en but. Les visiteurs ont senti le vent du boulet, et reprennent le jeu à leur compte. Thomas Minguillon, plaque tournante des Rouge, valide par trois points (22-13). La défense tarnaise est mise à contribution, l’occasion pour Michael Larde de montrer tous ses progrès en plaquage offensif. Le jeune troisième ligne aile local aura distillé quelques tampons « dusautoiriens » durant ce match.
On ne s’économise pas, les chocs sont rudes. Sur l’un d’eux, Da Silva, talon lislois reste au sol. Passé le frisson de peur, le gaillard se relève, sonné, mais pourra rassurer son fiston, accouru pour voir son papa, en pleurs. Il sera réconforté par une petite claque sur la joue et un « Mais ne t’inquiète pas, tout va bien ! » qui fera sourire derrière la main courante. Un petit moment d’angoisse transformé en joli moment d’émotion.
La valse des changements continue. Marin « Paillaugue » Fieffe, à créditer d’une belle partie, est remplacé. Les vagues successives de la Chataigneraie Célé continuent d’être repoussées par une défense sans faille, et par le coup de pied précieux de Rémi Barthe. Lisle-sur-Tarn va même se montrer réaliste par la botte du dentiste Tichit, incisif et décisif (25-13). Ses compères du pack de devant tenteront même dans les derniers instants de la partie, de glaner le bonus offensif sur une pénal touche. Sans réussite. Qu’importe, la victoire était assurée, ce qui 80 minutes plus tôt, était loin d’être le cas. L’ASL inflige la première défaite au leader, qui n’est plus invaincu, mais avec 5 succès en 6 matchs, peut considérer son début de saison comme très bon malgré tout.
Après ce match âpre mais sans accroc, disputé dans un excellent esprit, la pression retombée sitôt le coup de sifflet final… dans les gobelets. La réception d’après match, dans la salle « Vincent Moscato » (qui a fait ses vrais débuts de rugbyman à l’ASL) était des plus agréables, y compris pour Brennus le chien mascotte du club, qui ne savait plus où donner de la tête pour terminer les assiettes des uns et des autres. Damien Greffier, capitaine et historique de l’ASL, justifiait son nom en garantissant l’authenticité de l’élection du cagolin du jour. Les visiteurs repartaient à la maison, déçus du résultat final, mais ravis de l’accueil. Les locaux ravis de la belle opération du jour, poursuivaient la soirée. Le temps pour nous de les laisser « analyser » cette double victoire. Un bon dimanche de rugby amateur touchait à sa fin. Merci messieurs !
Les réactions
Jean-Pierre Miguel, co-entraîneur Lisle-sur-Tarn : « Les joueurs ont montré du mental. Le travail paye car ils sont bien présents aux entraînements. On leur a dit qu’on jouait le premier de poule et que l’occasion était belle pour sortir un match référence, je crois qu’on le tient.
Claude Lardet (co-entraîneur Lisle-sur-Tarn) : « On est au club depuis cet été, un nouveau groupe se forme, et je parle du groupe séniors, sans distinction entre ceux qui jouent en Une ou en réserve, qui ont tous sorti un gros match. Cette victoire peut et va lancer notre saison. On a encore du travail, mais aussi beaucoup de motifs de satisfactions. Il y a de bons mecs dans ce club, ça fait plaisir. »
Franck Membrato (co-entraîneur La Chataigneraie-Célé) : « Première défaite oui, mais à l’extérieur, et chez une belle équipe dont on connaissait les qualités. On savait où on venait, ils méritent leur victoire. Peut-être que nous méritions le bonus défensif. Notre bilan sur 6 matchs reste bon, et cette défaite ne change rien à nos objectifs, qui sont de finir dans les quatre premiers. La saison ne fait que commencer, la route est longue. »
Damien Greffier (capitain américa de Lisle-sur-Tarn) : « Très heureux de cette victoire, après un début de championnat compliqué. On s’était dit que c’était un match-bascule. Soit on perdait et on partait pour une saison galère, soit on gagnait et on revenait dans le coup pour jouer le haut du tableau. Toutes les conditions étaient réunies pour sortir un gros match face à cette grosse équipe, qui était invaincue, et qui nous peut être pris de haut. On s’est dit dans les vestiaires que chaque joueur a de la qualité, mais qu’il fallait transformer le tout en qualité collective. Cette fois, on a mis les ingrédients nécessaires pour jouer ensemble, bien, et pendant tout un match. On vient de voir le résultat, avec une grosse force de caractère, donc à nous de le reproduire chaque dimanche maintenant. »
Julien Tichit (arrière dentiste Lisle-sur-Tarn) : « Heureux et soulagé de cette victoire car on avait l’impression de ne pas arriver à lancer notre saison. On avait besoin de ce genre de match pour se retrouver. Les deux équipes sont très proches, on démarre mal car on était sous pression, mais on revient au score avec un peu de réussite, et la confiance revient aussi. On a eu beaucoup d’envie aussi. Oui, c’est vrai que quand il y a des bobos aux dents, je n’ai pas besoin de faire de la pub (rires)
Guillaume Beffrieu (capitaine Chataigneraie-Célé) : « Forcément déçu, car même si on fait une bonne entame, on n’a pas su gérer cette avance ensuite. On s’est peut être vu trop beaux, trop vite, et on a déjoué. On a subi les assauts adverses, on prend des des essais casquettes, sans parvenir à revenir au score, donc c’était compliqué. On est premiers de poule, donc on se sait attendus, on respecte tous nos adversaires. Lisle a une bonne équipe, ils étaient exempts le weekend d’avant, ils ont mis beaucoup d’envie, ils méritent leur victoire, félicitations à eux.
Thibaut Bernat (troisième ligne centre, ex talon en fin de croissance, et ailier buldozer de Lisle sur Tarn) : « On a un groupe uni, on s’est promis des choses, et on a une belle bande de copains, donc il fallait qu’on enclenche après un premier bloc compliqué. A partir de maintenant, on a confiance en chacun d’entre nous, avec le staff, et on veut aller de l’avant. On avait coché ce match pour montrer qu’on ne voulait pas faire de la figuration dans cette poule face à une belle équipe. On a bien travaillé aux entraînements, on tient sans doute notre match référence, sans faire un grand match pour autant, donc continuons à bien bosser pour aller quelque chose de bien en fin de saison.
Marin Fieffe (demi de mêlée ou ailier en alternance, et inversement) : c’était un match difficile à aborder, on avait la pression, surtout en recevant le premier de poule, invaincu. On a donc essayé de mettre les choses dans l’ordre, malgré un début compliqué, ça a plutôt bien fonctionné par la suite, avec du jeu simple, en occupant bien le terrain.
Quentin Barthe (Deuxième ligne hyperactif et homme du match) : « On se cherchait depuis le début de saison, entre les nouveaux joueurs et les nouveaux entraîneurs, avec un nouveau système de jeu. On s’était loupé sur deux matchs, et on voulait montrer qu’on ne méritait pas forcément d’être à la 6ème place de la poule.
Au même moment, une belle action solidaire…
Au cours de la semaine qui précédait ce match, une nouvelle section a vu le jour, baptisée « Ami(e)s Solidaires Lisloises ». Femmes, Mamans et Sœurs de joueurs du club de Lisle sur Tarn, avec l’accord des dirigeants du club, ont ainsi eu l’idée de récolter des fonds pour venir en soutien à l’association « Colosse aux pieds d’argile » (Association reconnue d’utilité publique, ayant pour missions la sensibilisation et la formation aux risques de violences sexuelles, bizutage et harcèlement en milieu sportif ainsi que l’accompagnement des victimes). Pour leur première « quête », ces femmes au grand coeur avaient préparé de délicieuses crêpes, parties comme des… petits pains. Bravo à elles, qui reconduiront cette opération pour chaque match à domicile des Tarnais.