Philippe Spanghero vient d’annoncer son ralliement à Florian Grill et donc à Ovale ensemble, groupe d’opposition à Bernard Laporte et son équipe. Le co-fondateur et dirigeant de l’agence Team One, spécialisée dans la communication et le markéting sportif, qui siège également au Conseil de Surveillance du Stade Toulousain, nous explique son choix et sa vision d’un rugby français plongé dans la tourmente depuis la condamnation du président de la FFR le 13 décembre dernier…
Philippe Spanghero, vous venez d’officialiser votre soutien à Ovale Ensemble, groupe d’opposition à Bernard Laporte et son équipe : pourquoi cet engagement ?
Tout d’abord, mon soutien à Ovale Ensemble date d’un an et demi, de par mes relations amicales avec Claude Hélias et Sylvain Deroeux notamment. Leur vision du rugby me parle, liée à la citoyenneté, à l’éducation, donc j’ai adhéré symboliquement, sans m’engager pour autant. Mais l’actualité de ces derniers mois m’a fait basculer.
Vous faites évidemment référence au procès concernant Bernard Laporte…
Au procès oui, mais surtout à son jugement. Ce qui se passe est grave, car il y a un déni évident. On prend en otage le rugby français sous prétexte d’en avoir obtenu la Coupe du Monde 2023, alors que la FFR n’intervient pas directement sur l’organisation de la Coupe du Monde. Nous parlons quand même d’une condamnation pour des faits avérés graves.
Bernard Laporte a fait appel de sa condamnation, et bénéficie donc, d’ici le prochain jugement, de la présomption d’innocence…
La France est le seul pays où la présomption d’innocence existe. Dans les pays anglo-saxons, comme l’Irlande, où siège l’IRB, ce n’est pas le cas. A leurs yeux, la condamnation est effective, et il est donc impossible de rester président. De même que pour World Rugby, où la position de Bernard Laporte était incompatible avec sa condamnation. Au-delà de ces paramètres juridiques, il faut juste imaginer que les regards du monde entier seront braqués sur la France en septembre prochain, et ils le sont déjà en fait.
Cette « affaire Laporte-Altrad » nuit à notre sport, c’est indéniable et c’est regrettable alors que notre XV de France a des résultats magnifiques, est soutenu par tout un pays et nous permet d’espérer le meilleur.
« Que Bernard Laporte se représente… »
Bernard Laporte a proposé de se mettre en retrait, et de nommer un président délégué (vote prévu lors du Bureau Fédéral de ce vendredi 6 janvier), cette perspective ne vous convient pas ?
Dire aux clubs que le président condamné propose lui-même un autre candidat pour son poste, même provisoirement, pose un problème moral, et pose un problème aux 49% des présidents de clubs qui ont voté contre Bernard Laporte lors de la dernière campagne à la présidence à la FFR. Sans la Coupe du monde à venir, je suis convaincu que Bernard Laporte aurait déjà démissionné. Mais ce n’est pas un totem d’immunité que l’on brandit en disant que c’est injuste de lui enlever « sa » coupe du monde. Que je sache, personne ne l’a obligé à avoir cette posture, à prendre certaines décisions, au point d’être reconnu coupable. Nommer un président délégué renforce le déni dont je parlais précédemment.
De nouvelles élections, qui auraient lieu dans quelques semaines, à 8 mois de la coupe du monde, seraient donc la seule solution ?
Florian Grill réclame de nouvelles élections en effet, et c’est la seule solution pour que le rugby français retrouve de l’apaisement, avec à sa tête, un président légitime. Il faudrait même que Bernard Laporte se représente puisqu’il se dit légitime malgré sa condamnation. Dans ce cas, donnons la parole aux clubs amateurs. Le candidat alors élu sera en effet légitime pour représenter le rugby français pendant les prochains mois, la coupe du monde et au-delà.
Car il y a beaucoup de dossiers à traiter, concernant le rugby amateur, vous le savez bien, comme les frais d’arbitrage, les frais kilométriques, la réforme des niveaux, etc. Il y a eu des promesses non tenues.
Nous avions évoqué ces questions avec Alexandre Martinez (trésorier de la FFR) en décembre dernier (voir article : « Nous allons tenir tous nos engagements »), qui s’était expliqué sur chacun de ces points…
Certes, mais chacun peut commenter des chiffres à sa façon, leur donner une justification. Je ne suis pas là pour faire une guerre des chiffres de toute façon. Sinon, j’évoquerais la vente des droits commerciaux du Tournoi des 6 Nations à CVC. Le Tournoi étant la manne financière principale de la FFR. Non, je veux juste dire que la réalité du terrain est la seule qui compte pour les clubs.
« Mon nom est un handicap parfois, mais… »
On pourrait vous rétorquer que vous vous engouffrez dans une brèche pour prendre la place, au meilleur des moments…
S’engouffrer dans la brèche pour prendre la place ? Mais pas du tout, on joue notre rôle, celui d’une opposition qui n’accepte pas que la majorité du Comité Directeur ait voté pour que les frais d’avocats de Bernard Laporte soient avancés et payés par la FFR, c’est un abus de bien social. Messieurs Buisson, Mondino ou Doucet, qui sont pressentis pour être nommé au poste de Président-Délégué, sont des gens censés, je les connais, je ne peux pas croire qu’ils ne fassent pas un pas de côté, ou en arrière. Tous les membres qui composent l’équipe de Bernard Laporte, l’ont soutenu et le soutiennent encore.
Ils sont dans une impasse, mais donnent l’impression de ne pas vouloir l’admettre. C’est vraiment regrettable, car les conséquences sont plus importantes qu’on ne le croit.
C’est-à-dire ?
Je fais référence aux partenaires historiques, que je connais. Ils se sont réengagés grâce notamment à cette Coupe du Monde à venir sur notre territoire. Ils sont ravis des résultats de l’équipe de France et de l’image renvoyée. Je pense qu’ils le sont moins quand on parle d’un rugby français qui fait des vagues jusqu’au plus haut niveau, et qui nuit à leur image de marque.
Vous évoquez les partenaires du rugby français que vous connaissez donc, puisque vous êtes un homme de communication, et de médias aussi. Malgré tout, nos lecteurs peuvent se poser la question de votre légitimité à vous exprimer de la sorte. Si ce n’est que vous avez un nom qui parle à tout le rugby français…
Je me suis posé la question de ma légitimité en effet. Et vous avez raison, j’ai un nom, connu, qui a été et reste par moment un handicap pour moi. Mais je ne vois pas en quoi je serais moins légitime qu’un autre. J’ai grandi dans le rugby, j’y ai joué en jeunes au Stade Toulousain, j’étais en sport-études, j’ai joué en fédérale 1, mes meilleurs amis sont issus du rugby, je travaille depuis 14 ans avec mon agence dans le monde du rugby, j’ai soutenu beaucoup d’actions avec Terres en Mêlées, les Rubies, le rugby fait partie de ma vie tout simplement.
J’ai 37 ans, je n’ai jamais été pro c’est vrai, mais je considère malgré tout que par ma connaissance et mon travail, je peux apporter des idées qui serviront la cause du rugby. J’avais le choix, rester en dehors du débat ou m’engager. Ce n’est pas un choix facile, car justement mon nom engage celui de ma famille.
Que faut-il attendre dans ces prochains jours, pour espérer enfin un apaisement général ?
Des élections, tout simplement. La FFR annonce que ce vendredi, un président délégué sera « élu ». Mais ce sera plus un référendum pour voter pour ou contre une personne désignée à l’avance. Beaucoup de présidents de clubs amateurs et professionnels attentent et réclament de véritables élections Il y a eu des lacunes, pour ne pas dire des malhonnêtetés, reconnues par la justice. Il y a donc une véritable possibilité de repartir sur de nouvelles bases, le rugby français le mérite et doit pouvoir s’exprimer. C’est primordial pour retrouver de la sérénité, mais c’est aussi une question d’éthique.