Le dernier match de la phase aller du Top 8 féminin nous offre un derby de la Garonne très attendu entre le Stade Toulousain qui accueillera à 21h le Blagnac-Saint-Orens Rugby Féminin. Les deux formations ont remporté cinq matchs, occupent la deuxième place du classement à égalité de points, en sont à une victoire partout en 2015-16, et comptent autant d’internationales chacune (7). Le Stade Ernest Wallon sera donc le théâtre d’une confrontation qui s’annonce aussi équilibrée que passionnante, l’occasion pour nous de donner la parole à Philippe Gleyze, entraîneur des 3/4 stadistes. Même si le Gascon qu’il est, se garde bien de se dévoiler, et s’exprime avec la même maestria qu’un Guy Novès des grands jours, son avis, lui qui a entraîné aussi le BSORF par la passé, et son regard sur le rugby féminin, sont toujours intéressants à connaître…
Philippe, que pouvez-vous nous dire sur le début de saison du Stade Toulousain Féminin ?
Il est conforme à nos attentes avec 5 victoires en 6 matchs, dont 3 à l’extérieur, et une défaite à Lille le champion de France. Sans avoir créée d’exploit, puisque Lille et BSORF ont aussi gagné à Montpellier, nous sommes donc dans le timing de notre objectif de qualification. L’équipe a gagné en maturité, notamment sur 2 aspects où elle était irrégulière : à savoir la préparation des matchs et la gestion du score. Par ailleurs, côté points faibles, comme nous l’avons vu contre Montpellier, nous sommes encore trop friables lorsque nous tombons dans le cycle « faute/pénalité/pénaltouche » et j’ai très peur qu’avec le pack dont il dispose, le BSORF n’ait prévu d’appuyer là ou ça fait mal, d’autant que ces phases là ne sont pas toujours arbitrées selon la nouvelle règle.
Justement, ce derby contre le BSORF, comment le voyez-vous ?
Nous nous attendons à un gros combat devant, surtout avec la météo annoncée, mais selon moi, les enjeux de ce match sont moins sportifs que médiatiques et promotionnels. En effet, le passé prestigieux du BSORF, sa présence régulière en demi- finale et sa pléiade d’internationales font que ce club joue le titre chaque année. Nous, nous ambitionnons surtout la qualification ce qui serait déjà un exploit dans la jeune histoire de notre club et, à ce titre, nos adversaires sont d’avantage Bobigny, que nous rencontrons dans une semaine, et Rennes chez qui nous nous déplaçons en suivant. Les enjeux sont par contre de faire connaître davantage, et même aimer, le rugby féminin au grand public, surtout en cette année de Coupe de Monde (au mois d’Août 2017 en Irlande).
La retransmission du match sur Eurosport 2 devrait y contribuer ?
Vu les conditions météorologiques annoncées et la préparation tronquée, du fait que de nombreuses joueuses de chaque camp sont convoquées pour des stages nationaux, un match international programmé dans la semaine, un tournoi international à VII, ainsi qu’un tournoi régional, la partie n’est pas gagnée d’avance. Ceci étant, ne nous plaignons pas et faisons de notre mieux pour exploiter de manière optimale la fenêtre qui nous est ouverte en ce samedi soir oui.
Deux équipes comme le BSORF et le Stade Toulousain en Top 8, séparées de quelques kilomètres seulement, est-ce durablement viable, comme Bayonne et Biarritz chez les hommes par exemple ?
Très sincèrement, quand on voit le travail de terrain fourni par les comités et les clubs en terme de détection et de formation, l’intérêt croissant pour la pratique dans tous les départements de la région, les résultats des deux équipes phares du secteur et le bassin encore à exploiter, je ne suis pas du tout inquiet pour cela. En revanche, ce sont les ressources financières dont disposeront les 2 clubs qui pourraient poser problème. La chasse aux partenaires locaux n’est pas une manne suffisante pour absorber les budgets nécessaires au bon fonctionnement des clubs féminins. Sans une mise en adéquation entre les velléités politiques, qu’elles soient nationales, locales ou fédérales, cela peut s’avérer plus compliqué. Mais je ne souhaite pas noyer l’événement sportif historique que nous allons vivre à Ernest-Wallon, ce samedi !
Plus généralement, comment jugez-vous l’évolution du rugby féminin ?
Sur un plan sportif, moi qui ai entraîné le BSORF, déjà au sommet de la hiérarchie, voilà 15 ans, le niveau technique s’est considérablement élevé et les aptitudes des joueuses permettent, de plus en plus, de menacer simultanément tous les axes du terrain, d’adapter les stratégies de match aux adversaires d’un jour et de pratiquer un jeu beaucoup plus télégénique et vendeur pour un diffuseur. Ceci a été permis par une pratique de plus en plus précoce des joueuses et notamment grâce à une organisation fédérale dynamique avec des détections départementales dans les écoles de rugby et à la création d’un filière de haut niveau d’abord régionale puis nationale.
Pourquoi a-t-on ce sentiment alors que les compétitions ne sont pas forcément à la hauteur de cette évolution ?
Sur un plan plus général, je pense que nous traversons ou allons traverser une inévitable, prévisible et sans doute nécessaire crise de croissance. Le bassin de jeunes joueuses à potentiels, bien que largement croissant, n’a pas encore la dimension de celui des garçons alors que le nombre de compétitions proposées à ces joueuses est identique, voire supérieur. Les mêmes joueuses peuvent donc être amenées en une même année civile à participer à des compétitions de VII régionales et nationales, en U18 puis U20 régionales et nationales à XV, en universitaire et même dans certains cas de plus en plus fréquents à la grande équipe de France, en plus des compétitions de clubs ! Or, ces derniers sont souvent pourvoyeurs d’emplois, facilitateurs de scolarité ou parfois même employeurs. L’encadrement et le suivi médical de ces joueuses va crescendo, tout comme la coordination clubs/FFR mais il en résulte une forte sollicitation, précoce et peu propice aux temps de préparation et à une scolarité épanouie, toutes ne bénéficiant pas encore forcément d’études aménagées ou d’employeurs compréhensifs. Mais cet état de fait est probablement le passage obligé vers une organisation plus mature d’ici peu, tous les acteurs y mettant de toute façon de la bonne volonté.
A propos de la diffusion du match à la télévision ce samedi, l’avis de Nicolas Tranier, co-entraîneur du Bsorf :
« Pour moi ce derby télévisé est un coup de projecteur pour le rugby féminin en haute Garonne et en général bien mérité pour les filles. De notre côté, l’enjeu est de continuer à mettre en place notre projet de jeu face à un prétendant aux demi finales qui sort d’une victoire à l’extérieur ! Et surtout de continuer également à prendre du plaisir sur le terrain. »