En 3ème-4ème série, le Rugby Canton Puy l’Evêque n’est pas parvenu à conserver et attirer suffisamment de joueurs. Son président, Ludovic Pennequin, a donc la mort dans l’âme, annoncé à la Ligue Occitanie le forfait de son équipe séniors masculine (comme bien d’autres ces derniers jours, voir notre article). Le président lotois, qui a bien voulu répondre à nos questions dresse un bilan sans concession sur le rugby amateur, des villages. Un témoignage fort qui cache un cri d’alarme…
Président, le Canton Puy l’Evêque, malgré une école de rugby et une équipe féminine, il n’y aura donc pas d’équipe masculine séniors cette année. Pourquoi ?Le rugby est un sport collectif qui se perd dans une société devenue individualiste. Les gars se dirigent de plus en plus vers les sports individuels. La moyenne d’âge dans les clubs de rugby est plus proche de 32 ans, que de 22. les jeunes vont faire leurs études dans les grandes villes, et ne reviennent que la trentaine passée, quand ils ont une famille ou qu’ils reviennent habiter à la campagne. Notre positionnement géographique n’aide pas assurément, notre bassin économique aussi. Mais l’investissement humain est la cause principale de ce forfait.
On vous sent très déçu…
Forcément… (silence). C’est un coup de massue car nous avions 18 joueurs motivés, mais par sécurité, il faut savoir arrêter. Cette sécurité que nos instances mettent justement en avant, il faut y penser. Les nouvelles règles sur le plaquage font que les cartons jaunes vont tomber, il y aura des suspendus, logiquement. Car les joueurs de 4ème série ne sauront pas s’accommoder de ces règles rapidement, il y aura forcément un temps d’adaptation. Ce n’est pas avec trois ou quatre entraînements en août, puisque les gars sont souvent en vacances à ce moment-là, que les têtes auront tout enregistré. Sans parler des corps qui ne peuvent pas être prêts. On peut essayer de reprendre le 15 août, au mieux, mais à raison d’un ou deux entraînements par semaine, ce n’est pas suffisant. Et on ne peut rien y faire, chacun a ses impératifs, ses congés, sa famille, je le comprends tout à fait. Mais reprendre la compétition avec 5 ou 6 entraînements dans les jambes, c’est physiquement dangereux. Si le corps ne suit pas, comment voulez-vous avoir la tête froide, et penser aux nouvelles règles en plus ?
Vous êtes fatalistes…
Réaliste plutôt. Je ne crois pas être seul à penser ainsi. Réunir un groupe d’une trentaine d’adultes aujourd’hui devient compliqué. Et puis l’argent a fait du mal dans le rugby amateur.
« On a une équipe de rugby oui, mais artificielle, sans véritable âme… »
Même en 4ème série ?
Bien sûr ! Des jeunes joueurs qui n’ont rien prouvé, demandent d’entrée de l’argent. Certains viennent pour faire du sport, s’entretenir, mais n’ont pas forcément cette culture du sport collectif. j’irai même jusqu’à affirmer qu’il y a un désintérêt pour les sports collectifs d’extérieur. C’est moins vrai pour le basket, le volley ou le handball qui nécessitent moins de joueurs, et se jouent en intérieur. Le rugby demande de la rigueur, aux entraînements, et le dimanche, il demande du respect aussi, vis-à-vis de soi et de ses partenaires, ce respect qui fait qu’on ne plante pas les copains le dimanche matin avant de partir en déplacement par exemple, ou parce qu’il y a un anniversaire familial. Au final, on a une équipe de rugby oui, mais artificielle, sans véritable âme. Et c’est sûrement mon échec principal…
En quoi êtes-vous responsable ?
Parce que je n’ai pas su fédérer un groupe. J’avais des licenciés oui, mais malgré 30 licences, on partait parfois à 17 le dimanche. On a perdu des gars en cours de route, certains partaient au printemps à la pétanque, d’autres à la pêche, en vacances, etc… J’aurais peut être dû insister en début de saison sur la notion d’engagement quand on prend une licence, pour l’honorer jusqu’au bout, ne serait-ce que pour les copains, mais là aussi, je trouve que certaines valeurs se perdent…
Lesquelles par exemple ?
C’est symbolique. Mais quand les anciens restaient boire une bière le vendredi soir après l’entraînement, les jeunes, eux, ne restaient pas forcément. On m’a dit dans des clubs voisins, que leurs jeunes préféraient aller boire des bières à 3.50€ dans un bar à côté, plutôt qu’à 1.50€ au club house. Ce n’est pas la conception que j’ai d’une équipe soudée, d’un esprit club. Les jeunes sont moins investis, ont moins le rugby dans les tripes qu’avant.
Selon vous, le problème vient des jeunes donc ?
Ce n’est pas de leur faute exclusive, c’est sociétal je le répète. Leur engagement n’est pas le même, ils ont des sollicitations et des vies différentes. C’est la société qui veut ça. Et puis, on les met au centre de tout, et le sport collectif ne leur correspond pas assez. Il faut aussi arrêter de bourrer le crâne de certains, comme quoi ils sont au dessus, qu’ils peuvent et iront jouer dans de grands clubs, trop tôt. C’est peut-être vrai, mais qu’ils montrent leur talent et leur progression de manière régulière et on en reparlera. Il n’est pas rare qu’un jeune pris en sélection se croit arrivé. Chez nous, quand un gamin traverse le terrain et qu’il est au dessus, on lui dit que c’est avant tout un sport collectif et un jeu de passes. Qu’il est au-dessus cette année peut-être, mais que la saison suivante, ce ne sera pas forcément le cas. On va le pousser à devenir meilleur sur le terrain et dans la vie, sans esprit de compétition trop poussé, avec la notion de plaisir d’abord. On peut lui dire qu’il a fait un bon match, mais on peut lui dire aussi ce sur quoi il doit progresser.