Le sport amateur est dans le dur à cause de cette crise sanitaire à durée indéterminée. Le rugby amateur, sport collectif et de contact par excellence, en paye le prix fort. Côté sportif, avec la fin prématurée des compétitions au printemps dernier et donc l’annulation des sacro-saintes phases finales. L’annonce récente d’une seconde annulation de ces traditionnels matchs du printemps a pris de court bon nombre de clubs. Certaines voix s’élèvent pour affirmer que ce serait une source de démotivation, voire même d’abandon parfois, et in fine, synonyme de pertes de licenciés. Côté financier, la situation, déjà préoccupante, s’est aggravée. Sans match, sans repas, sans buvette, sans public, et avec des partenaires eux-mêmes impactés, tous les clubs sont naturellement fragilisés. La reprise de la compétition fin janvier, est devenue un objectif prioritaire. Ce serait même une date butoir pour bon nombre de présidents, pour ne pas déclarer cette saison 2020-2021 comme terminée. C’est en tout cas ce que Louis Carles, actuel président de la Salanque (entente entre Canet, Torreilles et Sainte-Marie, évoluant en fédérale 2), bien connu pour son franc parlé, a confié lors d’une réunion entre présidents de fédérale 1, 2 et 3, la semaine dernière. Pour RugbyAmateur, le Catalan de 65 ans, maire de Torreilles de 1983 à 2014, et dirigeant de rugby depuis 1973, tire la sonnette d’alarme…
Louis Carles, vous avez participé à une réunion des présidents de fédérale, le 3 décembre dernier. Quel en était le but premier ?
Jean Pierre Grand (président de Gruissan) m’a demandé de participer à cette réunion initiée par la Ligue Occitanie, comme représentant des clubs de fédérale des Pyrénées Orientales et de l’Aude. Une sorte de rouage entre ces clubs et l’institution. Dans cette réunion en visio conférence, qui est une bonne initiative je le précise, messieurs Patrick Buisson (vice président en charge du rugby amateur à la FFR) et Alain Doucet (président de la Ligue Occitanie) étaient présents. Le but était d’y voir plus clair sur la suite à donner de cette saison. Car à force, il est clair qu’on y perd notre latin. On nous envoie des recommandations nationales, et c’est très bien, mais ces préconisations sont contrées en local, car chaque commune est libre de prendre ses propres décisions, quant à la mise à disposition des installations notamment. Il est grand temps qu’on nous éclaire le chemin à suivre, de manière claire et uniforme surtout.
Qu’attendez-vous des instances du rugby exactement ?
On se doute bien qu’il est compliqué de gérer une situation en mouvement, avec un caractère si exceptionnel. Ceci dit, et pour ne parler que du sportif, nous avons compris que la FFR veut nous faire jouer un maximum de rencontres, tout en rattrapant les matchs reportés. De fait, le calendrier serait surchargé, et ne permettrait pas d’y placer des phases finales. Or, s’il n’y a pas de phases finales, je dis haut et fort que c’est la fin de la saison pour les équipes de fédérale. Donc j’attends avant tout que l’on revienne sur cette décision prise il y a quelques semaines.
Dans ce contexte si particulier, le fait de pouvoir juste rejouer n’est donc pas suffisant pour vous ?
Si, mais on appelle ça du rugby loisirs alors. Pour les clubs et les joueurs qui aiment la compétition, il faut des objectifs, des sources de motivation pour venir s’entraîner. Une ou deux équipes par poule vont se battre pour la montée, idem pour la descente. Sur une poule de 12 équipes, cela fait un ventre mou de 8 équipes, qui n’auront aucune autre motivation que celle de jouer pour rien. Et je parle ici des équipes premières. Je ne me vois pas dire à mes joueurs de la réserve, de s’envoyer un dimanche sur deux, 200km aller, plus 200 au retour, pour disputer un match qui n’aurait aucun intérêt sportif. Et ce, jusqu’au mois d’avril. Sans objectif véritable je le répète, au coeur de l’hiver, ces joueurs vont nous lâcher. Et on le ressent d’ores-et-déjà. J’en veux pour preuve la reprise des entraînements cette semaine, en stade 3, sur trois terrains différents, en respectant tous les protocoles, je sais qu’il n’y aura que 22 présents sur un groupe de 60 chez les séniors ! Ce manque de visibilité est plus grave qu’on ne l’imagine. C’est pour cette raison que je tiens à le souligner dès aujourd’hui.
Donc pour vous, le maintien de phases finales est essentiel cette saison ?
Trouvez-moi un seul club, un seul président, un seul coach ou joueur, qui ne voudrait pas disputer de phases finales, si l’occasion se présente ! C’est ce pourquoi nous sommes tous passionnés, c’est ce pour quoi nous avons tous couru, ces moments de fête, de partage, qui restent gravés toute une vie. S’il faut s’adapter, on s’adaptera, pour l’accueil, les vestiaires, le public, et tout ce qui va autour, mais oui, ces phases finales sont essentielles. J’ai pris le temps de consulter les clubs de fédérale 2 et 3 de l’Aude et du Pays Catalan, soit 11 clubs en tout. Tous partagent mon point de vue. Et pas 38% comme un sondage de l’UCRAF semblerait l’indiquer. Et quand je passe des coups de fil hors de la région, j’entends aussi la même volonté que des phases finales soient maintenues. Et là où il y a une volonté, il y a un chemin.
« Au-delà du 31 janvier, je peux déjà vous dire que mon club de la Salanque ne reprendra pas. »
Que proposez-vous concrètement ?
Je ne dis pas qu’il y a une méthode « Louis Carles » ou que je détiens la meilleure formule, mais j’ai pris un calendrier et j’ai coché les dates, tout simplement. Partant du principe que la reprise en compétition se ferait le 24 janvier, pas avant. Après six journées, certaines équipes comptent un, deux ou trois matchs en moins, il faut les faire jouer. En revanche, les matchs annulés depuis le début du second confinement, jusqu’au 31 décembre doivent être annulés définitivement, et soumis à une péréquation. Les deux matchs reportés de du 10 et du 17 janvier doivent être joués. De même que les matchs disputés en début de saison, restent acquis bien sûr. Ainsi, si on fait un calcul rapide, nous aurons disputé 16 matchs sur les 22 prévus, dont 6 par péréquation, ce qui semble être assez équitable me semble-t-il, pour déterminer un classement…
Sans tenir compte des matchs à domicile et à l’extérieur ?
Sur 16 matchs, peut être que certains joueront 9 fois à l’extérieur, et 7 fois à domicile oui. Mais c’est comme dans un jeu de cartes, on prend ce qui vient, ça tombera comme ça tombera. Le principal étant d’avoir cet objectif de parvenir à un classement le plus cohérent et le plus juste possible. En reprenant le 24 janvier, tous les matchs rentreraient dans un calendrier qui se terminerait le 27 juin, avec 5 weekend de repos et 6 matchs de phases finales. Et qu’on ne nous dise pas qu’on ne peut pas déborder sur le mois de juillet, pour des questions d’assurance, car elles sont au repos forcé aussi cette saison, et font sûrement de bonnes économies ! J’en ai parlé avec Alain Doucet, il est ouvert à cette possibilité, on le sait. Reste à l’officialiser le plus tôt possible.
Justement, comment officialiser une date, alors que celle du déconfinement risque d’être repoussée par l’Etat, en évoquant en plus un couvre feu ramené à 19h peut-être ?
C’est sûr… Je n’ai pas la prétention de faire mieux que les autres, et je n’accuse personne non plus, car je suis bien conscient des difficultés que nous traversons. Je dis juste qu’il est nécessaire d’avoir une perspective, qu’à partir d’une certaine date, ce ne sera plus possible de reprendre la saison. Jouer deux mois, avoir une coupure de deux mois, pour rejouer deux mois, n’aurait aucun sens. C’est mon rôle de président de le dire, et de porter la parole d’autres collègues qui pensent comme moi.
Si on vous comprend bien, il y aurait une date butoir après laquelle il serait impossible de reprendre cette saison ?
Dans le cadre de celui que je viens d’évoquer, oui, exactement. Et cette date, c’est le 31 janvier ! Au-delà, je peux déjà vous dire que mon club de la Salanque ne reprendra pas. Et je pense que beaucoup de clubs auront du mal à conserver les joueurs impliqués.
Pardon de le souligner à nouveau, mais le plaisir de pouvoir rejouer passerait après celui de la compétition ?
Comprenons-nous bien, mon discours est celui d’un président responsable d’un club dans sa globalité. Je sais que si je dis « on joue pour jouer », le public et les partenaires ne suivront pas. On a besoin de ces rendez-vous importants pour intéresser et mobiliser. Je n’ai pas eu l’indécence d’aller voir nos partenaires restaurateurs, gérants de campings ou d’hôtels, frappés de plein fouet par cette crise. Mais les autres nous suivront, si on leur propose un calendrier, si on parle de 16 matchs joués sur 22, ils répondront présents. Pour les joueurs, c’est pareil. Sinon, ils iront faire autre chose le dimanche. Je suis quelqu’un d’engagé, de passionné, j’ai été maire pendant 31 ans, dirigeant de rugby depuis 47 ans, je pense que je peux affirmer que j’ai tout vu dans le rugby, le meilleur, le pire, les surprises, bonnes ou mauvaises, etc… j’en retire une chose en bon fils de paysan que je suis : le bons sens prévaut toujours. Et supprimer les phases finales, ce n’est pas du bon sens.
« La priorité absolue à ce jour, c’est d’avoir des phases finales nationales. »
Début novembre, Alain Doucet nous avait révélé son intention de maintenir des phases finales en séries (voir article). En tant que président de l’Occitanie, il ne pouvait cependant pas l’imposer aux fédérales, mais il se tenait prêt à proposer des phases finales fédérales d’Occitanie aussi ?
Oui, je l’avais vu, et ce serait un moindre mal. Cette idée de phases finales régionales aurait de l’intérêt car notre région est une des plus importantes en termes de clubs, de licenciés et de résultats. Mais encore une fois, je raisonne pour l’ensemble des clubs en France : privilégions une décision nationale. La priorité absolue à ce jour, c’est d’avoir des phases finales nationales !
Que répondez-vous à ceux qui disent que le sport amateur, et donc le rugby amateur, n’est pas une priorité ?
Je leur réponds déjà que j’en suis bien conscient. Que le personnel soignant et les restaurateurs, pour ne parler que d’eux, ont d’autres soucis que nous, présidents de clubs de rugby amateur. Que la situation sanitaire, si elle venait à perdurer dans le mauvais sens, serait la seule raison qui me ferait accepter la décision de ne pas reprendre le rugby avec des phases finales au bout. Mais sinon, je leur dis qu’il est de notre devoir de se faire entendre, et que c’est pour cette raison que je m’exprime sur votre média. Pour qu’il n’y ait pas de mauvaise surprise. Diriger, c’est anticiper, et c’est ce que nous faisons tous pour tenter de limiter la casse, qui est déjà une réalité. Donc j’espère que nous pourrons tous sortir de cette crise de la meilleure des façons, et qu’au niveau du rugby amateur, nous pourrons aussi trouver des solutions qui contenteront le plus grand nombre.