C’est dans le petit salon cosy à souhait et vintage à l’envie, de l’Hôtel du Commerce, dans le cœur historique de Montauban, que nous avons donné rendez-vous à Jonathan Elgoyhen, actuel entraîneur de Castelsarrasin (Fédérale 1). Il fallait au moins ce genre de lieu pour inaugurer notre nouvelle rubrique intitulée « L’interview du 15 », car elle sera diffusée chaque mois, le… 15. « J’en suis très honoré et très fier aussi » sourit notre invité du jour. Pendant près d’une heure, le gaillard d’1.93m va nous dérouler sa riche et étonnante carrière, lumineuse et sinueuse, celle d’un joueur passé pro contraint d’arrêter prématurément en 2014, à l’âge de 26 ans seulement, avant de trouver un exutoire, comme entraîneur, histoire de rendre ce que le rugby lui a offert. Interview du XV, première, c’est parti… (par Wildon)
Jonathan, est-ce qu’on pense à devenir professionnel quand on est gamin ?
J’ai été élevé dans cette optique avec un papa rugbyman qui a joué en équipe de France Police, porté le maillot de Dax, Pau et Oloron-Ste-Marie, disputé le challenge Yves-du-Manoir et quitté le rugby avant la professionnalisation. J’ai été élevé dans cette passion du rugby et surtout de jouer un jour au haut niveau. Même si je n’ai eu le droit de jouer au rugby qu’à 14 ans.
Tu faisais du sport avant de découvrir le rugby ?
Oui, mon père a d’abord voulu que je fasse de la pelote basque, de la lutte, et du ski. En clair, des sports qui pouvaient m’aider dans le rugby, dans des compétences spécifiques, sans que je ne le sache vraiment à ce moment-là.
Et comment se passe la découverte du rugby donc ?
J’ai commencé à Oloron, puis j’ai été pris à Pau qui m’a proposé d’entrer au centre de formation. J’y ai découvert les entrainements quotidiens. J’ai été champion de France Crabos puis vice-champion de France Reichel avec la Section Paloise.
Des souvenirs pour la vie…
Oh oui, c’était un truc énorme ! J’étais encore dans le rugby amateur, et dans tout ce que j’aimais alors dans ce sport : la ferveur, la communion, les copains. Attention, cela ne veut pas dire que je n’ai plus aimé le rugby après, car j’ai vu et vécu de belles choses après, mais le moment que je retiens le plus, c’est ça, ce titre avec Pau. On a été treize joueurs champions de France à devenir pro par la suite. Et on est tous restés en contact. Les copains, c’est cool quand même (rires).
Tout s’enchaîne très vite alors ?
Oui, car la Section venait de descendre en ProD2, j’avais 18 ans et je m’entraînais avec le groupe pro. J’ai donc été directement plongé dans cet univers professionnel. J’ai d’ailleurs joué mon premier match pro contre Tarbes, juste quelques secondes (sourire).
Tu attires l’œil de quelques clubs après ça…
Quasiment oui. J’ai eu plusieurs propositions de clubs dont Béziers où j’ai joué deux saisons. Il a fallu que je choisisse entre mes études ou une carrière pro. J’ai fait le choix d’entamer une carrière de rugbyman professionnel. Et de 3e ligne aile, je suis passé pilier droit car le club était en pénurie à ce poste. J’ai donc travaillé dans ce sens, pris du poids et j’ai disputé 15 matches en Pro D2 à ce poste.
« Elle est là ma vérité : la persévérance ! »
Et puis c’est Brive qui te repère ?
Oui, c’est Laurent Seigne qui me fait signer pour deux saisons à Brive. Mais en arrivant, on me diagnostique un problème de cervicales, ce qui m’interdit de jouer en première ligne alors que j’ai été recruté en tant que pilier ! Machine arrière toute… Il a fallu que je perde du poids pour rejouer en troisième ligne. Au final, Brive ne me conserve pas et le seul contact que j’ai eu derrière, c’est avec Christophe Urios, qui était à Oyonnax.
C’est malgré tout sous le maillot de Brive que tu disputes la Coupe d’Europe. Quel a été ton premier sentiment le jour du match ?
Le premier sentiment qui m’a envahi a été celui de vouloir bien faire. Dans mon esprit, je me devais d’être à la hauteur de joueurs tels que Antonie Claassen, Gerhard Vosloo, Alexis Palisson ou même Jamie Noon. Je ne devais pas les décevoir, ne pas être le jeune qui commet l’erreur et galvaude complètement sa chance. Le deuxième sentiment, c’était de la fierté. J’avais pour habitude de toujours prendre le temps de regarder le maillot avant mes matchs. Et celui-là, je le trouvais magnifique, tout simplement inaccessible, car les joueurs qui m’entouraient étaient pour la plupart des internationaux.
Et tu es devenu toi aussi international, à 7, en étant à Brive. Une autre grosse émotion et fierté non ?
A vrai dire, ce n’est pas forcément quelque chose que je mets en avant, car ce n’est pas une fin en soi. Mais oui, la fierté prédomine. Ce maillot te transcende, te poussant à être « hors sol ». Tu n’as plus de douleurs, plus de fatigue, juste cette envie que le temps s’arrête et que cet instant dure, car on n’en a jamais assez. Je ne suis personne ou si peu pour le rugby, un joueur lambda comme il y en a eu des millions, à peine connu de son propre village, mais j’ai eu la chance de vivre des choses exceptionnelles pour mon niveau, à force de travail et de volonté. Elle est là ma vérité : la persévérance ! Qui amène la fierté de ce que j’ai pu accomplir.
Tu as quand même participé au tournoi de Dubaï en 2011 ?
Oui c’est vrai, et on a même atteint la finale (*) ! Un truc grandiose. Franchement, jouer devant 20 000 personnes, c’est… (il souffle) fou ! Voir autant de monde réuni en plein désert, c’était aussi incroyable. Il y avait une très belle convivialité entre les joueurs et le public. Certains n’y connaissaient rien au rugby (rires) mais étaient là pour le jeu, tout simplement. Un pur régal.
Revenons au moment où Brive ne te conserve pas. Tu nous as dit avoir eu un contact avec Christophe Urios, alors entraîneur d’Oyonnax. Mais c’est finalement à Montauban que tu signes. Pourquoi ?
Montauban me voulait absolument. Ils étaient en Fédérale 1 et mon environnement familial n’était pas disposé à monter jusqu’à Oyonnax. J’étais un peu dégoûté face à tous les efforts que j’avais consentis… j’étais prêt à arrêter ma carrière professionnelle, prêt à tout arrêter. Mais Xavier Pémeja [aujourd’hui entraîneur à Nevers] parvient à me « cadrer » et me fait signer à l’USM. Cette relation avec Xavier m’a permis de construire ma relation avec les joueurs que j’entraîne aujourd’hui. Il sait lire en chacun de ses joueurs et en tirer le meilleur. L’aspect humain, relationnel et cohésion d’équipe, c’est la mission la plus difficile d’un coach. On ne s’y arrête jamais. On est des experts techniques, spécialiste de la mêlée, de la touche, de la défense, du jeu de ligne, du jeu au pied… et même de l’arbitrage aujourd’hui ! Mais qui est expert de l’humain ? Voilà ce que j’ai appris à ses côtés et qui me sert aujourd’hui, à l’heure où j’entraîne.
Combien de temps joues-tu pour l’USM ?
Deux saisons à Montauban, on rate la montée en ProD2 contre Bourgoin-Jallieu. Je suis contacté alors par plusieurs clubs dont Auch qui me propose de jouer en ProD2 une saison et ensuite rejoindre un club de Top14. Malheureusement, je finis ma carrière sur une nouvelle blessure de mes cervicales et une interdiction médicale de jouer. C’en était fini de ma carrière de rugbyman professionnel.
Nous sommes en 2014, tu as 26 ans. Comment as-tu géré ce moment de ta vie ?
Très honnêtement, c’est dur. Après cette blessure, je n’ai plus voulu entendre parler de rugby pendant quatre ans. Je n’allais même pas voir un match sur un terrain, ni regarder un match à la télé. Je ne pouvais pas. J’avais beaucoup trop de regrets, de remords et de frustration. Je dois reconnaître que ma femme m’a bien aidé et soutenue dans tous ces moments difficiles. Aujourd’hui je lui dois beaucoup.
« Je fais toujours passer le groupe avant l’individu. »
Mais tu finis quand même par rebondir dans le rugby, comment ?
Grâce à mon assureur ! (rires). Il me parle d’un poste d’entraîneur à Gimont et je signe là-bas pour entraîner les Reichel. En fait, je me lance sans trop savoir où je vais. On finit la saison avec 17 joueurs seulement, mais le club me propose ensuite de devenir entraîneur des lignes arrière de l’équipe 1 pour trois saisons. C’est à la fin de ce cycle de trois années qu’Henri Broncan me propose de le rejoindre à Mirande où je reste une seule saison, en tant qu’entraîneur des avants.
Peux-tu nous parler du sorcier Henry Broncan et de ta relation avec lui ?
Henry, pour moi, fait partie de ces hommes qui appartiennent au cercle très fermé des derniers des mohicans de la discipline ! C’est tout simplement un grand monsieur, qui m’a appris à travers lui, sans jamais me dire ce qu’il fallait faire, car il est ainsi. Il montre la voie par l’exemple, sans jamais juger ni même diriger. Il t’accepte, te façonne et, si tu en prends conscience, il peut sublimer les personnes qui l’entourent sans jamais rien demander en retour, avec pour seule satisfaction la relation du savoir. Je n’ai jamais pu le tutoyer. Je le respecte tellement qu’il est, pour moi, hors catégorie : que ce soit dans l’humain ou dans le rugby. De nos jours, l’humain doit retrouver sa place car c’est lui qui façonne les hommes, le groupe, et transcende nos relations.
En quoi ton passé de joueur professionnel t’aide à être un bon entraîneur ?
L’entraineur, ou le manager, doit selon moi avant tout fédérer les personnes, être le garant du respect du cadre établi pour son équipe, en fonction de l’histoire du club qu’il entraine. On ne verra jamais Toulouse jouer comme Castres et vice versa. Tu es aussi le garant de la franchise et de l’honnêteté envers tes joueurs mais aussi de la cohésion, de ton action et de tes choix. J’ai trop souffert d’avoir été utilisé comme on le voulait malgré mes blessures ou mes ressentis. Aujourd’hui, j’essaye au maximum, dans mon rôle d’entraineur, de dire les choses comme je les pense, mais de manière calme et pondérée. Je fais toujours passer le groupe avant l’individu. Ce n’est pas une garantie pour gagner tous les matchs, mais tu sais que tes joueurs donneront tout pour tes idées, pour le groupe et pour le club.
Quel aura été ton plus beau souvenir en tant que joueur professionnel ?
Je n’ai pas de souvenirs particuliers, mais plutôt le sentiment d’une passion commune. Un seul public, un seul stade m’a fait ressentir ça : Sapiac ! Les « ultras » de l’USM sont justement l’âme de ce stade. Ils ne font pas seulement partie des matchs, ils font partie du collectif et du quotidien des joueurs, certains d’entre eux sont même allés jusqu’à offrir des cadeaux à mon ainé pour son anniversaire, c’est dire. Montauban est un grand club, porté par une ville de passionnés. Je n’ai pas seulement un match en tête, mais tous ceux joués dans la cuvette. Inoubliable. J’en ai encore et toujours des frissons.
Montauban où tu as aussi découvert l’équipe de rugby-fauteuil des Pandas…
Oui, j’ai eu la chance de faire une immersion dans le rugby loisirs, l’année dernière, lors de ma formation au Diplôme d’Etat d’entraîneur de rugby à XV au CREPS de Toulouse. C’est comme ça que j’ai découvert le rugby-fauteuil, et notamment les joueurs et dirigeants des Pandas de Montauban. C’était une grosse expérience personnelle, qui amène de l’humilité, des émotions fortes mais aussi des valeurs humaines, sportives et sociales. J’ai rencontré des gens passionnés malgré leurs accidents de la vie.
Entre ton équipe de Castelsarrasin et les Pandas, tu vas créer une passerelle ?
L’équipe des Pandas a été sacrée championne de France de rugby-fauteuil a de multiples reprises. J’ai très envie, durant la saison, de pouvoir faire un stage commun avec amener l’équipe de Castelsarrasin. Je ne lâche pas cette idée parce que j’ai été positivement bouleversé par cette rencontre. Le rugby, c’est toujours une histoire de rencontres non ? (sourire)
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(*) L’équipe de France s’incline en finale face à l’Angleterre 29-12.