Les équipes de France à XV, à VII, masculine et féminine, sans oublier les U20, ont naturellement les faveurs des médias. Mais d’autres sélections françaises méritent la lumière. Comme le XV de France militaire, du Pacifique, la sélection nationale de la Gendarmerie (championne de France militaire en titre), le Rugby Club de l’Armée de Terre, de la Marine Nationale, du Service de Santé des Armées, le XV de la Police, l’Association Nationale de Rugby des Sapeurs-Pompiers de Paris ou encore le XV de l’Ecole de Guerre. Pour n’oublier personne, citons aussi le XV parlementaire, le XV de l’Elysée ou encore les équipes des grandes entreprises (SNCF, etc…). Poussés par notre curiosité légendaire à explorer tous les rugbys et la perspective de réaliser une Interview du 15 originale et décalée, nous avons voulu en savoir plus sur la Sélection Nationale Pénitentiaire. Le 1er décembre dernier, près d’Agen, elle était opposée à la Sélection Nationale de la Gendarmerie. La « Péni » a répondu favorablement à notre demande d’interview et s’est même montrée d’une rare disponibilité grâce à la patience de son coach, Philippe Mansieux. Echappée belle dans une sélection pas comme les autres, avec des moyens limités mais une volonté de fer, entre rugby des champs et rugby carcéral… (par Wildon)
Philippe Mansieux, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
P.M : J’ai 50 ans, je suis un ancien joueur de rugby formé à Tarbes. Je suis ensuite parti à Paris, muté pour le boulot, où j’ai joué pour l’ASPTT Paris et Clamart. Je suis retourné à Tarbes, la première année de la fusion entre Tarbes et Lannemezan pour finir à Bagnères-de-Bigorre. Je travaille dans la « Pénitentiaire » depuis 1994 et j’ai joué pour la Sélection Nationale Pénitentiaire de 1994 justement, jusqu’en 2005, année où j’en suis devenu l’entraîneur.
Plus de 17 ans comme entraîneur, c’est une sacrée longévité à ce poste ?
(Rires) Oui, plutôt. Mais en parallèle, je suis investi dans l’école de rugby du Stado Tarbes Pyrénées.
Pouvez-vous nous présenter la Sélection Nationale Pénitentiaire ?
La sélection a été créée en 1988 par Robert Mourguet à Paris. On a un vivier d’une soixantaine de joueurs composant la sélection, même si on doit passer à côté de quelques joueurs.
A quels niveaux de rugby évoluent les joueurs de la sélection ?
Essentiellement au niveau régional, à une ou deux exceptions. Ce sont tous des personnels de l’administration pénitentiaire, tous licenciés dans des clubs de rugby dans le civil. Aujourd’hui, notre volonté est de nous ouvrir à tout le ministère de la Justice pour augmenter notre « vivier » de joueurs. On va communiquer en ce sens auprès de tous les fonctionnaires du ministère.
Justement, cette sélection dépend-elle de la FFR ?
Non, pas tout à fait. On est affilié à la FFR comme un club au même titre que la Gendarmerie ou la Police. Donc, chaque match que nous disputons se fait sous l’égide de la Fédération, mais dans les faits, nous dépendons du Ministère de la Justice pour le personnel/joueurs. On a juste des autorisations d’absence exceptionnelles de notre administration pour les matches de la sélection. Pour le reste, nous sommes une association indépendante avec un budget de fonctionnement de 5 000€ pour l’année.
5 000€ ? C’est plutôt mince…
Et oui (sourire). Il faut savoir que les personnels qui jouent avec la sélection paient leurs déplacements. Cela leur coûte plus cher de jouer que ça ne leur rapporte. Les joueurs donnent du temps et de l’argent pour que le rugby pénitentiaire vive encore un peu. Comme dans tous les milieux sportifs amateurs, les bénévoles deviennent de plus en plus rare.
Dans quelle mesure votre ministère de tutelle vous soutient ?
Aujourd’hui, le ministère de la Justice ne finance pas le rugby, nous ne recevons aucune aide. Nous n’avons pas, non plus de stade attitré. On est sans arrêt en train de solliciter des hébergements, à gauche, à droite, pour les matches ou des stages organisés. Pour notre dernier stage à Tarbes, on a logé dans une caserne, et pour notre dernier match, le 1er décembre dernier, c’est l’ENAP (1) d’Agen qui nous a accueillis. Sans oublier, je le rappelle que les joueurs paient leur titres de transports pour nous rejoindre. Et ils viennent des quatre coins de la France, du Grand Est, de Paris, de la région PACA, de Corse…
D’où vient l’argent de votre budget de fonctionnement alors ?
De nos trois partenaires principaux : la GMF, la Mutuelle du Ministère de la Justice et la Banque Française Mutualiste. Pour faire simple, sans eux, on n’existerait pas. Localement, des partenaires participent aussi avec de petites enveloppes pour nous soutenir.
Combien de matches disputez-vous par an ?
En général deux. Cette année, nous avons affronté le XV de la Police et, tout récemment, la Sélection Nationale de la Gendarmerie. En 2019, c’était la Sélection de l’Armée de l’Air et celle des fonctionnaires du Puy-de-Dôme. Et puis après est arrivé le Covid. On sollicite diverses sélections, équipes « corpo » ou des grandes entreprises, comme la SNCF. On est toujours à la recherche d’oppositions. Dans l’idéal, on aimerait aller à l’étranger mais c’est très souvent le budget qui nous freine. Sans oublier les difficultés liées au service pour libérer les gens…
Justement, hormis ces rencontres contre les autres sélections de la Défense ou de fonctionnaires, la Sélection Pénitentiaire a-t-elle joué contre des sélections étrangères, ou participé à un tournoi international ?
Nous avons joué pendant très longtemps contre l’Angleterre et le Pays de Galles « Pénitentiaires », de la création de la sélection à 2006, où nous avions gagné même en Angleterre ! On a aussi affronté l’Allemagne en 2000. On avait prévu de rejouer contre l’Angleterre en 2020 mais le Covid et les contraintes budgétaires ont eu raison de ce projet. Aujourd’hui, on essaie de relancer ce type de rencontres.
Alors que la plupart des sélections sont basées à Paris ou en région parisienne, la « Péni » est basée à Mont-de-Marsan. Pourquoi ?
Du fait des dirigeants en fait. Le président actuel de la sélection est Pascal Loucheur qui travaille à la maison d’arrêt de Mont-de-Marsan. En tant que co-présidente, il y a Lorène Vin qui est directrice de la prison d’Uzerche, mais anciennement en poste à Mont-de-Marsan.
Est-ce que la sélection est engagée sur d’autres axes que simplement des rencontres de rugby ?
Oui, tout à fait. On a une action appelée « Drop de zonzon ». Environ un mois avant le match ou le stage, on entre en communication avec les surveillants et moniteurs de sport de la maison d’arrêt près de laquelle nous allons venir et on organise un match de « rugby à toucher » avec les détenus. En 2018, on a fait une action avec la prison de la Santé et quelques joueurs pros comme Trinh-Duc et Parra. On a eu aussi quelques actions à Mont-de-Marsan, où le Stade Montois est partie prenante, Saint-Martin-de-Ré, Riom, Perpignan, Orléans. Nous avons refait une telle opération à Tarbes en juin dernier.
Le but étant d’amener les valeurs du rugby en milieu carcéral ?
Exactement. Ce qui nous intéresse, c’est le retour que les détenus auront de cette expérience. On touche les jeunes et les anciens de la prison ; on canalise aussi les énergies et les tensions. Le fait de pratiquer un sport d’équipe les oblige à coopérer ensemble, à avancer ensemble, à respecter les règles du jeu, l’arbitre, les « entraîneurs ». Ca les oblige à rester dans le cadre. On les prépare aussi un peu à leur réinsertion future en se disant que, peut-être un jour, certains mettront leurs gosses au rugby. Au final, on partage un vrai moment de convivialité entre les détenus et le personnel. D’ailleurs, j’en profite ici pour préciser qu’à ce jour, nous n’avons jamais eu le moindre souci avec les détenus.
Là encore, êtes-vous soutenu pour ce genre d’action ?
Non, pas du tout. Tout est organisé entre nous, entre bonnes volontés. Notre désir est bien entendu d’avoir un peu de soutien. Dans la cadre de la Coupe du Monde 2023, on aimerait multiplier ces actions avec d’autres établissements en France. Ce projet va être présenté à la direction de l’administration pénitentiaire et « Drop de zonzon » va être adapté pour le projet « Coupe du Monde » avec d’autres clubs supports et partenaires.
Revenons au sport proprement dit. En juin dernier, la sélection a été lourdement corrigée par France Police (62-5) et le 1er décembre dernier, vous avez affronté votre homologue de la Sélection Nationale de la Gendarmerie à Colayrac, près d’Agen, avec une lourde défaite à la clé (76-0). Comment expliquez-vous ces écarts de score sur ces deux matches ?
Tout d’abord, on est tombé contre deux très belles équipes avec des joueurs qui jouent à des niveaux supérieurs au nôtre. Leurs viviers de joueurs est également bien plus importants que le nôtre. On n’était pas à leur niveau tout simplement. Cela ne remet aucunement l’investissement et le courage de nos joueurs, loin de là. On va continuer à travailler et à progresser et on prend pour exemple l’Italie, toute proportion gardée, qui est partie de loin et de très bas pour arriver aujourd’hui au niveau qui est leur, en participant au Tournoi des Six Nations et à la Coupe du Monde. Mais on est aussi réaliste : l’année prochaine, on va surtout chercher des oppositions à notre niveau.
On vous laisse le mot pour la fin ?
Je veux vraiment mettre l’accent sur notre ouverture à tout le monde des administrations pénitentiaires et de la Justice. C’est notre grosse difficulté actuellement. Parfois, certains ne nous contactent pas en pensant que le niveau est très « élevé » alors que non. On prend tout le monde et on répond très vite à ceux et celles qui nous envoient un message. Donc parmi toutes les personnes qui liront votre article, n’hésitez surtout pas à nous contacter !
Contacts :
Philippe Mansieux, maison d’arrêt de Tarbes ou messagerie de la page Facebook de la Sélection Nationale Pénitentiaire de rugby (2).
- (1) Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire
- (2) https://www.facebook.com/benoit.pascal.7906