Alain Doucet, ancien secrétaire général de la FFR sous l’ère Camou, dont il s’est éloigné pour devenir candidat à la présidence en décembre dernier (battu par Bernard Laporte), est un homme de convictions. Cet ancien joueur (*) reste plus que jamais proche des terrains. Il était présent dimanche dernier en banlieue toulousaine, à Saint-Orens, pour officiellement annoncer sa candidature au poste de président de la future Ligue d’Occitanie. Une création qui suscite bon nombre de questions, voire d’inquiétudes, auxquelles le Bigourdan répond comme à son habitude, sans détours… (par Wildon)
RA : Alain Doucet, vous annoncez briguer la présidence de la future Ligue d’Occitanie de rugby. En quelques mots, quel est votre programme et quelle est votre vision du rugby occitan ?
AD : Je suis effectivement venu ici pour annoncer ma volonté de présenter ma candidature à cette présidence en présentant une liste aux élections qui auront lieu dans le dernier trimestre de l’année en cours. Aujourd’hui, on y travaille, on s’y prépare et mon ambition repose autour d’un slogan simple : « beaucoup d’ambition, mais beaucoup de modestie ». Parce qu’il faut beaucoup d’ambition pour maintenir l’Occitanie au plus haut niveau des ligues de notre fédération. Nous y sommes déjà plus ou moins, mais il faudra développer ou rectifier certainement beaucoup de choses. Notre souci sera d’harmoniser des « us et des coutumes », ai-je envie de dire, qui sont un peu différentes selon que l’on est languedocien, catalan, midi-pyrénéen ou encore bigourdan. Et puis beaucoup de modestie aussi face aux problèmes du rugby amateur. J’ai tout récemment encore appris de nombreux forfaits, chez moi en Armagnac-Bigorre par exemple, ou dans le Languedoc. Des modestes clubs de petits villages qui sont dans la souffrance. Il faudra qu’on s’y intéresse, qu’on les regarde parce qu’ils font partie de notre monde, de notre jeu et de notre rugby.
RA : Justement, quand vous parlez de « modestie » ou en tout cas d’aider les clubs des petits villages, il est un fait que nous avons plus l’habitude d’entendre parler du rugby « d’en haut », comment peut-on aider le rugby « d’en bas » ?
AD : Le rugby « d’en haut » peut et doit être aidé par les instances territoriales, c’est-à-dire que la réforme territoriale préconise que les départements soient désormais l’institution de proximité des clubs. Il faudra mettre cela en place très rapidement, ne pas attendre que les clubs soient dans la souffrance ou dans la catastrophe voire en forfait général pour agir. Il faut leur tendre la main, les aider, favoriser les rapprochements, même temporaires, entre clubs de villages en difficulté. Un club qui meurt ne repartira jamais. Donc l’objectif est de permettre à un club en grande difficulté de garder sa structure, de laisser jouer ses joueurs dans des ententes provisoires. Mais je me refuse, et c’est mon credo, de voir disparaître d’autres clubs.
RA : Vous parliez d’harmoniser les us et coutumes des uns et des autres mais ne va-t-il pas falloir aussi convaincre les réticences de clocher à s’unir, même provisoirement ? Pour de nombreux villages, l’union de clubs est déjà un sentiment de disparition…
AD : Il ne faut pas se voiler la face et ouvrir cette réflexion : trente clubs dans les Hautes-Pyrénées pour une population de 200 000 habitants, n’est-ce pas trop ? Ce problème dans les Hautes-Pyrénées, on peut aussi le rencontrer en Ariège ou ailleurs. Je connais bien mon département, j’apprendrais à connaître les autres très certainement. Mais cela appelle déjà une grande réflexion, tout en profondeur : est-ce qu’on peut laisser vivre quatre ou cinq clubs dans un rayon de vingt kilomètres quand on sait qu’il faut pratiquement 50 licenciés pour alimenter les deux équipes d’un seul club ?
RA : Cette volonté de ne plus voir mourir les petits clubs est déjà compliquée à appliquer à l’échelon départemental. Qu’en sera-t-il à l’échelon de la Ligue justement ?
AD : Aujourd’hui, l’Occitanie va consister à « marier » deux immenses métropoles comme Toulouse et Montpellier, chacune avec ses problèmes. Elles ont beaucoup de joueurs mais pas assez de terrain quand ailleurs, dans d’autres coins de la région, les clubs, plus petits, ont beaucoup de terrains mais pas assez de joueurs. C’est une manière un peu raccourcie de synthétiser les choses mais c’est un des problèmes de l’avenir de la future Ligue d’Occitanie, au-delà même de notre souci majeur d’harmoniser, je le disais tout à l’heure, les cultures et les approches différentes du rugby dans cette grande région.
RA : Justement, vous parliez des deux grandes métropoles que sont Toulouse et Montpellier, sans oublier une ville de tradition rugbystique forte comme Perpignan, mais au total, cette Ligue représentera combien de clubs ?
AD : A ce jour, tels que les chiffres ont été donnés au congrès de Pau (**), nous comptons 410 clubs qui constitueront la future Ligue. Nous avons dix clubs professionnels (Top 14 et Pro D2), nous représentons pratiquement un tiers des clubs de Fédérale 1 et environ un quart des clubs de Fédérale 2. Nous sommes certainement la région la mieux représentée au plus haut niveau. Nous avons aussi derrière 250 clubs, ce qui nous permettra d’avoir une « arrière-boutique » bien fournie et bien alimentée pour la Ligue. Sans oublier une multitude d’équipes de jeunes, de cadets et de juniors. Nous avons cependant, comme dans toutes les autres régions, une baisse au niveau des écoles de rugby même s’il faudra y remédier car j’entends que les effectifs globaux se maintiennent.
« On a l’impression que dans notre région, on est les « rois du monde », qu’on a inventé le rugby, que tout va bien… et bien non justement ! »
RA : Les résultats d’une sélection nationale impactent directement sur le nombre de licenciés. Est-ce que les résultats plutôt moyens du XV de France ne sont pas pour quelque chose dans ce fléchissement ?
AD : Nous traversons une mauvaise période au niveau national, il est vrai, peut être par manque de travail, peut être par manque d’assiduité, peut être aussi par la manque d’attirance des jeunes vers le rugby, à l’opposé du hand ou à d’autres disciplines sportives qui réussissent actuellement. Il faut qu’on se réveille, qu’on se rapproche du scolaire, qu’on se remette « au combat » car rien n’est acquis. Quand je parle de « modestie », on y est en plein dedans ! (il martèle ses mots)
RA : Le scolaire est-il la solution à ces problèmes de licences et d’effectifs dans les clubs ?
AD : Aujourd’hui, on a l’impression que dans notre région, on est les « rois du monde », qu’on a inventé le rugby, que tout va bien… et bien non justement ! Dans d’autres régions de France, les gens se bougent, vont vers le scolaire, ils redeviennent militants. Je crois que nous devons nous redonner cette culture « militante », se remobiliser, dans tous les départements et dans tous les clubs pour intéresser les gamins au rugby depuis le scolaire. Les petits ruisseaux font les gros. Montpellier, le Stade Toulousain, Castres ou Perpignan n’ont certainement pas beaucoup de problèmes dans leurs écoles de rugby mais Saint-Orens, l’Isle-en-Dodon, par exemple, et d’autres clubs de ce niveau-là ont besoin d’alimenter leurs écoles. Et ce sera à nous de les aider, de façon à rapprocher à nouveau les clubs et le scolaire. Ce sont des voeux pieux depuis fort longtemps mais j’entends bien qu’on concrétise ces magnifiques projets.
RA : En fait, en utilisant l’expression du « voeu pieu » et demandant de l’humilité, vous prenez finalement le bâton de pèlerin pour entamer cette marche vers la présidence ?
AD : Oui c’est ça. Je repars avec le bâton de pèlerin. Je crois qu’à travers ce vecteur de développement que seront les départements, lesquels vont gagner en autonomie et en proximité, il n’y aura pas mieux pour réaliser des contrats avec les écoles, nouer des contacts entre les établissement scolaires et les clubs. Aujourd’hui, on travaille au niveau du comité territorial qui a moins de proximité que les départements. On est moins pugnace, moins « têtu » et moins efficace quand on travaille sur du papier que lorsqu’on est sur le terrain. Il faut remettre les dirigeants des départements sur le terrain pour qu’ils recontactent et réinvestissent les écoles. Pour cela, il faut profiter de la volonté de Bernard Laporte de mettre 200 agents de développement au service des clubs. Il faudra les utiliser à bon escient.
RA : Ces agents existent déjà ?
AD : Ils sont en cours de création. Pour l’instant, nous sommes en train de recenser tout ce qui existe au niveau des Ligues ainsi que dans nos CRT. Il y aura à terme deux cents agents et nous allons nous battre pour que l’Occitanie en dispose de beaucoup, pour que nous en ayons dans chaque département.
RA : Le rugby scolaire semble vraiment au coeur de votre stratégie occitane ?
AD : Tout à fait ! Et je vous donne un exemple : je veux que le « patron » des écoles de rugby à la Ligue ait une visioconférence une fois par mois avec tous les comités départementaux pour faire le point de ce qu’il se passe en Ariège, dans le Tarn-et-Garonne, dans le Gard aussi, puisqu’ils nous rejoignent dans la nouvelle Ligue, et dans tous les autres départements. C’est une immense région avec des gens qu’il faut rassurer et mettre en contact. C’est quelque chose qu’il faut mettre en place le plus rapidement possible. Et ceci est valable pour d’autres missions que la Ligue devra mener.
« Au 1er janvier 2018, la Ligue doit fonctionner »
RA : N’est-il pas difficile de parler d’une élection qui aura lieu dans de dix mois au sujet d’une Ligue qui n’existe pas ?
AD : On a tout à construire, on part d’une page totalement blanche, c’est vrai. Il faut mettre tout en place dans cette Ligue d’Occitanie pour être la plus belle de France (il sourit). Mais je veux vraiment créer une Ligue, pas un super-comité. Nous allons coordonner, instrumenter, évaluer. Pour reprendre une image du cinéma, nous allons écrire le film dont les départements et les clubs seront les acteurs.
RA : Pourtant, à l’image du football amateur, il y a beaucoup d’inquiétudes ou de réticences à cette réorganisation du monde du rugby amateur. Avec la disparition des comités territoriaux, certains parlent même de « punition »…
AD : Je veux que les gens comprennent que cette réforme territoriale est un progrès. Ce n’est sûrement pas une sanction à l’encontre des comités territoriaux comme je peux l’entendre à droite ou à gauche. C’est une évolution qui concerne toutes les autres disciplines sportives. Jusqu’à présent, nous étions sur un habillage ou un découpage qui vaut ce qu’il vaut, mais qui date de la ligne de démarcation ! Aujourd’hui, notre gouvernement, nos dirigeants et notre ministre de tutelle souhaitent que nous nous alignons sur le nouveau découpage national. Et on doit le faire.
RA: A l’heure actuelle, vous êtes le seul candidat officiel à la présidence de la Ligue d’Occitanie. Vous bénéficiez du soutien de Bernard Laporte ?
AD : Oui, tout à fait. Il y a une volonté forte que je sois le candidat officiel de la fédération à la présidence de la Ligue d’Occitanie. Mais il se peut qu’il y ait trois ou quatre listes qui se présentent. C’est la règle de la démocratie. Les statuts sont en cours de rédaction. Il y aura un « préfet » totalement indépendant de chacune des listes potentielles, pour mettre en place ces statuts et les élections puisqu’il s’agit d’une naissance totale et complète. A l’heure actuelle, nous n’avons pas de statuts sur lesquels nous appuyer. Le seul fait concret que nous ayons est qu’au 1er janvier 2018, la Ligue doit fonctionner. Entre temps, nous avons dix mois pour tout écrire, pour organiser des élections, pour assurer la transition entre les comités territoriaux et la Ligue. Nous avons dix mois devant nous, nous ne devons pas perdre de temps.
RA : N’est-ce pas un départ en campagne un peu prématuré ? Dix mois, c’est loin, non ?
AD : Non, je ne le crois pas. Cette candidature n’est pas prématurée. Car il faut prouver, justement, à nos 410 clubs que l’on sait où l’on va, pour les « rassurer » car la Ligue n’est pas qu’un voeu pieu, n’est pas une nébuleuse sortie d’on ne sait trop où. La Ligue est la loi qui est la nôtre, celle du regroupement des régions, il faut passer par cela. Peut être avons nous trop attendu ? Trop tergiverser depuis un long moment, mais maintenant on y est. Et j’y suis aussi. Je suis candidat à la présidence de cette Ligue, je vais y consacrer tout le temps qui s’ouvre à moi désormais pour la structurer, l’organiser, mettre en place des relais dans les départements, y définir des missions précises, savoir également où j’installerais le siège de la Ligue, comment décentraliser les commissions régaliennes pour éviter que Toulouse ne « cannibalise » tout le système, je n’ai pas envie de cela. Mais on va avancer dans ces travaux avec de l’ambition mais beaucoup de modestie, je le répète encore. Si on s’avance trop confiant comme on entre sur un terrain de rugby en étant sûr de gagner, souvent on perd le match. Il faut de mettre au travail, aucun match n’est gagné d’avance, on va assumer tout ça. J’ai une bonne assise territoriale, au moins trois comités sur quatre.
RA : Et le quatrième ?
AD : Pour le quatrième comité, à moi de prendre mon bâton de pèlerin pour aller les convaincre que je suis le bon candidat. Pour l’instant, on va attendre la fin du Tournoi des Six Nations, on va attendre aussi que les qualifiés des séries soient décantés avant d’aller voir les clubs qui ont la tête à autre chose. Pour l’instant, je travaille avec les comités départementaux qui ne sont pas pris dans une urgence de résultats ou de qualification. Nous allons donc voir avec eux où commenceront et où s’arrêteront leurs missions, quels seront leurs engagements, comment ils contribueront à l’épanouissement de la Ligue. Je vais aussi travailler avec les personnes de la liste de Bernard Laporte et qui sont en place. Le rugby n’appartient à personne, ni à Laporte ni à Doucet. Je ne suis qu’une pièce de l’ensemble, un serviteur de ce sport. Il n’y a que des personnes qui veulent s’investir pour l’intérêt du rugby. Si certaines veulent nous rejoindre, on les accueillera avec plaisir, à la place qui est la leur. Pour le reste, c’est une belle et magnifique mission qui m’attend et qui ne m’effraie pas.
RA : Tout à l’heure, vous vous êtes défini comme un pèlerin en marche. Maintenant comme un serviteur du rugby. Y’a-t-il un troisième qualificatif concernant votre démarche ?
AD : (il réfléchit) Organisateur. Oui, pèlerin, serviteur et organisateur aussi. Tout en restant modeste, je pense avoir une bonne vision de ce que doit être une Ligue, une vision saine (il insiste sur le mot) de l’évolution que l’on va proposer à nos clubs et à nos structures territoriales. Aujourd’hui, je sais ce que je peux attendre de mes départements et de ma ligue. J’ai la certitude de pouvoir motiver une bonne équipe autour de moi, que ces personnes soient issues des fins fonds des Pyrénées ou des bords de la Méditerranée. De mes premiers contacts avec eux, il ressort que les présidents de départements sont en attente de ce que je vais pouvoir leur amener. On va se battre pour que les départements aient une bonne structure adaptée, adéquate, dotés de la visioconférence, pour qu’on puisse aussi travailler sur la formation, le médical, la cohésion sociale, avec plusieurs techniciens qui dépendront de Didier Retière (***), on va aussi s’organiser sur la question de l’arbitrage et tant de choses encore. Je ne vais pas vous dire que je n’en dors pas (rires) mais je sens le bébé qui va naître. Je suis intimement convaincu qu’on va faire du bon boulot.
RA : Un dernier mot ?
AD : Je veux surtout remercier à nouveau Bernard Laporte pour la confiance qu’il m’accorde. Ayant perdu les élections à la FFR, je n’étais pas en mesure de demander quoi que ce soit. Mais il a tenu à ce que ce soit moi qui assume cette mission de conquérir la présidence de la Ligue d’Occitanie. Je les en remercie sincèrement et je ferai en sorte de me montrer digne de cette confiance. Et je veux encore le répéter avant de terminer : cette fusion des régions n’est ni une punition ni une sanction ! Au contraire. C’est un progrès, je le répète aussi. Nous, nous allons nous battre autour de cette position car j’ai envie de me battre pour que l’Occitanie soit belle. Je veux pouvoir voir les drapeaux de l’Occitanie dans tous les stades de rugby, de Perpignan à Albi, de Tarbes à Nîmes et partout ailleurs, dans la même passion et la même ferveur. Cela me ferait chaud au coeur. Car elle va être belle, cette Occitanie du rugby, non ?
(*) Né à Lourdes, il joue à Trie-sur-Baïse puis à Pouyastruc avant de devenir éducateur dans le comité des Hautes-Pyrénées puis dans le comité territorial. Président du club de Pouyastruc, il devient ensuite président du comité Armagnac-Bigorre avant de rejoindre la FFR en 2001 au poste de secrétaire-général, poste qu’il occupe jusqu’en 2016 pour se présenter à l’élection de la FFR face à Bernard Laporte et Pierre Camou.
(**) Qui s’est tenu du 30 juin au 2 juillet 2016 à Pau
(***) Directeur Technique National à la FFR