De ses premières années à Revel, à son arrivée à Castres, en passant par Colomiers, Béziers, puis Gaillac, il s’est construit une solide carrière de joueur. De Montauban, à son retour à Castres, et depuis deux ans au Racing, il en fait de même au poste d’entraîneur, avec son compère Laurent Travers. Passionné, intègre, Laurent Labit a déjà connu plusieurs vies dans le rugby. Et même s’il tutoie les sommets nationaux et européens, il garde les pieds sur terre, et n’oublie surtout pas d’où il vient. Aussi, quand nous lui avons proposé de devenir un des parrains de RugbyAmateur, il s’est empressé de répondre par l’affirmative. « Sans une bonne base, il n’y a pas d’élite » dit-il.
L’ancien ouvreur et arrière se dévoile ici en parlant de son parcours et de sa vision du rugby. Un discours simple, lucide, qui nous rend encore plus fier de le compter parmi nos parrains. Un acteur du rugby d’en haut, digne représentant du rugby d’en bas…
Laurent, à quand remontent tes premiers souvenirs rugby ?
Quand j’étais gamin, je jouais au foot le mercredi matin, et au rugby l’après midi. J’ai mené de front les deux pendant un moment, mais je me suis plus épanoui dans le rugby. Je le dois sûrement à mon éducateur, Joseph Rigal, que j’ai eu de l’âge de 6 ans à 16 ans. Il nous faisait partager son goût pour ce sport, des anecdotes, l’état d’esprit qu’il fallait avoir. Il pouvait arrêter un entraînement pour nous raconter une histoire. C’est vraiment là que j’ai compris que je voulais m’investir dans ce sport. En plus, les éducateurs de l’école de rugby nous emmenaient voir des matchs dans la région, on partait en bus. Et comme beaucoup, je me disais que ce serait vraiment extraordinaire de pouvoir vivre des moments là.
A quel moment tu as compris que tu pouvais devenir professionnel ?
Ce n’est qu’à partir de la deuxième année cadets, que j’ai peut être compris que j’avais les moyens d’aller plus haut. On faisait à l’époque des matchs en sélection cadets, avec Midi-Pyrénées. C’était nos matchs de haut niveau à nous, quand on rencontrait Languedoc-Roussillon, l’Ile de France, c’était quasiment comme une sélection nationale. C’était un tremplin aussi. Je me souviens que nous étions deux Revélois, puisqu’il y avait David Rigal, à l’ouverture, et moi, à l’arrière. Lui est ensuite parti à Narbonne et moi, à Castres.
C’était déjà une grosse évolution non ?
C’était différent oui. Surtout qu’en arrivant à Castres, c’était pour jouer en juniors Reichel, qui était le championnat de France de notre catégorie d’âge. J’arrivais sur la pointe des pieds, mais mon intégration a été plus rapide que prévu, à cause, ou grâce, je ne sais pas trop comment le dire, de plusieurs blessures d’autres joueurs. On était plusieurs jeunes, dont certains issus du club comme Frédéric Séguier à avoir intégré l’équipe Une plus rapidement que ce que l’on pouvait croire. C’est comme ça que j’ai pu jouer en 10 ou 15. Francis Rui ne se blessait jamais, et là, il s’était fait une déchirure du mollet.
Tu te disais que tu pouvais vivre du rugby à ce moment-là ?
On a 20 ans, ce sont les années 1987, 1988. on ne pouvait pas se dire qu’on allait faire carrière, car le rugby n’était pas encore passé professionnel. On avait juste dans l’idée de jouer en première division, de prendre du plaisir, en étant conscient que c’était ma passion. Mais il fallait concilier le rugby avec une vie professionnelle. Pour tout dire, je me voyais même revenir à Revel dès que ce serait terminé avec Castres, histoire de rendre ce que le club m’avait apporté.
« On est loin de certaines dérives de nos cousins du foot, mais… »
Mais finalement, tu as fait une longue carrière comme joueur et enchaîné de suite avec celle d’entraîneur. C’était quelque chose de prévu ?
Oui et non, on y pense quand arrive la fin de carrière comme joueur, et on le prépare. Ca s’est bien goupillé, j’ai eu de la chance. Quand tu exerces un métier, que ce soit comme joueur puis comme entraîneur, qui est ta passion, tu te sens très privilégié. Surtout que les conditions financières ont bien évolué aussi, c’est indéniable.
Comment vois-tu l’évolution du rugby depuis 20 ans ?
Il y a du positif, puisque c’est un sport qui est devenu très médiatique, très suivi, et qui donne envie à toujours plus de monde de s’y intéresser. Mais il y a toujours un revers de la médaille. L’état d’esprit a changé aussi. Même si on est loin de certaines dérives de nos cousins du foot, que je côtoie par des amis qui y évoluent, on peut constater quelques changements de comportement chez les jeunes. Certains voient le rugby comme une source de revenus, une réussite sociale, en étant moins passionnés que nous à l’époque. Je me souviens qu’on passait notre vie au stade, un ballon à la main, on jouait dès qu’on le pouvait, on regardait tous les matchs à la télé. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’un jeune qui ne joue pas un week-end, va regarder un match du tournoi.
C’est aussi le cas dans d’autres sports…
Oui c’est sûr. On touche à un problème de société plus large. J’ai justement eu la chance d’échanger à ce sujet avec Thierry Braillard, secrétaire d’Etat aux sports, récemment. On évoquait quelques dérives. On déplorait aussi que le sport soit un peu le parent pauvre de l’éducation. On en réduit les heures au collège et au lycée. On manque d’infrastructures. Les clubs de sport dans les villes partagent souvent le même terrain de rugby et de foot. C’est le cas à Revel, qui est tout de même une ville de 12 000 habitants, où il faut faire cohabiter plusieurs équipes pour un même terrain, avec les mêmes vestiaires…
Le sport en France n’est pas traité comme ailleurs, est-ce la cause de nos carences dans la formation ?
Dans le rugby, il ne faut pas s’étonner de notre retard au niveau de la formation en tout cas. Les jeunes Néo-Zélandais, Australiens, ou Anglais, ont touché à plusieurs sports très tôt. Ils ont une formation plus générale, qui les aide à avoir une technique, une gestuelle supérieures à nos jeunes, ils sont polyvalents. Michael Cheika, que je connais très bien pour avoir joué avec lui à Castres, me disait pendant la dernière Coupe du Monde, tous les sports que les jeunes pratiquent jusqu’à 18 ans en Australie, c’est impressionnant. Et le tout, avec des moyens, des infrastructures, de l’encadrement et des compétitions, qui tirent forcément le niveau vers le haut.
Nous, on a des gamins qui ont exclusivement fait du rugby, et bien souvent, on enferme un joueur dans un poste, et il ne s’entraîne que pour ce poste. Un grand costaud jouera deuxième ligne, et ne fera que ça. Un petit trappu, jouera au talon ou pilier.
Ces problèmes sont identifiés depuis longtemps maintenant, mais rien ne bouge pour autant. Que faire ?Faire évoluer un programme scolaire qui comporte, selon moi, des matières qui pourraient être optionnelles, et que l’on pourrait remplacer par une meilleure maîtrise des langues, et une pratique du sport plus importante, plus variée. Mais tout ça passe par des moyens financiers, matériels et humains, au travers d’un volonté politique pour permettre aux jeunes de choisir une voie scolaire, mais aussi sportive, plus ciblée. En tout cas, au niveau sportif, ils auraient ainsi plus de facilités, seraient plus coordonnés entre le haut et le bas du corps. On voit trop de jeunes sportifs formatés à un sport.
Nous, on le voit encore au Racing, quand on propose des activités sportives autres que rugbystiques à nos joueurs, les étrangers s’en sortent largement mieux. On peut faire une demi journée badminton, volley, ou handball, combien de joueurs ne connaissent même pas les règles.
« Une indemnisation pour les clubs formateurs amateurs est nécessaire »
Le rugby a aussi évolué au niveau financier. Provoquant la chute récente de plusieurs clubs pros et amateurs, importants, . Quel est ton opinion à ce sujet ?
Quand je vois les clubs qui évoluent en Pro D2 aujourd’hui, qui étaient des places fortes du rugby français il y a 10 ans à peine, et qui jouaient dans le top 16, il y a forcément un effet cascade en fédérale ensuite. J’ai connu le Groupe B, qui était composé de clubs où il était très difficile de gagner. Aujourd’hui ces clubs évoluent pour certains en fédérale 2, 3, ou ont carrément disparu de la circulation. Bagnères, Lourdes, Chalon, le Creusot. C’est une des dérives du passage au monde professionnel. Certains ont pris le train en marche, grâce à de gros moyens financiers, d’autres non.
A défaut d’avoir ces moyens, certains ont ou vont explosé. La course à l’armement que l’on connait en Top 14, se répercute dans les niveaux inférieurs.
Nous parlons des clubs amateurs, qui sont évidemment majoritaires, et pourtant, on a l’impression qu’on ne les considère pas ?
La France est sans doute le seul pays où la pyramide est à l’envers. Au lieu d’avoir l’équipe nationale en haut, et dessous les clubs, c’est l’inverse. Les clubs pros sont en haut, l’équipe nationale en dessous, et complètement en bas, il y a les clubs amateurs, qui sont un peu laissés à leur propre sort oui. Les clubs amateurs ne profitent en rien de l’évolution du rugby.
Comment faire pour que ça évolue ?
Pour une fois, il faudrait s’inspirer de ce que fait le foot. A savoir de reverser un certain pourcentage au club formateur, dès qu’un joueur devient professionnel. Ce serait un moindre retour des choses, pour l’ensemble des éducateurs qui œuvrent toutes les semaines, dans l’ombre. Les centres de formation sont obligatoires pour les clubs professionnels, mais les jeunes qui y arrivent, ont tous été formé dans leur club auparavant. Une indemnisation de formation serait, pour moi, nécessaire. Aujourd’hui, un jeune qui est formé à Revel, de 6 ans à 16 ans, et qui part à Castres en juniors, puis au Stade Toulousain pour signer un premier contrat pro, c’est Castres qui est indemnisé, pas Revel.
Ce n’est pas normal. C’est l’avenir du rugby qui est en jeu. Mais les décisions sont prises par des gens qui verrouillent le système. Et à la fin, ce sont toujours les mêmes qui récupèrent l’argent.
Nous t’avons sollicité pour parrainer RugbyAmateur, et tu as immédiatement accepté…
J’ai dit oui tout de suite, car je sais d’où je viens, ce que je dois au rugby amateur en général. Vous dépensez beaucoup de temps et d’énergie pour médiatiser des dirigeants, des passionnés, des éducateurs, des bénévoles, des joueurs qui travaillent dur pour que le rugby existe toujours dans certaines villes et villages. Comme je le dis souvent, sans une bonne base, il n’y a pas d’élite, et je me sens redevable. Dès que je le peux, que ce soit à Revel, où j’habite toujours, ou à Gaillac où j’ai terminé ma carrière, j’essaye de répondre présent quand on fait appel à moi. Donc pour moi, être un des parrains de RugbyAmateur, c’est quelque chose qui me parle, et je suis très heureux d’avoir été sollicité et vous apporter officiellement mon soutien.