L’argent dans le rugby amateur est quand même nécessaire, il a toujours existé…
Mais je ne dis pas le contraire, je dis juste que les budgets ont explosé ces dernières années. A l’image du Top 14 déjà. Cette course à l’armement s’est retourné contre plusieurs clubs, je le répète. Au niveau amateur, je suis toujours surpris de lire que tel joueur a signé dans tel club, car on sait bien qu’il y est venu en partie pour de l’argent. Et je suis surpris que l’on donne de l’argent pour jouer en fédérale 2, 3, et encore plus en séries. Je ne suis ni un ange, ni un naïf, mais je suis réaliste. Il y a des doux rêveurs à l’intérieur de notre système, qui donnaient 10 quand ils avaient 8. Et qui continueront peut-être à le faire quand on pourra reprendre le chemin des vestiaires. Mais à quoi ça correspond ? Quel est l’avenir de rugby amateur là dans ces conditions ?
On vous pose la question…
Et ma réponse est simple : à notre niveau, on fait le choix de la fédérale 3, en sachant très bien qu’il y aura moins de contraintes pour nos joueurs, au niveau des entraînements, des déplacements, moins d’incidences sur les vies de famille, sur les coûts, etc…On veut et on va jouer avec un peu plus de confort, et plus de plaisir aussi. On demande à descendre oui, mais avec beaucoup d’humilité, tout en essayant de convaincre nos joueurs du bienfait de cette décision. L’argent n’entre pas en considération ici.
Que répondrez-vous dans ce cas, à un jeune joueur, talentueux, désireux de vous rejoindre, mais qui vous demanderait de l’argent pour jouer à Leucate ?
C’est arrivé plein de fois vous savez. Je vous citerai juste l’exemple d’un gosse de 20 ans, venu dans mon bureau, à Narbonne, pour me dire qu’il serait intéressé de venir à Leucate. Il me dit « combien vous me filez ? ». « Combien vous filez de quoi », je lui ai répondu. Si tu fais 1000 km par mois à 0.32 cts, ça fait 320€, moins 3 paniers repas si ça te fait plaisir. Et je lui ai montré sur le mur des photos de grands joueurs, passés par Narbonne, Perpignan, ou Béziers, qui avaient fait carrière au plus haut niveau. Je lui ai dit que ces mecs sont passés ou passent encore sur Canal, et lui, ne passait même pas dans le journal local ! C’est un peu rustre, mais ça a le mérite de mettre les choses à plat d’entrée. Au moins, je suis fixé sur les intentions de celui qui veut venir chez nous, ou pas. Et vous avez la réponse à votre question (rires).
Vous parlez comme un chef d’entreprise, que vous êtes, mais tout le monde ne peut pas parler ainsi, tout le monde n’a pas un réseau, un environnement favorable pour tenir ce genre de discours…
C’est vrai, chacun compose avec son environnement, ses relations, son travail. Les présidents de club ne sont pas formés à la gestion de la ressource humaine, aux négociations financières, à la gestion de crise. Certains y sont rompus de par leurs fonctions au quotidien, mais d’autres, en majorité, apprennent sur le tas, et ce n’est pas évident, j’en conviens. Il faut avoir une stratégie globale, sportive, humaine et donc, économique…
« Arrêtons de faire de nos jeunes joueurs, des smicards du rugby… »
D’un point de vue économique justement, vous semblez convaincus que cette crise du Covid-19 va moraliser les présidents, les entraîneurs, et les joueurs…
Je pense sincèrement que rien ne sera plus comme avant déjà. Donc profitons-en pour réformer, pour remettre le rugby à une l’échelle économique viable. L’Etat, les régions, les métropoles, auront d’autre priorités que de soutenir financièrement le sport. Il n’y aura pas les mêmes sommes qu’avant. A titre d’exemple, puisque je porte des chaussettes oranges et noires, Narbonne veut remonter, les supporters le veulent, et les politiques le veulent. Il y a du monde au stade, même en fédérale 1, c’est dire qu’il y aurait de quoi espérer. Mais on vit dans le passé, glorieux certes, car on a eu des internationaux, de grands joueurs, mais c’est fini. Les Narbonnais aimeraient être à la place de Brive ou d’Agen, mais la réalité, c’est que le RCN n’a pas les moyens de jouer en Pro D2, et a perdu à Fleurance en fédérale 1. Il faut être réaliste et savoir se dire que tel niveau est plus conforme à la réalité, financière tout du moins. Et par la même occasion, on arrêtera de faire de nos jeunes joueurs, des smicards du rugby…
Des smicards du rugby ?
Oui ! Expliquez-moi comment se fait-il que l’on mette au chômage partiel des joueurs de fédérale 1 ou 2 ? Ils sont salariés ! On fait croire à ces jeunes qu’ils sont pros, mais pas du tout, c’est de la poudre aux yeux. Ce sont des faux pros ! Moi, je fais partie de ceux qui pensent qu’un joueur peut, quand il joue à ce niveau là, travailler le matin, et aller s’entraîner à 16h le même jour. C’est comme ça que le rugby fonctionnait avant de passer professionnel. Et on parle ici de ceux qui jouaient au plus haut niveau et même en équipe de France. Alors aux niveaux fédérales, ce doit être la même chose aujourd’hui.
En fait, pour être dans l’air du temps, vous prêchez pour un retour en arrière…
Je dis juste que les priorités vont encore plus changer avec cette crise incroyable. C’est normal, on va se tourner vers l’essentiel, vers de la relocalisation, à favoriser la proximité à tous les niveaux, et c’est tant mieux. Le sport en général, et le rugby en particulier, n’échapperont pas à cette règle imposée à nos vies de tous les jours.
Cette crise aurait donc des effets bénéfiques en quelque sorte…
On ne peut décemment pas dire cela en pensant à toutes les victimes du corona virus. Mais regardez la situation de notre personnel soignant en France, qui fait un boulot remarquable. Il faut une crise mondiale pour que leurs demandes soient entendues, que leurs statuts évoluent. Nous étions dans un monde un peu fou, qui allait très vite, trop sans doute, une société du zapping, à tous les niveaux. Après la tuerie de Charlie Hebdo, on applaudissait les policiers, on leur faisait une haie d’honneur. Le gilets jaunes se battaient contre eux trois ans plus tard. On brûle aussi vite ce qu’on a idolâtré auparavant. Mais je crois en effet qu’il peut y avoir du positif après cette crise, une prise de conscience. L’Homme est ainsi fait, il réagit plus qu’il n’agit. On se souvient de noms comme De Gaulle, Marshall ou Roosevelt car ce sont des hommes qui ont dû prendre des décisions en situation de crise. L’Europe s’est construite sur la crise de 29, l’Histoire nous montre par l’exemple que pour chaque crise majeure, des décisions fortes ont été prises. Je crois que ce sera le cas cette fois-ci encore. Et le sport, qui reste secondaire évidemment, restera ancré auprès de tous, mais avec d’autres règles, d’autres visions…
Vous êtes connus pour être un homme qui parle sans filtre, qui a des positions affirmées, et vous restez donc optimiste pour l’humanité et pour le rugby ?
Bien sûr ! je dis souvent que là où il y a l’eau, on l’assèche, là où il n’y en a pas, on la fait venir. Là où il y a une montagne, on la rase, là où il n’y en pas, on en fait une… Ce sont les hommes et les femmes, les personnes les plus avisées, qui vont ralentir le rythme. Qui feront qu’il n’y aura plus, par exemple, de pénuries de masques à l’avenir, en fabricant localement. Je crois aux hommes, à la proximité, à la synergie, je crois en la macro-économie. On ne peut pas imposer les mêmes décisions à New-York qu’à Quintillan, petit village de l’Aude de 41 habitants. La gestion d’une métropole n’est pas la même qu’un village, c’est aussi simple que ça. Dans le rugby, c’est pareil. Les plus grands clubs ont un modèle, il ne sert à rien de vouloir faire pareil, c’est un non sens. Même chez les pros, ils vont réduire la voilure, prenons le même plis dès maintenant. Ce sera bénéfique pour tous les clubs formateurs, et obligera les autres à s’y mettre, à regarder de plus près les talents proches d’eux. Même avec moins d’argent, le sport continuera à nous faire vibrer.
Donc même en fédérale 3, Leucate a donc de beaux jours à vivre…
Laissez-moi conclure en vous racontant cette petite histoire. Le club existe depuis 1924, quand la coopérative viticole s’est développée et a récupéré ses terrains, dont celui du rugby, le club s’est endormi. En 1986, le maire de l’époque a fait construire un magnifique complexe, sur lequel nous jouons aujourd’hui. Mais à ce moment-là, il n’y avait ni équipe de rugby, ni de foot, ni rien. Il y avait 1 200 habitants à peine, et le village avait un complexe capable de recevoir des matchs professionnels. 5 ans plus tard, on a relancé le club avec toute l’histoire que vous connaissez maintenant. Une histoire d’hommes, où chacun a son rôle à jouer. Nous sommes en entente avec Sigean-Port la Nouvelle chez les jeunes, nous avons entamé des discussions très saines avec eux, cette crise sera l’occasion de repartir sur une nouvelle politique de formation. Donc oui, notre club a un passé, un présent et un futur. Oui, il a de beaux jours à vivre… même en demandant à descendre en fédérale 3.
Tout cela est très sensé. Le constat objectif sincère et alarmant.
Leucate est un club avec des valeurs, de vraies valeurs.
Le discours de son président devrait faire réfléchir tous les autres présidents voisins de Fédérales 2…
Bonjour,
Je suis tout à fait d’accord avec la décision du Président Castany……..la fédérale 3 peut nous permettre de passer d’excellents moments et de faciliter les déplacements des supporters.
La seule question que je me pose……….si on est champion de France de Fédérale 3 accepterons nous de remonter en Fédérale 2??
Bien amicalement Daniel ROCHER