Fils et petit fils de vigneron, Joël Castany a toujours gardé les pieds sur terre, et de préférence sur celles des Corbières maritimes, qui l’ont vu naître à Roquefort-des-Corbières. Ce passionné de rugby y jouera jusqu’en 1991. Date à laquelle, avec une bande de copains, il décide de relancer un club à Leucate. 30 ans plus tard, la fine équipe est toujours en place, et le club, parti de la 4ème série, évolue désormais en fédérale 2. La voix grave, l’accent rocailleux, le personnage a son franc parlé et reste fidèle à des valeurs fortes, où l’humain et le social s’entrecroisent allègrement. Grand supporter de Narbonne (dont il a été un des principaux sauveteurs en 2011), le pionnier-bâtisseur préside Leucate avec passion et conviction. Pour cet amoureux de la terre et du bon vin, la crise sanitaire qui frappe le monde actuellement est une occasion unique de repartir sur de nouvelles bases. Et se l’applique à son propre club, qu’il souhaite faire descendre d’un cran pour mieux vivre et partager la passion du rugby. Non, le club leucatois ne finira pas à la cave, mais au contraire, il préserve son terroir, son patrimoine et ses traditions, pour que les crus des prochaines saisons soient encore meilleurs. Entretien passionné et passionnant… (par Jonah Lomu)
Joël Castany, alors que la FFR a consulté les clubs de fédérale pour connaître leurs souhaits de maintien ou de montée, vous avez demandé à descendre de fédérale 2 à fédérale 3. Une décision a priori surprenante, alors que vous étiez en bonne position au classement (8ème, à 3 points de la qualification). Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Tout d’abord, c’est une décision indépendante de la crise actuelle je tiens à le préciser. Nous avions une réflexion engagée depuis trois mois déjà, une réflexion globale, inspirée de plusieurs constats. Tous les joueurs travaillent le lundi matin, et en fédérale 2, les déplacements sont beaucoup plus lointains. Rentrer à deux ou trois heures du matin, pour aller bosser quelques heures plus tard, ce n’est pas simple. D’autant plus quand vous rentrez « mâchés », car les impacts en fédérale 2 ont bien évolué aussi. Nos joueurs ont des vies de famille à côté du rugby, et ils jouent pour presque rien chez nous. Il est donc normal qu’il y ait un phénomène de lassitude après plusieurs années. Jouer en fédérale 3 nous permettra d’avoir moins de contraintes, et sûrement plus de plaisir.
L’aspect financier n’a pas pesé dans cette décision ?
Le club est sain, notre budget est de 284 000€, et même si les coûts augmentent chaque année, non, cela n’a rien à voir. Notre politique ne repose pas sur le financier, nous sommes plus sur une alternative sociale, sportive, et humaine, qui relie Narbonne et Perpignan. Mais la fontaine de Narbonne ne coule pas aussi bien qu’avant, Perpignan est redescendu d’un cran. A l’époque, on récupérait leurs jeunes, ceux de Béziers aussi, mais maintenant, ils gardent leurs espoirs, ce qui est normal. Il faut aussi prendre en compte les ambitions de Gruissan, notre voisin, qui semble avoir la volonté et les moyens de jouer en fédérale 1. Tout cela mis bout à bout a fait germer cette idée qu’il serait sans doute mieux de jouer en fédérale 3.
Les incidents survenus à Grasse, le 12 janvier dernier (voir article) , ont fini de vous convaincre peut-être ?
Oui, Grasse a été le coup de grâce si j’ose dire. Je ne reviendrai pas sur ce qu’il s’y est passé, mais j’ai vu des choses inadmissibles. J’y suis allé en voiture pour tout vous dire, à la suite du match, j’ai ramené un de nos joueurs à la gare, un autre aux soins. Au retour, après 1000 km parcourus dans la journée, je me demandais à quelle logique tout cela répondait, où était le plaisir. On est là pour vivre de belles aventures humaines, se faire des amis, et au lieu de ça, on ne prend aucun plaisir, et pire, on se fait des ennemis ! Non, merci, très peu pour moi.
Est-ce que pour cette demande auprès de la FFR, de descendre, les joueurs ont eu leur mot à dire ?
Même si je pars du principe que le président préside, et les joueurs jouent, on les respecte énormément. On a donc sollicité les cadres de l’équipe pour prendre la température. Et ils nous ont fait comprendre qu’ils étaient lassés par ce rythme. Nous étions en phase. Il s’agissait alors pour nous de lever un dernier doute auprès de la FFR.
C’est-à-dire ?
En lisant les règlements, il y est explicitement indiqué qu’une équipe qui demande une rétrogradation, ne peut participer aux phases finales de la saison suivante. Maurice Buzy-Pucheu (Vice président en charge du rugby amateur) nous a assuré formellement qu’en cas de descente, nous pourrions disputer les phases finales, si on venait à se qualifier bien sûr. C’était important pour nous, car on cravache toute une saison, pour vivre ces moments-là. Alors, à partir de là, la demande n’était plus qu’une formalité.
« On ne crée pas du lien avec de l’argent ! »
Une équipe en course pour se qualifier en phases finales de féd. 2, et qui demande à descendre, ce n’est pas forcément un message positif que vous envoyez à des joueurs qui pourraient être tentés de vous rejoindre non ?
On peut le percevoir ainsi oui. Mais vous savez, l’équipe dirigeante d’aujourd’hui est la même que celle qui a relancée le club en 1991. Nous sommes cinq anciens joueurs du coin, à avoir arrêté en même temps. On s’est dit un soir d’apéro, qu’il fallait recréer un club, en y mettant toute notre énergie, et prendre du plaisir. Nous avons disputé 10 finales, gagné trois titres, nous sommes montés de 4ème série à fédérale 2. Je le répète, mais les joueurs d’hier sont les dirigeants d’aujourd’hui, du président au trésorier, du gardien du stade au cuisto. Quand on regarde ce parcours, on ne peut qu’être fiers. Mais là, on s’est dit qu’on s’emmerdait, qu’il y avait moins de plaisir. On a un code génétique puissant, on vit avec la même philosophie depuis tant d’années, pas la meilleure sans doute, mais c’est la nôtre. On s’attache à vivre des moments forts. Ma plus grande émotion, n’est pas une montée ou un titre, mais une victoire contre une équipe réputée plus forte que nous, battue au courage, par des hommes qui défendent les mêmes valeurs. Et les joueurs d’aujourd’hui, dans une grande majorité, de la vieille garde aux plus jeunes, nous suivent dans notre raisonnement. Ceux qui voudraient nous rejoindre devront adhérer à ces valeurs aussi.
Et vous ne craignez pas, aussi, de perdre des joueurs ?
On en perdra, sûrement, mais ce seront des mecs qui ont le niveau au-dessus, et on les poussera au mieux pour aller dans des clubs qui seront plus hauts que nous. Nous avons des joueurs formés ou passés par chez nous qui jouent en fédérale 1, nous en sommes heureux et fiers pour eux. Mais je peux vous assurer que les liens qui existent entre les joueurs et le club sont très, très forts. On ne perdra pas grand monde je pense.
Comment vous créez ce lien justement, pour que les joueurs restent à Leucate ?
Ce n’est pas avec l’argent en tout cas, car on leur file une misère, juste un défraiement pour rembourser les kilomètres. Et ça ne va pas chercher bien loin, croyez-moi. En revanche, on fait jouer notre réseau, on se bat pour qu’ils engagent ou terminent des études pour les plus jeunes, qu’ils passent une formation, qu’ils trouvent un emploi par chez nous. On a aidé à titre indicatif, des joueurs à s’installer comme agriculteurs, ou comme viticulteurs. Un est devenu soudeur, un autre est banquier, un est rentré au centre conchylicole, nous avons aussi un joueur qui est devenu assureur. J’ai même un exemple d’un ancien junior, il y a 20 ans, que nous avions fait rentrer comme plombier à la Mairie. Aujourd’hui, il est toujours là, il gère un camping, a pu investir, etc… On les lance, et on les accompagne tout au long de leur parcours, y compris pour leurs proches. C’est une relation qui va au-delà du rugby. Et le plus beau dans l’histoire, c’est que ces mecs-là, renvoient l’ascenseur au club, car ils font un chèque avec leur société, pour devenir partenaires. Tout est dit.
Cette politique est raccord avec la crise sanitaire actuelle, puisque les budgets vont devoir être revus à la baisse, et l’argent ne sera plus le seul critère de choix d’un joueur…
C’est évident ! Notre niveau de vie va baisser, si on était à 100, on va passer à 70, si on achetait une voiture qui valait 100, on en achètera une qui vaudra 70, et ainsi de suite. Pour les clubs, c’est la même chose. Dès que le sport pourra s’exprimer de nouveau, on va assister à un rugby différent, recalibré. J’entends par là, avec des budgets plus conformes à la réalité. Certains clubs étaient en surchauffe. En fédérale 1 ou 2, vous avez des clubs qui ont un budget de plus d’un million d’euros et font 400 spectateurs tous les quinze jours, ce n’est pas possible. S’appuyer sur la région, le département, la mairie, pour avoir des subventions, ce n’est pas un modèle économique pérenne non plus. Idem si un club vit sur le dos d’un mécène. Qu’adviendra-t-il quand il partira. Les exemples sont légion depuis quelques années, de club qui se sont écroulés. Le rapport à l’argent devait être différent, d’une façon ou d’une autre. Cette crise ne sera qu’un accélérateur de cette prise de conscience.
Tout cela est très sensé. Le constat objectif sincère et alarmant.
Leucate est un club avec des valeurs, de vraies valeurs.
Le discours de son président devrait faire réfléchir tous les autres présidents voisins de Fédérales 2…
Bonjour,
Je suis tout à fait d’accord avec la décision du Président Castany……..la fédérale 3 peut nous permettre de passer d’excellents moments et de faciliter les déplacements des supporters.
La seule question que je me pose……….si on est champion de France de Fédérale 3 accepterons nous de remonter en Fédérale 2??
Bien amicalement Daniel ROCHER