Dire que le rugby amateur est en souffrance, est un doux euphémisme. Pour en prendre la mesure, nous avons décidé de solliciter un entraîneur des séniors et un autre des juniors, d’un même club, pour « confronter » leurs avis sur cette crise sanitaire, sociale, économique et enfin, sportive. Deux avis éclairés et éclairants, de Mathieu Julien, coach de l’équipe fanion du Toulouse Lalande Aucamville, et Mathias Bonnel, coach des juniors du TLA. Nul doute que beaucoup d’entre vous devraient partager leurs positions et leurs constats…
RugbyAmateur : Plus de trois mois sans compétition, sans véritable entraînement, comment est-ce que vous traversez cette période ?
Mathieu Julien : Elle est exceptionnelle, mais devient de plus en plus dure pour tout le monde, autant dans nos vies quotidiennes que dans notre vie rugbystique. Nous avons mis en place un entraînement le samedi matin de 11h à midi, pour rester en contact avec le groupe et lui permettre de se dégourdir les jambes. La première édition a bien fonctionné puisque nous étions 25 avec les juniors. On essaye aussi de garder le contact avec le public ou les dirigeants également via le Facebook du club, avec des vidéos que chacun prépare au fur et à mesure.
Mathias Bonnel :Il est difficile d’organiser des séances d’entrainements avec les directives mises en place.Il y a une perte générale de motivation pour l’ensemble des acteurs du rugby. Le lien social est coupé depuis plusieurs mois maintenant.
RugbyAmateur : Entretenir et maintenir cette motivation des joueurs, c’est mission impossible aujourd’hui ?
Mathieu Julien :On sent un relâchement de la part de tous nos joueurs, et c’est normal. Il n’est pas facile d’avoir la tête à notre sport quand on ne sait pas de quoi sera fait demain.
Mathias Bonnel : Comme je l’ai dit,il est de plus en plus difficile de mobiliser les joueurs. Les restrictions dues au couvre-feu rendent impossible les séances d’entrainements en semaine. Malgré la mise en place de séances le weekend, beaucoup de joueurs ne répondent pas présents pour différentes raisons. La démobilisation et perte de motivation chez certains est une réalité. Ils préfèrent profiter des weekends avec leurs familles pour sortir et se vider la tête, tant nos semaines sont devenues une boucle sans fin, boulot, maison, dodo.
RugbyAmateur : Craignez-vous des arrêts pour des joueurs démotivés, jeunes ou anciens ?
Mathieu Julien :J’espère que nous n’aurons pas trop d’arrêts, que tout le monde se dira qu’il n’est pas possible d’arrêter une carrière sur ca, pas après toutes ces années de bonheur que l’on a tous vécu depuis des années. Tant que la situation n’est pas claire, il est difficile de se projeter. Quand tout sera officialisé, sans doute que l’on percevra plus clairement l’impact que cette crise aura eu sur les licenciés.
Mathias Bonnel : C’est une certitude ! Certains ne reprendrons pas la saison prochaine. En tout cas, cette tendance était déjà présente chez les jeunes l’an dernier, et elle s’est renforcée. Depuis des mois, ils ne vivent qu’à travers de leurs écrans, entre les cours en visio, Netflix, et la console, cette épidémie aura renforcé la sédentarité. Ce qui, d’un point de vue sanitaire, semble aberrant. L’activité physique est devenue secondaire alors qu’elle devrait être mise en avant, encouragée et martelée par nos pouvoirs publics.
RugbyAmateur : La compétition devrait-elle reprendre ou doit-on déjà préparer la prochaine saison selon vous ?
Mathieu Julien :Pour moi la saison doit s’arrêter, il n’y a plus de sens à la poursuivre en l’état. Nous faisons ce sport pour deux choses primordiales : la complétion et la fête. Et la situation actuelle nous prive des deux depuis plus de trois mois. On commence donc à se projeter doucement vers la saison prochaine oui. Il faut tout de même se donner des objectifs à court terme, autrement, on déprime et on ne fait plus rien. Vivement que cette situation soit derrière nous et qu’on puisse retourner sur les terrains comme à la belle époque. Mais attention quand les chevaux seront lancés, il y aura sans doute du dégât !
Mathias Bonnel :La saison est à l’arrêt depuis fin octobre, donc même si une reprise intervenait dans les semaines à venir, il sera difficile d’appeler ça une saison. Certaines équipes, chez les jeunes principalement, ne comptent pour le moment qu’une seule rencontre officielle depuis septembre, autant dire qu’il vaut mieux se projeter sur septembre… prochain ! Malgré toutes ces difficultés, il faut se servir de ce moment d’arrêt afin de travailler efficacement en vue de la saison prochaine. Ce n’est pas le temps qui nous manque, donc autant en profiter afin de revoir notre organisation en prenant en compte les changements occasionnés par cette crise.