C’est à 17h30 que le président de la Ligue d’Occitanie, Alain Doucet, a remis pour la première fois de son histoire, le bouclier de champion Honneur d’Occitanie à Quentin Rigobert, capitaine d’Oursbelille-Bordères. A la joie intense des joueurs et du staff haut-pyrénéens, contraste alors la tristesse digne de leurs adversaires haut-garonnais de l’Isle-en-Dodon, ou les larmes intarissables du capitaine Mathieu Gilibert. Scènes vécues et connues depuis la nuit des temps sportifs et qui se répéteront inlassablement tant qu’existeront ces finales, comme celle de ce dimanche sur la pelouse toulousaine du FCTT. Mais pour en arriver à ce moment-là de l’histoire, il convient cependant de remonter le temps et de revenir cent vingt minutes en arrière. Magnéto… (résumé et photos par Wildon)
15h00. Le coup de sifflet de M. Hueso libère les trente protagonistes. Rapidement, apparaît une forme d’équilibre entre les deux formations qui se rendent coup pour coup, notamment dans un affrontement physique où les deux packs se neutralisent. De leurs côtés, les artilleurs de service ne sont pas en veine : Sempé (OBRC) rate totalement sa pénalité (8e) quand Daran (L’Isle-en-Dodon) voit sa tentative trop courte, rebondir sur la barre horizontale des perches (10e). S’en suit néanmoins un très gros temps fort des Garonnais dont la poussée est bloquée in extremis par… la base du poteau des Pyrénéens (15e).
Et la réussite des botteurs ne s’améliore pas avec le nouvel échec de Daran, dont la pénalité passe à gauche des perches (17e). Sempé rate également la mire (26e). Cependant, entre temps, les Lislois ont enfin réussi à enfoncer la défense pyrénéenne au terme d’un nouveau temps fort énorme. De pick and go en rucks (puristes de la langue française, merci d’être venus nous voir), ils se heurtent néanmoins à un mur hermétique dans ce type de jeu. La lumière survient alors de la magnifique passe au pied (à l’anglaise donc) signée Daran, dont la frappe en cloche trouve Malet, malin, qui réceptionne parfaitement le cuir et aplatit pour un essai que Daran va bonifier quelques secondes plus tard (20e, 7-0).
Alors que les Dodonais auront cravaché comme des damnés pour s’approcher de la ligne d’essai adverse, les Pyrénéens vont faire le voyage inverse en beaucoup moins de temps. Dans la minute qui suit la pénalité ratée de Sempé (26), les « Cabilats » remontent tout le terrain et marquent leur premier essai, en coin, par Bellardi, non transformé (27e, 7-5). Le match bascule doucement mais sûrement en faveur d’Oursbelille-Bordères, comme avec cette interception qui manque de se terminer en essai, Malet (L’Isle) étant un poil plus rapide que Noguès (OBRC) pour couvrir le ballon à suivre roulant vers l’en-but dodonais (30e). Six minutes plus tard, sur une touche rondement jouée et conquise, les Pyrénéens enclenchent une attaque comme à la parade. La défense lisloise, étirée, rompt sur l’ultime jeu de passe : Gandarias ouvre sur Monteagudo, le pilier fait suivre à son talonneur, Pouyforcat forçant le passage pour marquer en coin. Superbe ! Sempé trouve enfin les perches et ajoute deux points de mieux au tableau d’affichage : l’OBRC vire en tête pour la première fois du match (36e, 7-12).
Mais il était dit que l’équilibre entre les deux formations allait se poursuivre dans cette sorte de course-poursuite au score. Sur un nouveau temps fort qui rappelle celui de l’essai de la 20e minute, L’Isle-en-Dodon transforme le temps additionnel en minutes incandescentes qui trouvent leur issue dans un nouvel essai en coin (non transformé) de Malet qui s’offre un doublé (40e +3). Au tableau d’affichage, le score de 12-12 reflète parfaitement la physionomie de la rencontre : engagée, intense, indécise.
Le retour sur le pré des deux équipes recommence par un duel d’artilleurs. Et si Daran rate sa pénalité (42e), Sempé, lui, ne la manque pas. Les Pyrénéens repassent en tête à la marque (43e, 12-15). La deuxième mi-temps ayant commencé sur les mêmes bases que la première, avec un gros matraquage des lignes d’avants, les deux entraîneurs procèdent à un coaching anticipé, avec l’entrée de quatre joueurs chacun, et en même temps (51e). Sempé, patte de velours, cœur chaud et pas fatigué, balance victorieusement une prune ovale entre les barres. Le trou est fait (52e, 12-18).
C’est alors que survient le gros incident de cette rencontre lorsque Daneau, le pilier gauche de L’Isle-en-Dodon se blesse lourdement dans un ruck, genou tourné, grosse luxation, rotule sortie de son axe. Le match s’interrompt durant de longues minutes, le temps nécessaire à la venue du SAMU et des pompiers avec leurs véhicules, à même le terrain. L’évacuation de Daneau se fait sous les applaudissements à tout rompre des joueurs des deux camps, mais aussi de l’ensemble du public du stade, peu importe la couleur de ses supporteurs. le blessé renvoie la politesse. Un beau moment…
Après environ trente minutes d’arrêt, l’arbitre redonne le coup d’envoi. Les Lislois reprennent à nouveau le jeu à leur compte, mais la défense haute-pyrénéenne lit parfaitement leurs intentions. Tout possesseur du ballon est immédiatement bloqué par un ou deux adversaires. Cette paralysie du jeu d’attaque quelque peu « téléphoné » n’empêche pas Daignan, rentré en cours de jeu, de réussir sa pénalité (66e, 15-18).
Trois points. Trois petits points séparent alors les deux finalistes dans un match qui ne semble pas avoir encore choisi son camp. Le destin du rugby balbutie : Haute-Garonne ou Hautes-Pyrénées ? L’Isle-en-Dodon ou Oursbelille-Bordères ? Gandarias donne une indication, avec trois points de plus pour l’OBRC sur pénalité (74e, 15-21). Les Ourbelillo-Borderais restent encore sous la menace d’un essai transformé des Lislois. Mais malgré toute leur volonté et tous leurs efforts, les hommes de Christophe Lafforgue ne verront jamais la terre promise. Coup de sifflet final de M. Hueso, joie intense des Haut-Pyrénéens, sacrés champions Honneur d’Occitanie pour la première fois de l’histoire du rugby occitan, nouvelle version.
Arrêt sur image : à 17h30, donc, le président de la Ligue, Alain Doucet, remet le fameux bouclier à la plaque vierge de tout nom de club, à Quentin Rigobert, capitaine d’un OBRC aux anges. Malgré la sérieuse blessure de Daneau, la fête du rugby a été parfaite à Toulouse. La fête des Pyrénéens promet, quant à elle, d’être aussi grandiose que longue, sur les rives de l’Echez.
Les réactions
Gilles Romo, entraîneur d’Oursbelille-Bordères
« On n’a certes pas décroché la Lune
mais c’est une bien belle chose ce qu’on a fait. »
Rugby Amateur : Juste après avoir reçu le bouclier de champion, quels sont vos sentiments ?
GR (sourire) : On réalise ce qu’on a fait aujourd’hui… On n’a certes pas décroché la Lune mais c’est une bien belle chose ce qu’on a fait. C’est une belle récompense pour tout ce public qui nous suit depuis le début de la saison, mais aussi pour cette association de deux villages. Ça n’a pas été le plus beau match de rugby auquel on a assisté mais cela reste une belle fête du rugby pour tout le monde, tout en ayant une pensée pour le pilier de L’Isle qui s’est blessé en seconde période.
RA : Votre gros point fort n’a-t-il pas été votre défense ultra compacte, très rapide et très haute sur vos adversaires ?
GR : Depuis les phases finales, on a eu trois matches très difficiles à jouer, du même acabit que celui d’aujourd’hui. Et notre défense a toujours été notre point fort. On a beaucoup travaillé là-dessus depuis notre stage d’avant-saison à Biscarrosse. Tout s’est mis de plus en plus en place. Sans cela, on n’aurait pas gagné la finale voire on n’aurait pas été ici tout court. Maintenant, on a su se créer des intervalles qu’on a exploité avec habileté. Eux ont certainement eu la possession du ballon, nous on a eu l’efficacité.
Quentin Rigobert, capitaine d’Oursbelille-Bordères
« On joue ensemble depuis plusieurs années
et on est une bonne bande de copains. »
Rugby Amateur : Capitaine, on imagine sans peine la grosse joie que vous devez éprouver ?
QR : Oui, tout à fait. Mais avant tout, je veux féliciter aussi la très belle équipe de L’Isle-en-Dodon, très solide devant et très joueuse derrière. Ça se joue à quelques détails. On s’était dit qu’il faudrait être très présent au bord des rucks. Ils étaient bien plus gaillards que nous et on s’est bien « filé » en défense. Cela se joue à peu, comme toujours sur une finale et on a eu la chance de notre côté. Je suis très fier du groupe.
RA : La clé de votre succès tient-elle à votre jeu d’attaque qui fait la différence ou à votre grosse défense ?
QR : (sans hésiter) Une très grosse défense, mais aussi à une grosse amitié. Pour la plupart d’entre nous, on joue ensemble depuis plusieurs années et on est une bonne bande de copains. On a tout donné en défense. Et puis ensuite, derrière, ça va à « dix milles » et cela suffit pour marquer. On s’était fixé un objectif avec la montée en Fédérale 3, c’est fait. Ce bouclier d’Occitanie clôture parfaitement cette partie de la saison. Maintenant, place au championnat de France.
Christophe Lafforgue, entraîneur de L’Isle-en-Dodon
« On n’est certes pas sur le toit de l’Occitanie
mais on est dans le grenier. »
Rugby Amateur : On ne connaît que trop les sentiments amers liés à une défaite en finale, mais que retenez-vous de cette rencontre ?
CL : En termes de sentiments, il n’y a pas d’émotions particulières parce qu’on est tombé sur une équipe qui a mieux maîtrisée que nous. Il n’y a pas de sentiment d’injustice puisqu’on a donné ce qu’on avait à donner. Mais il a manqué des détails chez nous. On avait un plan de jeu sur la conservation du ballon. On a fait trop de fautes directes pour cela. Je pense aussi qu’ils nous avaient bien lu à la vidéo, mais changer un plan de jeu que pour la finale, c’est compliqué. Les joueurs ont des automatismes et les gardent. On avait prévu de les fixer dans l’axe pour les faire jouer contre-nature. Ça a marché sur les deux essais qu’on marque. Mais, je le répète, on a fait trop de fautes directes, et sur une finale, ça ne pardonne pas. Il faut certes de la générosité, mais il faut aussi un certain niveau de jeu. On ne l’a pas eu, donc aucun regret à avoir.
RA : Malgré la déception de la finale, on peut qualifier votre saison de très réussie quand même ?
CL : C’est une saison très réussie oui, même si elle n’est pas finie. Il ne faut pas oublier qu’on est aujourd’hui en finale de la Ligue d’Occitanie alors qu’il y a quatre ans encore, on était en 1ère Série de Midi-Pyrénées. On n’est certes pas sur le toit de l’Occitanie mais on est dans le grenier… Alors on ne va pas être déçu de ce qu’on a fait tout en étant très fiers de mes garçons. C’est insoupçonnable ce qu’ils sont capables d’aller me chercher… Mais au-delà de ça, avec une montée en Fédérale 3 et une finale de Ligue d’Occitanie, on ne peut guère rêver mieux. Maintenant, place au championnat de France !
Mathieu Gilibert, capitaine de L’Isle-en-Dodon
« On s’est « vidé », on a tout donné, donc on n’a pas de regrets… »
Rugby Amateur : Mathieu, on vous a vu verser de grosses larmes après la fin du match, une déception qu’on imagine à la hauteur de l’engagement de votre équipe pendant toute cette rencontre ?
MG : Oui, toute l’équipe, tout le public, tout un village s’est vidé pour essayer de gagner ce match. Après… (silence) ça n’a pas rigolé. On a été un peu… désordonné. Mais on s’est « vidé », on a tout donné, donc on n’a pas de regrets de ce côté-là.
RA : On a quand même ce sentiment d’une grosse force de votre pack mais qui s’est enfermé aussi dans un jeu stéréotypé…
MG : On avait vu qu’autour des mauls, ils étaient un peu laxistes. En première mi-temps, on a insisté sur ce point et ça a bien fonctionné. Par contre, en seconde mi-temps, on a vu qu’ils avaient rectifié le tir et on s’est fait prendre. On s’est vidé sur le terrain, on a tout donné, je le répète, donc on n’a pas de regrets. Maintenant, l’aventure continue avec le championnat de France. Il faut continuer à se faire plaisir, c’est l’essentiel.
Alain Doucet, président de la Ligue de rugby d’Occitanie
« Si tu rejoues le match dix fois, L’Isle-en-Dodon
peut le gagner cinq fois«
Rugby Amateur : Président, vous avez remis tout à l’heure le tout premier Bouclier de champion Honneur de la Ligue d’Occitanie. Que retenez-vous de cette finale ?
AD : Avant toute chose, j’espère que le joueur de L’Isle-en-Dodon va se remettre rapidement de sa blessure qui ternit un match qui a atteint de très grands sommets. Je crois qu’on a vu un match qui a emballé tout le monde. Sans la concurrence télévisuelle du moment [diffusion du match de Champions Cup Leinster-Stade Toulousain à la même heure], le rugby d’Occitanie en serait sorti encore plus grand vainqueur. Parce qu’on a vu un match de très haut niveau.
RA : Quelle image allez-vous retenir en premier à l’issue de cette première finale d’Occitanie ?
AD : D’abord, l’excellente mentalité de tous les acteurs. Il n’y a pas eu de méchanceté, pas un sale coup, un match limpide, d’une propreté, d’une correction et d’un état d’esprit extraordinaires. Des matches de ce niveau, j’aimerais en avoir beaucoup. Maintenant, il fallait un vainqueur et peut-être que l’OBRC a fait preuve de plus de dynamisme à certains moments, malgré un jeu moins académique. Mais si tu rejoues le match dix fois, L’Isle-en-Dodon peut le gagner cinq fois et l’OBRC cinq fois aussi. Cela se joue sur des détails, comme souvent en finale.
LA FEUILLE DE MATCH
A Toulouse (Stade Aybram) – L’Isle en Dodon – Oursbelille-Bordères 15-21
Mi-temps : 12-12
Pour L’Isle-en-Dodon : 2 essais de Malet (20, 40 +3), une transformation de Daran (20), une pénalité de Daignan (66)
Pour Oursbelille-Bordères : 2 essais de Bellardi (27) et Pouyforcat (36), 2 pénalités (43, 52) et 1 transformation de Sempé (36), 1 pénalité de Gandarias (74).
Arbitre : Mr Hueso, assisté de Mrs Lapassade, Chouquet et Rodriguez
L’Isle-de-Dodon : Daneau, Belmonte, Barrière, V. Toudou, Gilibert (cap), Molinengo, Samaran, Charlas, Carivenc, Cot, Malet, Arieu, Cortet, Daran, Maret – Remplaçants : Bollé, A. Tourou, Marrou, Truillet, Dutrain, Daignan, Soulé.
Oursbelille –Bordères : J. Soulès, Pouyfourcat, Monteagudo, Partembene, Pène, Trépout, Bellardi, Rigobert, Saint-Martin, Gandarias, Noguès, Sempé, Dansaut, Dossou Yovo, Belin – Remplaçants : Francisco, Halot, Abadie, Morera, Garcia, T. Soulès, Ebel.
Match de forte intensité y compris émotionnelle dont l’issue aurait pu être inverse sans que l’on trouve à rechigner.