À Mayotte, avaient lieu les finales de la Coupe d’Automne en décembre dernier, une des trois phases de la saison. Une grosse partie du rugby mahorais s’était donc réunie au Stade de Cavani à Mamoudzou, la capitale, pour assister aux trois rencontres du jour (petite finale masculine, finales féminines et masculines). L’occasion pour nous de revenir sur cette compétition et, plus largement, de (re)découvrir le rugby mahorais grâce à Frédéric Gobin, son conseiller technique depuis 2019… (par Ax les Termes)
Deux finales aux scénarios fous
La Coupe d’Automne dure de septembre à novembre et se joue à X pour les hommes, et à VII pour les femmes. Les huit clubs masculins de l’île s’affrontent d’abord en deux poules durant 6 journées, avant que les quatre premiers accèdent au dernier carré. Côté féminin, quatre équipes sont alignées et les deux premières vont directement en finale. Selon Frédéric Gobin, cette année, l’édition a notamment été marquée par des surprises en demi-finales masculine : « Les deux premiers de poule, les Desperados (Poule 1, 5 victoires pour une défaite) et Koungou (Poule 2, 6 victoires) ont tous deux manqué leur demie et se sont inclinés respectivement face à Chiconi et Combani. »
Cette finale inattendue a en plus connu un scénario remarquable, tout comme celle des féminines. « La journée a commencé par la petite finale dès huit heures, afin de finir avant les fortes chaleurs de l’après-midi », raconte le conseiller technique. « Puis est arrivée la finale féminine, entre l’entente Chiconi – Combani et les Desperados, qui s’étaient tiré la bourre durant toute la saison et qui ont largement dominé le championnat. D’ailleurs, une très grande partie de la sélection féminine de Mayotte vient de ces deux clubs. Sur le terrain, elles ont livré un match très serré, qui s’est finalement décidé à la mort subite (15-10), en faveur de l’entente. Nous avons été gâtés, car il y a ensuite eu autant de suspense durant la finale masculine, car Chiconi a arraché la victoire à la dernière minute sur pénalité, face à Combani. On a donc eu deux très belles rencontres. » Chiconi réalise donc la grosse performance de ce début de saison et remporte les boucliers féminins et masculins 2023.
Malgré le mauvais temps, ces trois rencontres ont rassemblé beaucoup de monde : « Les clubs déjà éliminés et les écoles de rugby des équipes concernées étaient tous venus assister aux matchs. C’était sympa de voir autant de gens au stade de Cavani. Malheureusement, à cause du contexte d’insécurité, notamment dans ce quartier tendu du chef-lieu, nous n’avons pas pu leur proposer plus d’animations durant cet événement. Une prochaine fois je l’espère. »
Où en est le rugby à Mayotte ?
La saison y fonctionne en trois parties : d’abord cette coupe d’automne, à X pour les hommes, puis une phase de XV entre les 3 provinces (Nord, Est, Sud), et enfin, après le ramadan, un dernier tournoi entre clubs, mais à 7. Ce regroupement par province est nécessaire pour avoir des groupes suffisamment étoffés à XV.
En effet, les clubs du Comité de Mayotte sont souvent soumis à des manques d’effectif, comme l’explique Frédéric Gobin : « Heureusement, concernant le XV, les provinces sont toutes composées de plusieurs clubs et peuvent facilement aligner des groupes complets. Nous n’avons également pas de problèmes au niveau du 7 en club, car cette pratique demande moins de joueurs et correspond mieux au jeu d’évitement des Mahorais. En revanche, c’est plus compliqué à X, car tous les clubs ne peuvent pas constituer des groupes de 10 à 15 joueurs sur six matchs. Par exemple, cette saison, Mtsangamouji a déclaré 5 fois forfait et le RC de Petite Terre 3 fois. »
La cause de ce manque de licenciés est clairement identifiée par le conseiller technique : le rugby mahorais tient principalement grâce aux joueurs de métropole, qui ne restent pour la plupart pas éternellement. « Chaque année, nous avons un très gros turnover, car des licenciés arrivent et repartent constamment de et vers la métropole. Pour les clubs, les saisons se suivent mais ne se ressemblent pas du tout. Les membres des forces de l’ordre ou du corps médical, nombreux parmi nos pratiquants, peuvent même partir en milieu d’année en fonction de leur mutation. »
Accompagner les jeunes dans un contexte difficile…
Pour être moins dépendant de ce turnover des joueurs de la métropole, le comité de Mayotte et son CTC misent fortement sur la formation. « Une des politiques du comité est de faire passer cette formation par nos huit clubs. D’ailleurs, depuis un an, ils ont tous une école de rugby jusqu’au M14. Bien évidemment, le but est que les jeunes Mahorais s’impliquent davantage dans le rugby local, car ils représentent son avenir. Malheureusement, on sait qu’on en perdra forcément une bonne partie d’entre eux, car ils s’envoleront vers la Métropole pour leurs études. »
Le comité travaille également dans les établissements scolaires, pour faire changer les mentalités vis-à-vis du rugby : « Les agents de développement et les conseillers techniques, dont je fais partie », rappelle Frédéric Gobin, « interviennent dans les écoles primaires, collèges et lycées, pour faire découvrir notre sport, largement dominé par le foot ici. À titre de comparaison, il y a 17000 licenciés pour le foot et seulement 850 au rugby : c’est véritablement la deuxième religion après l’Islam. Les quelques initiés connaissent le rugby par la télévision et trouvent souvent les impacts trop violents. À nous, donc, de leur montrer la réalité. Dans les écoles, ça passe par des ateliers lors de leurs temps de sport, et à la fac, par une équipe de rugby à 5. Certains des étudiants sont des futurs instituteurs et, on l’espère, enseigneront plus tard le rugby à leurs élèves. Les autres sont tous des futurs parents, peut-être de jeunes licenciés. En parallèle, on organise aussi des événements de beach-rugby ou des initiations dans les quartiers prioritaires. Toutes ces initiatives s’inscrivent donc dans une stratégie de long-terme, un vrai travail de fourmi. »
Cependant, l’actualité mahoraise est fortement marquée par deux situations compliquées : une violence de plus en plus importante et non contrôlée sur le territoire, ainsi qu’une pénurie d’eau potable. Malheureusement, le rugby n’est pas épargné par ces problématiques, comme le confirme Frédéric Gobin : « Mardi soir, l’eau du robinet a officiellement été déclarée non potable par arrêté préfectoral, et c’est l’armée et la sécurité civile, qui fournissent les familles démunies. Dans ces conditions, difficile de demander à chaque licencié de venir se dépenser et ramener sa propre bouteille d’eau. Il nous faut donc assurer l’approvisionnement nous-mêmes, mais là encore c’est compliqué. Nous devons parfois faire plusieurs supermarchés avant de trouver des packs d’eau disponibles. Concernant l’insécurité, le problème se situe surtout au niveau des caillassages de bus. Il y a deux semaines, un bus qui amenait nos jeunes au stade a été attaqué et une joueuse a eu le radius cassé, et un autre a dû se faire recoudre la joue. Les conséquences pour nous sont claires : certains de nos jeunes joueurs ont été envoyés par leurs parents en métropole, afin d’échapper à tout ça et d’autres ne sortent plus de chez eux le soir. »
Espérons donc que cette situation compliquée pour tout le monde, s’arrange bientôt pour que le CTC et le comité puissent reprendre leur travail de développement du rugby dans les meilleures conditions…
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