L’affaire Altrad. Voilà comment était nommé un présumé favoritisme en faveur du Montpellier Hérault Racing, en intervenant auprès de la commission d’appel de la FFR pour diminuer des sanctions contre le club, fin juin 2017. Cette affaire donc, refait surface à quinze jours de l’élection fédérale, au point d’envoyer Bernard Laporte, Serge Simon, Claude Atcher et Mohed Altrad, en garde à vue aujourd’hui…
Cette garde à vue de ce mardi 22 septembre est une étape de plus dans une campagne pour la présidence de la FFR, particulièrement tendue. Les nombreuses piques émanant de l’opposition, menée par Florian Grill, ont souvent trouvé un écho par presse interposée. Un débat n’étant même pas envisageable dans le clan Laporte. Ce nouveau rebondissement tombe aussi dans une période de vive tension entre la LNR et la FFR. Bernard Laporte vient de poster un communiqué pour justifier et défendre sa position :
« Chers amis,
A 10 jours d’une échéance capitale pour notre Fédération, une campagne coordonnée de déstabilisation s’abat sur le rugby français. C’est une véritable tentative de putsch dont la motivation des auteurs ne fait aucun doute. Tout ceci participe d’une véritable stratégie électoraliste assez nauséabonde.
À l’heure où je vous écris, je serai auditionné ce mardi 22 septembre dans le cadre d’une enquête préliminaire de ce que d’aucuns ont qualifié d’« affaire ALTRAD ». C’est une étape logique et normale, issue d’une procédure qui fût entamée, il y a près de 3 ans et pour laquelle j’ai hâte de m’exprimer. Je souhaite vous préciser que c’est une enquête préliminaire et qu’à ce titre, qu’il n’y avait objectivement plus aucun caractère d’urgence à m’entendre avant l’élection.
Devant les risques d’interférence sur le processus électoral et sur la sincérité du scrutin, nous avions demandé un report de quelques jours au Procureur du PNF en charge de cette enquête. Cela nous a été refusé à plusieurs reprises avec comme seule explication, celle de difficultés d’organisation calendaire.
Dans cette conjonction des calendriers, je ne puis y voir qu’un dessein. La campagne de presse autour de cette convocation va être savamment orchestrée pour faire un mauvais buzz dans les médias. C’est écrit.
Ce tribunal médiatique a un seul objectif : me présenter à vos yeux comme coupable sans possibilité de me défendre et en faisant fi de la présomption d’innocence, droit fondamental nous protégeant toutes et tous. Je ne suis d’ailleurs pas mis en cause par la justice et j’ignore encore à ce jour tout de ses investigations. Dans le cadre d’une enquête préliminaire, personne n’a accès au dossier.
Je suis très respectueux du travail de la justice et je réclame depuis des mois que ce dossier soit mené à terme au plus vite. Mais la méthode est révoltante. Les nombreux refus du Procureur concernant le report de cette audition sont indignes de la justice d’un pays comme la France.
Lorsque la justice se mêle à la politique, les deux se fragilisent. Je vais affronter cette épreuve avec force et sérénité. Je n’ai dans ce dossier dont j’ignore tout du contenu, aucune responsabilité.
Je n’ai rien à me reprocher. Au contraire j’ai tout mis en œuvre pour faire gagner le Rugby que nous aimons. Ce Rugby amateur qui était resté le parent-pauvre des plusieurs décennies de léthargie d’une Fédération qui ne réformait plus, trop occupée à capitaliser pour bâtir un stade pharaonique et ruineux.
Je dérange car j’ai réussi, avec vous. Je dérange le monde professionnel, que j’ai obligé à contribuer solidairement au monde amateur, et qui aimerait beaucoup me voir chuter au profit d’une équipe plus malléable pour ne pas dire servile.
Il est évident que je suis en colère. Non pas pour moi, car je n’ai rien à me reprocher, mais pour vous dirigeants de Clubs bénévoles. On tente par des moyens incroyables de vous voler cette élection, de vous dérober votre vote pour lequel je me suis battu.
Ce calendrier est révoltant et indigne du fonctionnement d’une démocratie éclairée. Je le dis haut et fort : nous allons nous battre, résister, et nous révolter.
Meeting après meeting, sondage après sondage, je vous sais derrière moi, derrière mon bilan et celui de mon équipe. Je ne laisserai pas ces basses manœuvres voler votre scrutin.
Je vous appelle à voter pour un avenir juste, où l’argent généré par le rugby professionnel revienne aux bénévoles.
Je vous appelle à voter pour que vous les clubs puissiez décider souverainement de l’avenir de leur sport, et cela sans subir les déstabilisations procédurières, les pressions médiatiques ou politiciennes.
Je vous appelle à voter pour une fédération française de Rugby forte, indépendante, au service exclusif de ses clubs, comme je le suis depuis quatre ans.
Vous voulez comme moi, une fédération puissante, défendant ses Clubs amateurs forts et ses XV de France rayonnants et performants.
A ceux qui ont d’autres desseins,
A ceux qui pensent pouvoir abandonner les Clubs amateurs à leur sort,
A ceux qui pensent que le XV de France n’est pas important,
Ceux-là me trouveront toujours sur leur chemin et ils devront répondre de leurs actes.
Je suis plus que jamais déterminé à défendre cet idéal. Nous devons nous battre et résister. Le 3 octobre à midi, ce sera une nouvelle page de victoires pour le rugby français qui va s’écrire, car notre équipe va l’emporter. L’avenir est prometteur.
Je compte sur vous autant que vous pouvez compter sur moi.
Votre Président, Bernard LAPORTE »
Pour bien et mieux comprendre les faits, voici un résumé par France Info
• Qu’est-il reproché à Bernard Laporte ?
Bernard Laporte est accusé d’avoir demandé, en 2017, à la commission d’appel de la FFR de réduire une sanction contre le Montpellier Hérault Rugby club, structure détenue par Mohed Altrad, également en garde à vue ce mardi.
Or, d’après une enquête du JDD sortie pendant l’été 2017, le patron de la FFR avait auparavant noué des liens financiers avec le gérant du Montpellier club. En l’occurrence, Laporte aurait signé un contrat de 150 000 euros avec Altrad pour quatre conférences.
Des perquisitions avaient eu lieu en février 2018 au siège de la FFR (au moment d’un stage du XV de France) et chez Laporte et Altrad, avant que plusieurs auditions ne se déroulent avec divers protagonistes de l’affaire.
Il faut savoir que les sanctions envers le club d’Altrad avaient effectivement été réduites par la commission d’appel : une amende de 70 000 euros a par exemple été ramenée à 20 000, tandis que deux joueurs suspendus ont vu leur période de sanction rabotée.
• Qui est Mohed Altrad ?
Mohed Altrad est le patron du groupe Altrad, spécialisé dans les matériels de bâtiment. Il est aussi devenu un acteur incontournable du rugby français via le Montpellier club, mais aussi à travers son implication dans les institutions. En mars 2017, le groupe Altrad devient ainsi la première entreprise privée de l’histoire à s’afficher sur le maillot de l’équipe de France de rugby à XV.
• En quoi consistent les liens entre Laporte et Altrad, et pourquoi posent-ils problème ?
Le contrat évoqué plus haut entre Bernard Laporte et Mohed Altrad porte précisément sur un partenariat entre les sociétés Altrad Investment Authority et BL Communication, structure gérée par Laporte. Il aurait été signé à peine quelques mois après l’intronisation de ce dernier à la tête de la FFR. Ce document a permis à Altrad d’exploiter l’image de Laporte, puisque ce dernier était alors contraint de donner quatre interventions/séminaires contre 150 000 euros versés à BL Communication.
Cela pose la question du conflit d’intérêt, dans la mesure où Altrad, en tant que dirigeant de club, a régulièrement affaire à la FFR, dirigée donc par Laporte. Dans ce cas précis, le dirigeant de la FFR est soupçonné d’avoir favorisé le club d’Altrad.
• Que répondent Bernard Laporte et Mohed Altrad à ces accusations ?
Le JDD, l’hebdomadaire auteur de la première enquête sur le sujet, avait affirmé qu’Altrad avait « fermement démenti » l’existence de ce contrat. Pourtant, Bernard Laporte avait, dans un communiqué du 28 août 2017, annoncé renoncer à ce contrat (qui existe donc bel et bien) dans le but « de faire cesser toute forme de suspicion à l’encontre des instances nationales du rugby » et « de préserver les valeurs du groupe Altrad« . Laporte se disait alors « conscient de l’émotion légitime suscitée par la diffusion d’informations véridiques ou parfaitement erronées« . Il entendait rétablir la vérité dans les prochains jours en produisant des « documents contredisant le récit mensonger qui a été fait de la réunion de la commission d’appel (de la fédération) du 30 juin« .
En apprenant la date de l’audition de son client à ce mardi 22 septembre, l’avocat de Bernard Laporte s’est exprimé dans l’Equipe sur le timing du parquet : « On peut imaginer que sept mois d’analyses des documents saisis lors des perquisitions auraient suffi pour le convoquer en septembre 2018, ajoute l’avocat. Mais nous sommes en septembre 2020. Il est insensé d’attendre deux ans avant de l’entendre, juste avant une élection à la fédération française de rugby. » L’élection à la fédération française de rugby est prévue pour le 3 octobre prochain.
• Quel est le lien entre cette affaire et le Mondial de rugby 2023 en France ?
Pour l’instant, officiellement, aucun. Pourtant, les enquêteurs ont placé en garde à vue le responsable des relations internationales à la FFR, Nicolas Hourquet, ainsi que le directeur général du comité d’organisation de la Coupe du monde 2023, Claude Atcher. Le Canard Enchaîné du 12 août avait indiqué que la Brigade financière se penchait de près sur l’obtention de la Coupe du monde 2023. L’hebdomadaire satirique affirmait ainsi que « des responsables de la trésorerie de la FFR ont été entendus, ainsi que des membres de l’équipe marketing ». La BRDE s’intéresserait également à l’association « Le Cercle des soutiens France 2023 » qui, comme son nom l’indique, rassemble un certain nombre d’acteurs (PDG d’entreprises, cadres etc) qui soutenaient officiellement la candidature de la France au Mondial 2023. D’après le Canard Enchaîné, des membres de cette association « proches de Bernard Laporte » avaient été entendus par les enquêteurs.
Par ailleurs, Mohed Altrad affiche publiquement son soutien à la candidature française pour l’accueil du Mondial de rugby 2023. Le logo de son groupe est suivi d’un #France2023 sur le maillot de l’équipe de France, pendant la campagne en 2017.
Alors qu’elle n’était pas favorite, la France a été désignée pays hôte de cette Coupe du Monde le 15 novembre 2017.