Dans la poule 8 de Fédérale 2, la lutte pour le maintien est restée indécise jusqu’au bout. Si le RC Amiénois était condamné à la descente depuis un moment, Plouzané AC et le RC Auxerrois se sont quant à eux livrés une belle bataille pour éviter l’autre siège éjectable, synonyme de relégation. Et pour pimenter encore un peu plus cette course folle, le hasard du calendrier avait bien fait les choses, puisque l’affiche de l’ultime journée opposait les deux équipes. Un match de la peur en terre bretonne avec un bail d’une année supplémentaire en Fédérale 2 promis au vainqueur. Un déplacement long de 730 km, un scénario dantesque et une victoire arrachée par les visiteurs au bout du suspense d’un point. Le manager général auxerrois, Raphaël Urbina, grand artisan de ce maintien, évoque ici cette dernière journée pleine d’émotions… (Par Loulou, crédit photo Clémentine Lasne)
Un final épique pour le RC Auxerrois
À tout juste 31 ans, Raphaël Urbina est déjà un manager expérimenté. Sérieusement touché lors d’un choc à la tête, il fut rapidement contraint de mettre un terme à sa carrière de joueur pour embrasser celle d’entraîneur. Originaire du bassin toulousain, ce grand passionné de rugby a depuis trouvé sa place non loin du banc de touche. Après deux saisons dans le Jura au FC Saint-Claude – avec à la clé une montée de la Fédérale 3 vers la Fédérale 2 -, il rejoint le RC Auxerrois en 2020, “un projet de formation où ils m’ont laissé carte blanche.”
Mais ce match à Plouzané était pour lui le dernier à la tête de la formation bourguignonne. Après quatre saisons sur les bords de l’Yonne, Raphaël Urbina a décidé de passer le flambeau. “J’avais annoncé mon arrêt en tant qu’entraîneur depuis le mois de décembre. J’ai passé quatre ans ici, j’ai vécu beaucoup de belles choses, mais désormais, je laisse la place à quelqu’un d’autre” déclare le jeune technicien, éprouvé par cette activité énergivore.
“Le métier de manager général au sein d’un projet de formation est très usant dans le rugby amateur. Un jour tu es intendant, un autre tu es manager et le lendemain tu es entraîneur des sections. Ça prend énormément d’énergie, donc à l’heure actuelle, j’ai refusé les offres que l’on m’a proposées, je vais d’abord souffler pendant quelques semaines et on verra ensuite” confie l’intéressé.
« Quand le ballon est tombé du tee, je lui ai dit : ne t’inquiètes pas, tu as le temps, reste focus, ça va rentrer. »
Des émotions, il en aura vécu jusqu’à la fin avec le club rouge et vert. Car ce dernier match dans le Finistère fut riche en rebondissements. Menée de 6 points par Plouzané à une poignée de minutes du terme, son équipe a su inverser la tendance pour s’imposer par la plus petite des marges. Il nous raconte ces ultimes minutes totalement dingues et notamment cette transformation du maintien :
“L’essai vainqueur part d’un 50-22 de notre numéro 10. On enchaîne avec une touche bien placée et après quelques temps de jeu, notre demi de mêlée arrive à marquer. J’avais mis le brassard d’adjoint terrain pour pouvoir être plus présent avec mes joueurs, pouvoir gérer les émotions, les remettre dans leur bulle. Donc c’est moi qui ai amené le tee au buteur sur l’ultime transformation. »
« Et à 15 secondes avant la limite, la balle tombe du tee… Alors je n’ai pas hésité, je me suis jeté au sol comme un phoque, mais je n’ai pas le droit en tant qu’AT de tenir la balle. Quand le ballon est tombé du tee, je lui ai dit ne t’inquiètes pas, tu as le temps, reste focus, ça va rentrer. Le buteur a donc replacé tant bien que mal le ballon qui continuait de bouger à cause du vent, l’arbitre lui annonce qu’il ne reste que 10 secondes.
Il recule et frappe une enroulée qui sort de nulle part… et ça rentre. Il fallait encore tenir 2 bonnes minutes. Et on a dû faire ce que l’on aime pas spécialement au rugby, faire des petits tas jusqu’à pouvoir taper en touche. On savait que l’on était capable de retourner la situation, on y a toujours cru.”
Un destin changeant, à la merci d’une bourrasque de vent. Une loterie bien connue par tous les amateurs de rugby ayant pratiqué notre discipline proche du littoral. Mais dame nature n’a pas daigné renverser le cuir à nouveau et le buteur, Edouard Carp, a fait lever les drapeaux pour porter la marque à 32 à 31. Un final épique pour les Icaunais qui évolueront encore en Fédérale 2 l’an prochain et qui auront, surtout, offert une belle sortie à leur manager.
« Ca s’est joué là-dessus, sur cette capacité à garder les émotions et à ne pas perdre son sang-froid jusqu’au bout. »
Car ce succès obtenu aux forceps est tout sauf le fruit du hasard ou des caprices météorologiques. Raphaël Urbina et son staff avaient mis l’accent sur le côté mental pour cette “finale du bas” comme il aime l’appeler. “C’était tout un travail que l’on a fait en amont. Le but, c’était de conditionner les joueurs durant toute la semaine sur la gestion de la pression. Et ça s’est joué là-dessus, cette capacité à garder les émotions et à ne pas perdre son sang-froid jusqu’au bout. C’est ce qui fait la différence sur ce genre de match. Et à la fin de la rencontre, ça a été une grosse explosion de joie.”
Des émotions, forcément aux antipodes au coup de sifflet final. Car le sport est si souvent cruel et tous les efforts d’une saison peuvent basculer en quelques minutes. Pour les Auxerrois, la pièce est tombée du bon côté. Et le long, très long voyage retour fut une soirée mémorable. Les stigmates du combat étaient pansés par des boissons houblonnées, et le répertoire de chansons était épuisé.
“Les 10 heures de bus retour, c’était une belle fête, des chants, des boissons, même si ça avait déjà bien commencé avant. Au bout de deux minutes de trajet on avait déjà un vomi, mais on a réussi à rentrer au complet, on n’a perdu personne sur les aires d’autoroutes. On est arrivé à 6h du matin sur Auxerre, on est tous parti faire une petite sieste avant de se retrouver au restaurant le lundi midi à 13h.” En ces temps de finale régionale, les Auxerrois nous ont rappelé qu’au rugby, il n’y a pas besoin de remporter un bouclier pour vivre de grandes émotions.
Derrière l’équipe fanion, c’est tout un club qui avait fait le déplacement périlleux jusqu’au fin fond du Finistère, une terre que certains appellent le “bout du monde”. “Le public nous a bien suivis, les mecs de la B notamment. J’en profite pour féliciter notre réserve, des garçons qui pour certains découvraient le rugby. Ils ont pris pas mal de pions durant la saison, mais malgré les défaites, les joueurs sont restés et on a toujours fait des feuilles complètes. C’est bon signe en terme de mentalité, ça témoigne d’une certaine motivation et d’un plaisir d’être ensemble. Ce dimanche, ils ont fait du bruit pour nous encourager.”
Raphaël Urbina aura marqué le RC Auxerrois de son empreinte. Et avant de se lancer dans un nouveau défi, le Haut-Garonnais quitte l’Yonne avec le sentiment du devoir accompli. “La Bourgogne n’est pas encore une terre complètement ancrée rugby mais c’est en train de le devenir.” L’occasion de rappeler que le Top 14 va prochainement s’inviter à l’Abbé-Deschamp. Le Racing 92 y délocalise en effet deux rencontres, contre l’Aviron Bayonnais le samedi 11 mai puis contre la Section Paloise début juin.