Sarlat, son foie gras, ses truffes, ses confits, ses cèpes, ses mille châteaux médiévaux, son histoire millénaire, son célèbre marché planté dans un décor sublimement pittoresque et puis bien sûr, son rugby. Autant dire que les mots « start-up », « incubateur », « web designer », « fintech », ou « réalité augmentée » entrent frontalement en collision avec les traditions et la population de la cité périgourdine. Le choc frontal n’effraie pas notre gaillard au crâne rasé, épaules larges, voix posée et ferme, qui s’appelle « Dom » et débarque de Los Angeles.
Oui, Dominique Einhorn, est en quelque sorte le Vin Diesel du numérique. Il en impose et s’est imposé sur le terrain, fast et furieusement. Lui qui était parti visiter les Etats-Unis pendant quinze jours quand il était jeune, n’est rentré de son voyage que… 25 ans plus tard, avec une jolie fortune en poche. Au volant de plusieurs sociétés, l’homme d’affaires a décidé de rentrer au pays, et par une succession de décisions, se retrouve aujourd’hui à la tête de Sarlat Rugby, et d’un projet aussi ambitieux que décrié.
Nombreux sont ceux qui lui président un dérapage incontrôlé, et pourtant, « Dom » a décidé de passer la vitesse supérieure, avec un recrutement XXL, dont l’arrivée d’une grosse pointure à la tête du sportif. Sarlat tient la corde pour devenir la nouvelle saga du rugby français. En voiture pour une interview exclusive pied au plancher…
Dominique Einhorn, en 2018, après 25 années passées aux Etats-Unis, vous revenez en France, à Sarlat, où vous découvrez le rugby. Vous voilà désormais président d’un club de fédérale 2 : comment et pourquoi ?
Tout d’abord, même si je suis Alsacien, je regardais les matchs du XV de France à la télé quand j’étais jeune, à l’époque des Jean-Pierre Rives ou des Serge Blanco. Ceci étant dit, mon arrivée à Sarlat est un concours de circonstance oui. Je voulais rentrer en France, mais le climat alsacien ne tentait guère mon épouse californienne. Nous avons alors écrit une liste secrète de plusieurs villes où nous aimerions vivre. Sarlat a été la première, commune de nos deux listes (sourire). Pour mes activités professionnelles, j’ai cherché un expert-comptable dès notre arrivée. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec Jean-Luc Menchon, qui était président du club de Sarlat.
Il m’a dit « Je te prends comme client, à condition que tu deviennes partenaire du club ». J’ai commencé comme petit sponsor en 2018-2019, j’ai suivi les matchs de plus en plus régulièrement. L’année suivante, j’ai intégré le bureau comme vice président en charge des partenariats et du markéting, et je suis devenu sponsor du club avec ma société Uniqorn. J’ai rencontré de plus en plus de monde, j’ai appris à aimer ce sport, ses valeurs, j’ai compris le fonctionnement d’un club, ses points de friction aussi, et les opportunités qu’il était possible d’en tirer. Et me voilà président !
Vous parlez d’opportunités, lesquelles ?
De par mes origines et mon parcours, j’ai une approche anglo-saxonne dans tout ce que j’entreprends. J’ai vu dans ce projet sportif un statut d’outsider, celui que j’ai connu depuis tout petit, et que je me suis appliqué à conserver durant mon parcours professionnel. C’est duplicable au rugby, Sarlat est un outsider, pas un favori, mais a le potentiel pour le devenir. La crise covid nous a donné l’occasion de bien réfléchir à tous les changements, tous les points d’amélioration. D’où le changement de nom, de logo, voté démocratiquement par le bureau en place, la création d’un site internet, de nouveaux contenus, etc.
Ce sont des changements radicaux…
J’ai conscience de bousculer certaines habitudes, oui, certaines visions du rugby. La mentalité française est ainsi faite, le changement fait peur parfois, dans le rugby comme ailleurs. Et encore plus sur un territoire comme le Périgord, où se trouve Sarlat. Les traditions y sont profondément ancrées et respectées.
Ce qui est compréhensible quand on découvre votre projet, mené par un « inconnu » du rugby…
Oui, je peux le comprendre. Ceci dit, de tous les projets que j’ai menés, aucun ne s’est fait sans être critiqué ou pointé du doigt. Dans le business comme dans le sport, seuls les résultats comptent. Mon boulot a été de conseiller les entreprises, je vais l’appliquer au rugby, avec ses différences. Pour moi, quand on cible un problème, j’y apporte une solution. Un jeune entrepreneur dans la gastronomie, sans aucune expérience m’a demandé de le conseiller.
Je lui ai dit de rester ouvert de 14h à 19h. Car les touristes étrangers n’ont pas nos habitudes. Ils visitent, prennent le temps et vont passer à tabler plus tôt ou plus tard. Or en France, à 13h45, les cuisines sont fermées ! Voilà, c’est un petit exemple pour vous expliquer qu’à tout problème, il y a une solution. Dans le rugby, c’est la même chose.
Votre première décision a été de faire de Sarlat Rugby une marque…
Absolument ! Car c’est important. Nous partions presque d’une feuille blanche, alors nous avons planché sur le logo, le site, les réseaux sociaux, les produits dérivés, etc… C’est ainsi que nous avons installé un stand sur le marché de la ville, qui a beaucoup de succès. Nous avons lancé une boutique conjointement avec le club de foot à l’aéroport de Bergerac. En développant notre marque, on attire les regards, et c’est ainsi que l’on développe le budget.
Sans vous offusquer, on voit mal comment Sarlat peut être perçu comme une marque forte à l’étranger…
Je comprends, c’est une réaction logique, mais voyez, j’ai contacté un ancien collègue qui a une télé locale basée à Los Angeles, pour lui demander de diffuser nos contenus. Il m’a répondu que seuls 12% des gens comprenaient les règles de rugby aux Etats-Unis. Je lui ai dit « Tant mieux, ce sont les 88% restants qui m’intéressent » (rires). C’est de cette façon que nous ferons parler de nous. Nous ne voulons pas et ne pouvons pas concurrencer les gros clubs de Top 14, donc nous devons nous appuyer sur des gens qui ne connaissent pas, ou pas beaucoup, le rugby.
Et comment faîtes-vous pour y parvenir, concrètement ?
Nous faisons des tutos rugby, simples, qui parlent à tout le monde, et pas seulement aux religieux du rugby comme je le dis souvent. Au contraire, on se focalise sur des novices, qui, en voyant des gars soulever de la fonte en salle de muscu, s’intéressent à nous et commencent à nous suivre. Ils s’intéressent au rugby dans un second temps. C’est un exemple parmi d’autres, nous n’avons ni la prétention, ni l’envie de toucher le même public de passionnés ou de supporters de l’UBB ou de Stade Toulousain. Juste faire parler de Sarlat, ce qui est déjà très ambitieux.
Ce qui est ambitieux, c’est d’annoncer une montée en Pro D2…
On vise très haut, on est très ambitieux, oui. Sans garantie de succès à 100%, c’est sûr. Mais la garantie d’échec est de 100% si on ne tente pas ! Ce serait une apothéose de monter en pro d2, mais monter en fédérale 1 sera déjà un premier grand succès. En France, afficher ses ambitions est mal perçu, nous voulons juste nous donner les moyens de nos ambitions. Et nous travaillons dur pour y parvenir.
Cette démarche demande des moyens humains et financiers importants. L’anglo-saxon que vous êtes peut donc nous dire quel sera votre budget pour la prochaine saison…
(Rires) Oui, oui. Le budget de l’an dernier était de 350 000€. Nous arriverons à 1.2 millions pour le début de la saison. Tout en sachant qu’il faudra tripler ce budget si l’on veut monter plus haut encore. Quant aux moyens humains auxquels vous faites allusion, notre recrutement est orienté vers des joueurs pluri actifs, qui assurent leur reconversion : quelques uns sont graphistes ou développeurs, et la plupart sont des commerciaux du club. Moitié rugby, moitié club, un temps plein rugby au final. A chacun sa mission, au niveau local, national, et international grâce à certaines recrues qui viennent d’Afrique du Sud, d’Argentine ou de Croatie par exemple.
On se permet de vous poser une autre question « poil à gratter » : comment expliquer que votre communauté de followers sur les réseaux sociaux, soit passée de 5 000 à 130 000 fans ?
Nous gérons des sociétés internationales dans des pays en voie de développement comme l’Inde, qui préfère le cricket. On leur diffuse nos contenus de pousseur de fonte, ils accrochent, c’est un marché naissant, et très, très grand. Le rugby n’est pas pris comme trame, mais comme point d’accroche. Nous préparons des contenus natifs destinés pour le Canada et les Etats-Unis, des clips et une chaîne rugby 24h/24H? ce qui me permet de vous dire en avant première que nous visons les 250 000 followers en octobre ou novembre prochain.
Lors de notre article sur votre recrutement en mai dernier, de nombreuses questions portaient sur votre soutien auprès de l’équipe fanion, au détriment de l’école de rugby…
J’ai lu et entendu ces reproches en effet, qui sont infondés. Nous avons triplé le nombre d’éducateurs, des locaux, nous avons une structure qui permet de soutenir très significativement l’école de rugby. C’est notre réservoir de demain, on s’en occupe avec la plus grande des attentions. On me voit comme un OVNI, mais quand les gens prennent le temps de discuter avec moi, les gens revoient leur position initiale. Ceux qui m’ont dénigré lors de mon arrivée à Sarlat étaient majoritaires, aujourd’hui, ils ne sont plus très nombreux.
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