Les retours en bus du dimanche soir sont souvent, pour ne pas dire toujours, synonymes de discussions et chansons endiablées, de performances diverses et d’une 3ème mi-temps anticipée bien arrosée. Des voyages sacrés dans le monde du rugby, qui forment la jeunesse paraît-il. Or, depuis plusieurs saisons, les transporteurs déplorent ici ou là, des comportements déplacés, de jeunes et d’adultes, des manquements aux règles de sécurité prétendus élémentaires, et des dégradations, parfois importantes. Un constat, suffisamment généralisé et récurrent, qui avait poussé la Ligue Occitanie de Rugby, en mai dernier, à envoyer un courrier (à découvrir en fin d’article) à l’attention de tous les clubs afin d’alerter et responsabiliser les dirigeants à ce sujet. Depuis la reprise des championnats amateurs 2022-2023, deux sociétés de transports ont pris une décision radicale afin d’anticiper et surtout endiguer le phénomène. Dernier recours avant de refuser tout simplement d’emmener des équipes de rugby le dimanche ?
Ne jouons aux vierges effarouchées : les chants et l’alcool ont toujours accompagné les retours de match dans le petit monde de l’ovalie. Il ne s’agit pas ici de généraliser ni de pointer du doigt, mais plutôt de constater, alerter. Car à l’image d’une société qui se dégrade en termes de comportements et d’incivilités, le rugby aussi peut perdre ses repères, ses valeurs, et prendre parfois un mauvais chemin. Horaires non respectés, retours tardifs, dégradations diverses, chauffeurs désabusés, Patrick Sénégas, Responsable d’exploitation au sein des sociétés des Cars Thorel à Castres, confirme, tout en précisant : « Nous sommes bien conscients que les équipes de rugby sont joyeuses et festives au retour d’un match. Il faut juste ne pas dépasser certaines limites. Pour ne parler que de la saison dernière, certaines ont été franchies. Au niveau matériel déjà, comme un siège déchiré ou même, une vitre cassée. Les réparations s’élèvent vite à 500 ou 800€, sans compter l’immobilisation du bus en attendant qu’il soit réparé. Au niveau humain ensuite, le chauffeur est rapidement pris pour cible quand il veut faire respecter les consignes de base de sécurité. On en parle avec nos clubs partenaires et tout s’arrange très vite généralement. Mais nous voulions trouver une solution en amont, pour éviter ces débordements, des appels gênants le lundi matin, prévenir plutôt que guérir en résumé. »
« Nous sommes là pour expliquer et tolérer, pas pour punir et interdire. »
Cette solution, aussi simple qu’évidente, repose sur un « état des lieux », écrit, et signé par un responsable de club, avant et après le voyage. Patrick Sénégas poursuit tout en abordant un autre problème : « Nous sommes là pour expliquer et tolérer, pas pour punir et interdire. Cet état des lieux sur la propreté des sièges, de la moquette, ou des vitres, responsabilise le club, et au final, les joueurs. Il permet aussi au conducteur, d’être plus serein. Il reste le garant d’un comportement acceptable, du respect des règles et des horaires, il est souvent fatigué de faire la police, par la musique mise à fond, sans parler de quelques noms d’oiseaux qui peuvent fuser s’il ne se montre pas plus tolérant. Il y a une législation pour les chauffeurs, au niveau des horaires. S’ils rentrent le dimanche soir plus tard que prévu, nous sommes hors-la-loi. Et s’ils doivent en plus nettoyer le bus pendant une heure ou deux en rentrant, pour qu’il soit propre le lundi matin pour les enfants qui iront à l’école dans ce même bus, on ne s’en sort plus. »
L’alcool bientôt interdit dans le bus ?
Après en avoir discuté de vive voix avec les présidents de clubs concernés, les sociétés de transports Thorel à Castres et Mazacars à Mazamet, ont donc fait partir un courrier à l’attention des clubs fin août, pour confirmer cette mesure à compter du premier match de la saison jusqu’au dernier, extrait : « Nous voudrions vous sensibiliser sur le fait que le car dédié au club le weekend est aussi dédié au ramassage scolaire le lundi matin. Il est donc impératif qu’il soit propre et en bon état pour les enfants que nous transportons. C’est dans ce but que, lors de chaque déplacement, un état des lieux entre le conducteur et un responsable de club sera réalisé avant le départ et à la dépose finale du groupe. Ainsi, tous les dégâts, qu’ils soient matériels ou de l’ordre de la propreté seront facturés au club. De plus, la règlementation de conduite étant très stricte pour les conducteurs, nous vous demandons de respecter scrupuleusement les horaires annoncés lors de la réservation. »
Patrick Sénégas tient à mettre en avant le très bon accueil réservé par les présidents de clubs à cette initiative : « Tout le monde a parfaitement compris oui, c’est un moyen de sensibiliser les joueurs pas toujours conscients de leurs actes, d’être plus mesurés, et de les aider à faire passer un message à propos de l’alcool, qui est normalement interdit dans le bus, mais qu’ils profitent d’un passe-droit officieux. » Marine Bourrié, Responsable d’exploitation chez Mazacars, entreprise cosignataire de cet état des lieux version transport du dimanche, nous donne son sentiment sur cette mesure : « Nous avons du mal à trouver des chauffeurs qui veulent bien transporter des équipes de rugby, car ils ne sont pas là pour faire la police sans arrêt, surtout auprès d’adultes. D’autres transporteurs sont de plus en plus réticents à l’idée de prendre des rugbymen le weekend, ils sont même décidés de les refuser, nous le savons. Les anciens nous disent que les retours en chansons et avec de l’alcool ont toujours existé, mais ils buvaient plus « proprement ». Aujourd’hui, on nous rend les bus dans des états que vous n’imaginez pas. Nous sommes ok pour que tout le monde s’amuse, et profite du voyage, mais il y a des limites à ne pas dépasser. C’est pourquoi nous avons pris cette mesure avec un état des lieux entrant et sortant, pour responsabiliser, et non pas pour sanctionner. »
Privilégier la prévention, la responsabilisation, la tolérance, plutôt que l’interdiction stricte et la punition, telles sont les volontés de chaque camp. Cette feuille interne, signée à l’aller et au retour, permet de garantir un cadre, un respect et une confiance mutuelle. Une initiative saluée et soutenue par les présidents des clubs tarnais concernés, qui n’est pas un cas isolé. D’autres transporteurs français ont décidé aussi de responsabiliser leurs clients privilégiés du dimanche. Une mesure de la dernière chance ? « Nous sommes confiants » répond Marine Bourrié, qui n’envisage pas autre chose qu’une prise de conscience générale, « Si ce n’était pas efficace, nous serions contraints d’interdire toute consommation d’alcool dans le bus, qui est une tolérance, chacun doit bien le comprendre. Ce n’est vraiment pas notre volonté, mais il faut que chacun se responsabilise. » Peut-être l’argument majeur pour favoriser la compréhension rapide et collective. Histoire de préserver des traditions culturelles fortes et incontournables, de continuer à faire des voyages en bus, des moments inoubliables, mais avec modération.
Après deux mois, quel bilan ?
Contacté en septembre pour l’instauration de cet état des lieux entrant et sortant du dimanche, nous avons recontacté Patrick Sénégas, pour faire un point route, un bilan après trois mois d’utilisation. La réponse semble sans appel : « Le bilan est très positif, il y a eu une réelle prise de conscience de la part des clubs, que je remercie ici pour leur collaboration. Chacun a pris l’habitude de signer l’état des lieux avant de monter dans le bus, et en redescendant. Nous jouons la carte transparence, tolérance et confiance réciproque. Les clubs le comprennent et l’apprécient. Donc à ce jour, c’est une totale réussite. Nous verrons ce qu’il en est au moment des phases finales, période où les excès sont plus nombreux, mais nous sommes confiants. »
Quoiqu’il arrive, cet état des lieux sera maintenu durablement, nous confiait le Responsable des Cars Thorel à Castres. De quoi donner des idées aux confrères du reste de la France, ainsi qu’à toutes les Ligues, pour la fin de cette saison et les prochaines ?