Commencée en septembre, la saison s’est achevée pour la Deuxième Série du côté de Cahors où les deux derniers clubs ayant échappé au long cours sinueux de la phase régulière régionale et survécu aux matchs couperets de la phase finale nationale se disputaient le bout de bois qui fera de l’un des deux, le champion de France 2018. Un planchot qui fait rêver de la même manière tous les joueurs de rugby, de France et de Navarre, du Top 14 à la Quatrième Série, sans exception. Résumé d’une rencontre « chaude », devant un public venu en masse. Devant nos yeux et nos objectifs photographiques aussi… (Résumé, interviews et photos par Wildon et Jérémy VdC, envoyés très spéciaux, à Cahors).
Une première mi-temps hachée menue
Pourtant, une moue dubitative et inquiète s’est clairement lue sur les visages de tout le monde lors que Monsieur Touron a sifflé la mi-temps, des travées du stade Desprats aux bancs des entraîneurs en passant par les médias : 3-0 à pour Boulogne sur Gesse à la pause, mais surtout un florilège de fautes de mains, de ballons perdus en touche, grattés en mêlée ou dans les mauls, sans parler de la cascade d’en-avants des uns et des autres, les entrées de côté répréhensives ou plongeons interdits dans les rucks. Et si les buteurs s’y mettent, cela donne plusieurs occasions vendangées rien qu’en première période (M. Othal, 1e et 9e pour Boulogne, B. Moulinjeune, 15e et 34e pour Limoges). Le match est haché et les séquences ont du mal à s’enchainer. Pourtant, les Boulonnais lancent deux ou trois attaques qui s’enfoncent loin en terre limousine mais le LEC adopte brillamment une défense souple, élastique, qui absorbe le choc de l’offensive adverse et plie sans jamais rompre. Othal trouve enfin les perches après deux tentatives ratées (17e, 0-3), les Boulonnais virent en tête aux citrons pendant que l’on se demande très sérieusement si celui qui mène est le meilleur ou le moins maladroit des deux ?
Boulogne assomme Limoges dès la reprise
La seconde période va progressivement éclaircir nos interrogations. Doucement mais sûrement, les Boulonnais prennent le contrôle du match et de Limougeauds. Les «Rhinos féroces » du LEC restent vaillants et volontaires, mais leurs offensives se cassent rapidement et systématiquement le nez face aux « Men in black » de la Gesse. Et deux minutes seulement après le coup d’envoi, T. Lopez se paie un slalom géant dans les lignes défensives limousines et marque un très bel essai bonifié par Othal (42e, 0-10).
Le jeu se tend et Trotta écope d’un carton jaune pour une vilaine faute sur Bonsignore (51e). Boulogne se trouve à nouveau réduit à quatorze mais sans que cela change quelque chose sur la pelouse. Pire ou mieux (selon les couleurs supportées), les coéquipiers du Capitaine Bonan s’offrent un nouveau raid dans le camp de Limoges, avec une percée percutante de Renou qui échoue à quelques centimètres de l’en-but limougeaud. Mais l’ouverture à gauche qui suit le maul trouve Vandergheunst, qui enfonce la défense et inscrit le deuxième essai de la rencontre (55e, 0-15). Les minutes qui vont suivre seront à l’image du temps : chaudes ! Cela commence par l’expulsion de Christophe Dulong, l’entraîneur gessois étant renvoyé dans les tribunes par Mr Touron, pour des propos… brûlants (57e).
Limoges dans les cordes
Malgré cela, la pression ne se relâche pas et Boulogne manque de peu d’inscrire un essai par l’entremise de Marmouget. Le pilier boulonnais raffûte allègrement du « rhino » et se couche sous les barres pour aplatir. Mais, effet de la précipitation ou retour désespéré de la défense adverse, toujours est-il que Marmouget relâche le cuir à dix centimètres au-dessus de la terre promise. En avant, déclare logiquement Mr Touron et l’essai n’est pas validé (67e). Trois minutes plus tard, c’est au tour d’Estebenet de foncer à l’essai mais d’échapper le ballon pour un nouvel en-avant qui prive les siens d’un nouvel essai (70e).
Les Limougeauds sont au bord de la rupture et seul leur courage, couplé à la maladresse des Boulonnais, empêche que le score ne prenne de l’ampleur. Les hommes du tandem Simon-Labric et Masboeuf subissent désormais une maîtrise totale des « moustachus » de la Gesse, plus expérimentés et plus costauds même s’ils perdent pléthores de ballons ou de touches, ce dont le LEC ne profite pas. Et ne profitera jamais en fait. L’horloge, « dieu sinistre, effrayant, impassible » rappelle que « le Temps est un joueur avide qui gagne sans tricher, à tout coup » (*) en égrenant alors ses ultimes secondes que plus rien ne viendra changer.
Le coup de sifflet final de l’arbitre peut alors libérer les joueurs de Boulogne, nouveaux champions de France de Deuxième Série et surtout auteurs d’un authentique exploit en forme d’un triplé victorieux : trois accessions et trois titres de champions de France consécutifs en trois ans. Jusqu’où iront-ils ? On ne le sait pas, mais à Cahors, ils ont encore décroché la Lune…
(*) L’Horloge de Charles Baudelaire, dans « Les Fleurs du Mal »
Les réactions
Christophe Dulong, entraîneur de Boulogne sur Gesse
Rugby Amateur : Est-ce que vous réalisez que vous êtes champions de France ?
CD : Là tout de suite, on ne réalise pas qu’on est champion de France. Mais après la descente de l’adrénalyne, on va réaliser et la fête va vraiment démarrer. C’est super (silence, il cherche ses mots, étreint par l’émotion)… tu vois, on a ce problème avec l’argent et ces gens qui nous provoquent et ne nous connaissent pas. Cela fait dix ans que j’entraîne dans des clubs qui ont de l’argent et ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas de valeurs humaines. Je ne comprends pas cette jalousie… Maintenant on est très heureux et on va faire une grosse fête, pour le titre mais aussi pour tous les mecs qui vont arrêter. Personnellement, je suis content de laisser le club là où il est. Boulogne m’a accueilli il y a un an et demi, dans des moments difficiles et je suis content de marquer ainsi mon passage au club.
RA : Dans l’ensemble du match, on a eu la nette impression que Boulogne a pris progressivement la maîtrise du match et l’ascendant sur Limoges ?
CD : Oui, mais c’est un mal que l’on a toujours eu et que j’ai stratégiquement et pédagogiquement essayé de travailler sans trop y arriver. A savoir que l’on marque dans peu de temps forts sans tuer le match, on entreprend beaucoup sans marquer assez et aujourd’hui cela a été la même chose. On mène 15-0 à vingt minutes de la fin du match, on loupe quatre ou cinq occasions et si Limoges avait marqué, ils n’étaient pas loin de nous reprendre.
RA : Qu’est-ce qui fait que Boulogne a été si fort malgré deux cartons jaunes sans baisse de régime ou perte d’intensité ?
CD : Disons que nous faisons avec le règlement. Tout d’abord j’ai des remplaçants de qualité et ensuite je coache dès la vingtième minute donc j’ai toujours des mecs frais sur le terrain. Après, cela n’a rien à voir avec moi : ce sont des gars d’une trentaine d’années qui ont beaucoup de vécu et la tête solidement plantée sur les épaules, qui savent se resserrer dans les moments faibles, moments souvent compliqués à gérer.
RA : Quelle sera la prochaine aventure pour la saison à venir maintenant ?
CD : Pour moi, ce sera une nouvelle aventure puisque je rejoins le club de Lannemezan en Fédérale 1 en tant qu’entraîneur. Ce sera une nouvelle aventure, oui, mais je vais vivre celle-ci pleinement pendant deux jours, parce que j’en ai besoin et cela me fera du bien.
Pascal Niolet, co-président de Boulogne sur Gesse
RA : Président, votre équipe l’a emporté nettement. Comme réagissez-vous à ce titre de champion de France ?
PN : Eh bien, on va le savourer ce titre de champion de France ! Parce qu’on y arrive pas comme ça, en claquant des doigts. On a beaucoup travaillé ; il y a trente dirigeants dans ce club et je suis très fier pour ces dirigeants et pour les joueurs bien sûr qui nous l’ont rendu sur le terrain. On a eu un groupe très soudé, un entraîneur formidable qui a mis sa patte à tout ceci. Il nous quitte pour rejoindre Lannemezan et je lui souhaite bon vent bien évidemment. La suite, on va la préparer, on monte en Première Série, le recrutement est presque terminé… On verra… On n’avait pas prévu spécialement le championnat de France mais plutôt les Pyrénées. On a eu ce titre, chose qu’on avait manqué depuis des années et il nous arrive « ça » cette année. C’est une grosse récompense !
Patrick Laffargue, président de Limoges EC
RA : Est-ce que vous ne pensez pas que la défaite est un peu sévère ?
PL : Très honnêtement, non, au vu de la qualité et de la prestation de nos adversaires. On aurait espéré marquer un essai mais on est tombé sur une équipe extrêmement aguerrie avec des joueurs de grande qualité dont certains ont évolué à niveaux beaucoup plus hauts. Mais on n’a pas lâché le morceau, on s’est battu mais le score reflète la rencontre. Mais cela a été une très belle finale.
RA : Finalement, le bilan de la saison reste positif ?
PL : Le Limoges Etudiants Club est un club centenaire cette année avec un budget de seulement 18 000€ et huit dirigeants. Alors aller en finale de championnat de France de Deuxième Série, est-ce que vous ne trouvez pas que c’est un beau bilan ? (rires) Ce n’est pas une belle saison… c’est une saison extraordinaire et en plus dans l’année de notre centenaire. Quel anniversaire !
Brice Bonsignore, troisième-ligne et capitaine du Limoges EC
Il nous a manqué de la précision, beaucoup de précision, du replacement, du jus, il a fait très chaud et je pense qu’en face ils étaient plus en forme que nous, plus habitués, ça on le savait. On fait beaucoup trop d’en-avants en bout de ligne, on leur rend des ballons chez nous en jouant par-dessus. Il y a trop de choses qu’on ne fait pas habituellement et qu’on a faites aujourd’hui, peut-être à cause de la pression, de l’enjeu, et on passe à côté. C’est dommage, il y a 3-0 à la mi-temps, ils n’étaient pas sereins je pense, et le début de seconde mi-temps nous a été fatal. On rentre mal dans cette deuxième période, et après on court après le score, on n’y arrive pas.
Ludovic Nesse, arrière du Limoges EC
À la mi-temps on y a cru. Il nous a manqué du jeu au large. On a beaucoup attaqué, mais on n’a pas su écarter quand il le fallait. Après en face ils étaient assez costauds. L’essai juste après la mi-temps, celui-là il fait mal, il change le match. Après je ne sais pas trop quoi dire… À la mi-temps on y croyait encore, en plus le temps était chaud, physiquement la saison a été longue, ça aurait mieux sous la pluie !
Christophe « Cali » Masboeuf, co-entraîneur du Limoges EC
Il y a eu des fautes de mains, et on joue face à une équipe qui est mieux organisée que nous. On voit que ce sont des mecs qui ont de l’expérience. Ils jouent à deux, trois passes, mais c’est toujours propre, toujours dans le bon timing, ça vient toujours quand il faut, ça fait mal à l’impact. Ils n’ont pas inventé le rugby, mais par contre c’est propre ce qu’ils ont fait. Ça fait la différence, et quand ils marquent l’essai en début de deuxième mi-temps, ça nous a tué, clairement, ça nous a tué. De 3-0 on passe à 10-0, ça devient compliqué, et avec l’expérience qu’ils ont derrière, des finales et du niveau qu’ils ont eu avant, ils savent gérer ces moments-là. Et on ne peut pas revenir. Il n’y a rien à dire, ils étaient plus forts que nous aujourd’hui, on ne va pas se mentir, dire qu’on aurait pu leur mettre dix ou quinze points, je pense qu’ils sont là où ils doivent être. Tant pis, on n’est pas tombés la bonne année en finale, on le savait déjà avant que ça commence, ça se confirme, c’est comme ça. On va espérer y retourner l’année prochaine, mais ce ne sera pas aussi simple, avec la nouvelle Ligue, ce sera compliqué.
Mathieu « Parpain » Simon-Labric, co-entraîneur du Limoges EC
Honnêtement on y a cru à la mi-temps. Ce qui nous fait mal c’est le début de deuxième mi-temps, on prend un essai après cinq minutes, je pense que ça nous fout un pet au moral (sic). Après, eux ont su faire ce qu’on n’a pas réussi, c’est-à-dire que dès qu’ils ont eu une occasion ils ont scoré, et nous chaque fois qu’on a eu l’opportunité d’arriver dans leurs vingt-deux, il nous manquait un lancer en touche droit, une passe, un ballon qui ne s’échappe pas… C’est la différence aujourd’hui. Il y a une équipe qui a l’habitude et qui maîtrise ces moments-là, et des joueurs qui sont peut-être pour certains âgés mais qui ont un niveau supérieur, qui savent maîtriser temps fort et temps faible. Nous on n’a peut-être pas su gérer ces temps-là, il nous a manqué cette maîtrise sur la dernière passe, sur le dernier geste, sur les moment importants. Pour l’année prochaine, on verra dans quelle poule on sera, comment ça va se passer, parce qu’avec la nouvelle Ligue on ne sait pas comment ça va se passer pour les championnats de France. Mais oui, on va garder des ambitions, on verra ça tranquillement. Cette année on la savait, si on finissait premier, le tableau Nord était plus abordable que le tableau Sud. On a des anciens qui arrêtent, on a l’ossature qui devrait rester, on va espérer faire une belle saison l’année prochaine. Et normalement avec nous sur le banc ! En tout cas merci à Rugby Amateur pour les articles, ça nous fait bien plaisir !
Alain Doucet, président de la Ligue d’Occitanie de Rugby
RA : Président, il y avait beaucoup de monde cet après-midi, il a fait beau, il y avait une belle pelouse, on a vu une belle finale et c’est un club occitan qui l’emporte. On vous imagine particulièrement ravi donc ?
AD : Tout à fait (large sourire) ! Il a fait très chaud oui, donc bravo aux joueurs des deux équipes pour avoir supporté une telle chaleur. Maintenant, pour parler du match en lui-même, Boulogne a fait preuve d’une plus grande maturité, d’une plus grosse présence mais aussi de plus de régularité dans le jeu. Ils sont su contenir les rares assauts de Limoges qui était un ton en-dessous. Boulogne mérite son titre et j’espère que le club confirmera à l’échelon au-dessus. Ils ont remporté trois titres d’affilée. Je leur souhaite, pourquoi pas, d’en faire un quatrième à la suite. Mais la confrontation occitane de l’année prochaine sera plus difficile, c’est sûr. Cela fait un titre de plus en Occitanie après celui de Lavaur hier (ndlr : samedi face à Trélissac, 24-21 pro). La Ligue n’y est pour rien (rires) mais c’est un heureux hasard que la Ligue accueille autant de titres, de Castres en Top 14 aux féminines de Montpellier ou l’USAP en ProD2, Lavaur en Fédérale 1, Mauguio en Philiponeau et Béziers Gaudermen. Tout tombe dans l’escarcelle occitane ! Pour une entrée en fonction, cela fait un excellent millésime, c’est certain !
LA FEUILLE DE MATCH
A Cahors (Stade Lucien Desprats) – US Boulogne sur Gesse – Limoges EC 15-0
(Mi-temps 3-0) – Arbitres : Mr Touron assisté de Mrs Benoit et Esclavard
Pour Boulogne : deux essais de T. Lopez (42) et Vandergheunst (55), une pénalité (17) et une transformation de M. Othal (42)
Cartons jaunes : Casties (27) et Trotta (51) pour Boulogne
Carton rouge : C. Dulong (entr.) pour Boulogne
Limoges : Bessières, Léon, Brahmi-Noël, Audevart, Nicolle, Dumond, Guines, Bonsignore (cap), Penalva, B. Moulinjeune, Lacorre, Brun, Q. Moulinjeune, Orliange, Nesse, – Remplaçants : Fayard, Monsbrot, Meurgue, Chamboux, Sylvain, Thomas, Allemand.
Entraîneurs : Simon-Labric et Masboeuf
Boulogne sur Gesse : Portalier (cap), Sartor, Marmouget, Casties, Trotta, Vandergheunst, Ampudia, Bonan, K. Lopez, Monferran, M. Othal, Estenenet, P. Othal, Carde, T. Lopez – Remplaçants : Navarro, Reboul, Delaurier, Barrouche, Pena, Daumas, Renou.
Entraîneur : Christophe Dulong