Quand j’étais gamin, j’étais un peu frêle, un peu vouté, un peu timide aussi. Le passage de l’école primaire, où j’étais le plus grand, par l’âge, au collège, où tu redeviens le plus petit, était déjà un sacré défi. Redevenir un petit, quand tu l’es aussi par la taille, et bien tu te fais encore plus petit. Il y a les grands justement, qui te passent à côté, sans te calculer, sans me voir carrément, bien caché que je suis par mon cartable XXL. C’est la rentrée. L’année scolaire s’annonce longue, très longue…
Et puis un jour, une semaine après cette maudite rentrée, il y a ce gars dans ta classe, costaud, qui a l’air bien sympa, avec une bonne bouille, toujours avec un petit sourire. Il ne parle que de rugby, dans le bus, en classe, à la cantine, et encore dans le bus. Il semble heureux, épanoui, sûr de lui.
« Viens essayer un jour » m’a-t-il dit, « tu verras, c’est top ». Ben voyons, avec mes épaules de serpent, mes cuisses de moineau, et mes genoux qui se touchent quand je cours, je vais vite me faire plier en deux oui, et me faire moquer en classe. Très peu pour moi. « Mais viens je te dis, le rugby, c’est un sport d’équipe, tu verras, en plus, la nôtre est vraiment cool ! »
Ca cogite autant que ça gamberge. Arrive un mercredi, celui que je n’oublierai jamais, mais je le savais pas encore. J’habite pas trop loin du terrain, j’y vais à pied, ça me prépare mentalement. Dans mon sac, un t-shirt, trop grand, un short de foot, des chaussettes de tennis, et une paire de crampons neuve, premier prix.
Je vais me faire moquer, c’est sûr. J’arrive au stade, le cœur palpite plus fort. Mon pote Baptiste, surnommé « Boule », mais ça je ne l’ai su que ce jour-là, vient à ma rencontre, ça me rassure, il me sourit et me dit : « T’es venu, c’est cool ! », il enchaîne en regarde les autres : « Les gars, c’est mon copain, on est dans la même classe. C’est la première fois qu’il va jouer au rugby. »
Ben merci pour la présentation j’ai tous les regards pointés sur moi maintenant. La pression. Je fais bonne figure, même si elle est pâle, ou rouge, je ne sais plus très bien. Dans les vestiaires, je me mets dans un coin, pour pas gêner. Je rentre la tête dans les épaules, je me fais plus petit que ce que je ne suis déjà. Il faut dire qu’il y en a des bien plus épais que moi là. Personne ne me fait de remarques sur mon physique, ni sur ma tenue.
« On est là, on est avec toi, on est ensemble, ca va bien se passer ».
L’entraînement commence. Le coach est sympa, il me dit que j’ai bien fait de venir, que je vais aimer le rugby, qu’il y a de la place pour tout le monde dans ce sport. Si je sors vivant du terrain, sûrement oui. On fait des exercices, je touche ce ballon ovale, enfin. J’aime son contact. La peur, ou plutôt l’appréhension, s’est envolée, remplacée par de l’enthousiasme grandissant.
Je cours, vite, très vite a priori. Je plaque aussi, enfin j’essaye. Je m’y prends mal, j’y reviens. On me conseille, on me montre, aux jambes, c’est mieux, je me baisse, je ferme les yeux, et j’attends. En une heure de temps, les gars de l’équipe sont devenus encore plus sympas, ils vont vite devenir mes copains. Le goûter qui suit me plait bien aussi.
Au collège, le lendemain, on se retrouve, ça y est, on forme un clan, et j’en suis. Quand arrive le weekend, c’est l’excitation, l’heure du match qui approche, de l’échauffement surtout, intense. Les regards se croisent, petite tape sur l’épaule, une autre, plus forte, quelques mots pour me rassurer « on est là, on est avec toi, on est ensemble, ca va bien se passer ».
Je les crois, je suis petit, mais je me sens grand, même si mon maillot, avec le 14 dans le dos, me rappelle que j’ai de la marge pour le remplir. Pas grave, je me sens fort quand même, ce maillot, c’est un bouclier, je suis prêt. J’ai un peu peur c’est vrai, mais ça ne se voit pas, enfin je l’espère. Le match démarre. Je touche peu de ballons, je fais au mieux quand ça joue de mon côté. J’écoute les consignes.
« Turbo ! »
Et puis arrive ce premier ballon sur moi, je le dégage au pied. J’ai bien fait ? Pas sûr, mais on m’encourage. Un autre ballon à jouer, il vole de mains en mains, jusqu’aux miennes. Je cours avec, personne à côté, enfin je crois car je ne regarde même pas. Je file, je déborde, personne ne me rattrape, je vois la ligne d’en but se rapprocher, ça crie de partout, et… je marque ! Je suis un petit volcan qui explose, trop content, fier, les gros me soulèvent, les autres me prennent dans leurs bras. Ca y est, je suis un membre de l’équipe à part entière là.
Bon, on a perdu finalement, mais on me dit bravo pour mon match quand même. Ma vie n’est plus la même, je suis un rugbyman. Jeune, encore un peu maigrichon, mais ca va s’arranger avec le temps. Et puis, il faut de tout pour faire une équipe, c’est ce que les anciens me rabâchent tout le temps. Ils ont l’air heureux de nous voir défendre les couleurs d’un club qu’ils ont découvert au siècle dernier. Nous aussi. Moi aussi. L’un d’eux ma surnommé « fend-la-bise ». Les copains ne vont pas tarder à me trouver un autre nom : « Turbo ».
Demain j’irai au collège avec plaisir, le moteur gonflé à bloc donc ! J’y retrouverai mes potes, mes frères. Sans pression, ça, c’est de l’histoire ancienne, d’au moins trois semaines. Finalement, j’aurai la boule au ventre à chaque fois que je rentrerai sur un terrain, pour disputer un match. Mais j’y rentre avec courage et la certitude que je ne suis pas seul. Il semblerait bien que le rugby a changé ma vie. C’est peut-être pour ça qu’on dit que le rugby, c’est l’école de la vie. Et ça, je l’ai compris très vite…