Demi-finale du championnat de France. Le match est haletant, engagé, voire heurté parfois. Le jeune ouvreur est à l’initiative, il prend le ballon, il tape à suivre. Alors qu’il se relâche après son coup de pied, il est pris à retardement par un plaquage dévastateur et mal maîtrisé. Michel Pradié, 18 ans, reste au sol, KO, le souffle coupé. Il sort du terrain, sonné, raccompagné aux vestiaires par un soigneur. Un incident banal, a priori, qui arrive souvent au rugby. Le jeune homme ne verra pas son équipe l’emporter (18-5) et se qualifier pour la finale. Et pour cause, il a été emmené à l’hôpital Saint-André de Bordeaux, à l’agonie. Il décèdera quelques heures plus tard des suites d’un déplacement de la colonne vertébrale. L’émotion est immense. Pour ne pas avoir pris à temps des mesures radicales contre cette violence excessive et grimpante sur les terrains, le rugby français est mis en accusation. La mort de Michel Pradié devient « L’affaire Pradié », une enquête est ouverte. Le Tribunal de Bordeaux va condamner Jean Taillandou, l’auteur malheureux du plaquage, avec sursis. La F.F.R. et le Comité National des Sports sont quant à eux, déclarés responsables des conséquences civiles. Ce drame, tombé dans l’oubli, date de 1930 ! Qui s’en souvient ?
91 ans plus tard, nous aurions pu en revivre un autre, en direct, à la télé, sous nos yeux effrayés par la violence du choc entre Ulupano Seuteni et Romain Ntamack. Heureusement, les joueurs sont devenus de véritables athlètes de haut niveau, ce qui a peut-être permis d’éviter le pire. Ces rugbymen des temps modernes sont préparés avec application aux contacts, aux plaquages, aux chocs en tous genres… ou presque. A condition qu’ils soient conformes aux règles du moment, qui s’adaptent elles-aussi à l’évolution des corps, des tailles, des poids, de l’explosivité. Et c’est ici que les problèmes commencent. Difficile d’avoir une lecture objective quand une règle et une décision arbitrale ne vont pas en notre faveur. Difficile aussi d’accepter cette notion de distance, de vitesse, de maîtrise, pour pouvoir se baisser à temps avant un plaquage. D’entendre qu’il y a, ou pas, des circonstances atténuantes pour le plaqueur, autre élément très important avant de mettre un carton, jaune ou rouge. Avec autant d’interprétations, de méconnaissance des règles, les débats sont ouverts et sans fin. De toute façon, ce qui évident dans un camp, ne l’est pas pour l’autre, et inversement. C’est de bonne guerre quand on est supporters. Nous avons pu constater sur notre page, après la diffusion de l’avis de Jérôme Garcès, qui approuvait la décision de Tual Trainini, d’exclure le joueur de l’UBB. Plus de 1 000 commentaires plus ou moins argumentés, plus ou moins féroces, plus ou moins « bulbés » se sont exprimés. On affirme, on accuse, on dédouane, on plaisante et on s’invective aussi. On parle rugby sur internet comme au café du coin. Sauf qu’internet n’a pas de jauge et reste ouvert jour et nuit. Le rêve pour des Français Gaulois, chauvins, brailleurs et tellement râleurs.
Christophe Urios en est probablement l’un des plus beaux ambassadeurs, en Top 14. Ses conférences de presse d’avant match sont souvent savoureuses, celles d’après aussi. Pas toujours pour les mêmes raisons. Le manager qui a mené Oyonnax vers les sommets, Castres vers le titre et Bègles-Bordeaux vers ses premières phases finales, a dit après la demi-finale perdue contre Toulouse : « La meilleure équipe n’a pas gagné […] Il y a des coups du sort qui sont à chaque fois en faveur des Toulousains. Ça fait quatre fois qu’on les joue, quatre fois que c’est pareil. Je ne m’étalerai pas dessus, mais on a beaucoup de colère. » Trois jours plus tard, il fait son mea-culpa… enfin, concernant le choix de prendre les trois points au lieu d’une pénal touche. Pas concernant le carton rouge, ni le choc qui l’a provoqué. Dommage, le débat aurait pu être clos définitivement et le climat apaisé. Car au-delà du résultat sportif, on retiendra qu’il y aurait pu avoir un drame samedi soir dernier. En ce sens, les acteurs et les commentateurs officiels du rugby pro ont une responsabilité. Celle de montrer l’exemple, d’expliquer des règles mouvantes mais sécurisantes, ou du moins de les comprendre. Ces règles qui permettent de différencier le rugby avec du foot américain par exemple. Des règles qui rassurent des parents hésitant de plus en plus à emmener leurs bambins à l’école de rugby sans avoir à craindre pour leur santé. En ce sens, Sébastien Chabal a lui aussi une responsabilité quand il parle d’intensité et non de violence, qu’il ne comprend pas un carton rouge. Sa prise de position, comme consultant majeur à une heure de grande écoute, peut aussi avoir des conséquences directes ou indirectes sur le nombre de licenciés à la rentrée prochaine. Le plus célèbre barbu de la planète ovale, dont le surnom était « cartouche », qui a construit sa réputation sur des tampons mémorables, voulait peut-être se faire l’avocat de… la défense. Thierry « Dark Destroyer » Dusautoir semblait gêné de prendre position. Marc Lièvremont, lui, s’est positionné fermement, comme le juge de paix d’un débat houleux, en s’appuyant uniquement sur le règlement, et non sur une quelconque interprétation. Un rappel à l’ordre qui vaut aussi pour tous les commentateurs de rugby, officiels et officieux. Que dirait-on aujourd’hui s’il y avait eu drame samedi soir ? Que dira-t-on si le pire arrivait (encore) sur un terrain de rugby ?
Pour rappel, en 1930, Agen avait battu Pau en demi-finale donc, avant d’affronter Quillan en finale, au Parc Lescure de Bordeaux. Une minute de silence avait été respectée en hommage au jeune Michel Pradié décédé quelques jours plus tôt. Agen s’imposera en finale grâce notamment à un drop lointain, dont Octave Lévy, président de la FFR, dira : « Le souffle du pauvre Michel Pradié semblait l’avoir emporté vers la victoire”. Trois jours après ce sacre du SUA, le Bouclier de Brennus était présenté sur la tombe de son jeune ouvreur bien trop tôt disparu.
Quelles que soient les mains qui le soulèveront le précieux bout de bois ce vendredi, la victoire récompensera un beau champion. Le Stade Rochelais et le Stade Toulousain, ont réalisé une saison à rallonge exceptionnelle, souhaitons-leur le meilleur, sans blessés supplémentaires, sans haine ni violence, verbale ou physique. Souhaitons-nous, supporters d’une des deux équipes, ou du rugby en général, un beau match, des larmes de joie aussi belles que celles de Vincent Merling, tellement émouvant, vendredi dernier, une opposition sans aigreur et plein d’essais. Soyons de bonne foi, une bonne fois pour toutes. Pour la beauté de ce sport, pour son histoire, et un peu aussi en souvenir de Louis, Adrien, Peter, et Michel Pradié…
(©photo France 3 Régions – Merci à Yvan pour sa participation)
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