L’esprit de sacrifice est une valeur qui a traversée le temps pour jouer au rugby. Toute une génération en a fait preuve, non plus sur un terrain de jeu, mais sur un champ de bataille, lors de la première guerre mondiale débutée en 1914. Plus forts physiquement, les joueurs de rugby ont majoritairement été mobilisés au sein de l’infanterie, missionnée pour les combats au corps à corps, et donc en première ligne. En 1916, l’élite du rugby français, soit près de 200 joueurs (dont 23 internationaux) était totalement décimée. Un « effort de guerre » partagé par les Britanniques, avec 1500 joueurs, dont 90 internationaux, qui ont également laissé leur vie dans cet effroyable conflit, qui s’est déroulé entre 1914 et 1918 sur notre sol. Pour honorer la mémoire des hommes morts au combat, et de toutes celles et ceux qui en ont souffert, en ce grand jour commémoratif de l’armistice, nous proposons aux plus jeunes (comme aux plus anciens), la lecture d’un article signé Michel Merkel paru dans le Monde en 2014. De quoi se cultiver et découvrir aussi ce que le rugby était juste avant et pendant la Grande Guerre. Et le lourd tribu payé par les joueurs il y a 100 ans. Un devoir de mémoire entretenu par le port d’un Bleuet, accroché aux vestes ou imprimé sur les maillots des équipes, seule fleur à pousser sur les champs de bataille, retournés pourtant par des milliers d’obus. Petites histoires dans la grande…
Nombre de sportifs de haut niveau ont été mobilisés et sont morts sur les champs de bataille, alors même que le sport en tant que pratique collective se démocratisait dans les cantonnements de l’arrière-front. Le football-rugby a connu avant 1914 une large diffusion par le biais de clubs locaux en France qui disposait d’une équipe nationale intégrée au tournoi des Cinq Nations dès 1910. Le premier club à être fondé en 1872 à l’initiative de marins anglais est Le Havre Athlétique Club. L’implantation du rugby se développe ensuite essentiellement dans le Sud-Ouest via le port de Bordeaux et la présence d’une importante communauté britannique et sur le terreau rural du pays de Soule. En région parisienne, le stade de Colombes devient en 1907 un haut lieu de rencontre de football-rugby et football-association.
Les joueurs ont été largement mobilisés à l’instar de l’ensemble de la société masculine et nombreux sont ceux qui ont péri. Selon Michel Merckel, porteur dans le cadre des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale d’un projet d’édification d’un monument aux sportifs « morts pour la France », sur 424 sportifs de haut niveau, 121 sont des joueurs de rugby. Souvent issus du monde rural, ils ont été versés dans l’infanterie, souvent comme sous-officiers ou promus officiers subalternes au front, catégories qui subirent en pourcentage le taux de pertes le plus élevé. Des équipes comme le Stade Toulousain, l’Aviron bayonnais ou l’Union sportive Arlequins perpignanaise (USAP), champion de France 1914, se sont vus privés de plusieurs de leurs joueurs. Aimé Giral un des joueurs phare de l’USAP meurt ainsi à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne. Le stade de rugby de Perpignan porte encore son nom, comme celui d’Agen porte celui d’Alfred Armandie, grand joueur du Sporting Union Agenais, « mort pour la France » en septembre 1915. La stèle commémorative du stade Mayol à Toulon porte les noms de 28 joueurs.
UN SPORT MARQUÉ PAR LE DEUIL
Le Stade Toulousain compte à lui seul 81 de ses joueurs tombés sur les champs de bataille. Figurent parmi eux les frères Moulinès, André et Paul, qui furent champions de France avec le Stade en 1912. La fameuse équipe championne de France 1912 et surnommée la « Vierge rouge » pour être restée invaincue toute la saison, perd plusieurs de ses grands talents. Le maître à jouer de cette équipe est parmi les premiers à disparaître : Alfred Mayssonnié est tué d’une balle dans le cœur lors de la bataille de la Marne, le 6 septembre 1914, à tout juste 30 ans. Ce demi de mêlée devenu ouvreur reste le premier grand stratège de l’histoire du club. Il a disputé le premier match du XV de France, en 1910, en tournoi des Cinq Nations. « Il était le symbole de ce que tous les vrais sportifs avaient rêvé, voulu et créé », a écrit le docteur Paul Voivenel, grand supporteur du Stade toulousain qui a raconté dans un récit poignant l’enterrement de « Maysso » au front par son camarade et coéquipiers du Stade toulousain Pierre Mounicq, médecin auxiliaire au régiment de Montauban. Le monument d’Héraclès élevé après-guerre, notamment à l’initiative de Paul Voivenel à Toulouse près des allées de Barcelone, témoigne du poids de ce deuil des stadistes toulousains ressenti par la population.
Le Stade Français a souffert également de lourdes pertes durant le conflit. André Vernières et Didier Dorsemaine nous indiquent qu’à la mobilisation d’août 1914, 650 stadistes partirent au front pour 1 400 sociétaires. On déplora 168 tués dont l’as du combat aérien Roland Garros. Le Racing Club de France, créé en 1892 et trois fois champion de France avant-guerre perd nombre de jeunes joueurs comme Paul Dupré. Le Racing est néanmoins champion en 1917 du « Challenge de l’espoir ».
De fait, vingt-trois internationaux sont inscrits sur la liste des victimes combattantes. Lorsque reprennent les rencontres internationales en 1920 (France-Ecosse, le 1er janvier) seuls quatre joueurs de l’équipe de France étaient présents sous le maillot bleu en 1914.
UN SPORT PRATIQUÉ PAR D’AUTRES NATIONS ET TERRITOIRES ENGAGÉS DANS LA GUERRE
Né en Angleterre en 1823, le rugby a très vite connu un grand succès dans nombre des territoires de l’Empire britannique. Les équipes de Nouvelle-Zélande ou d’Afrique du Sud (auteure d’un Grand Chelem sur les équipes britannique en 1912-1913) sont très réputées et les rugbymen australiens ou néo-zélandais viennent se battre sur le sol français.
L’emblématique capitaine et sélectionneur néo-zélandais des All Blacks, Dave Gallaher meurt en 1917 à la bataille de Passchendaele (Belgique). L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. Le trophée Dave Gallaher, créé en 2000 qui concerne la France et la Nouvelle-Zélande est remis à l’équipe vainqueur du premier test-match de l’année en cours.
Neuf internationaux de rugby irlandais sont morts pendant la première guerre mondiale. Parmi eux, Basil Maclear, né en 1881 qui fut sélectionné à 11 reprises dans le XV irlandais entre 1905 et 1907. Son physique impressionnant pour l’époque (1,82 mètre pour 83 kg) le faisait redouter des équipes adversaires. Mobilisé en 1914, il meurt dans les combats d’Ypres (Belgique) le 24 mai 1915 à l’âge de 34 ans.
La pratique du rugby partagée par les pays ou territoires alliés comme l’Australie, l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande est aussi l’occasion d’organiser des rencontres médiatisées entre équipes nationales participant à une mobilisation conjointe du grand public. Ainsi, un match emblématique se déroule au Parc des Princes en avril 1917 qui oppose l’équipe de France militaire et l’équipe britannique composée essentiellement de joueurs néo-zélandais. Les Blacks l’emportent largement 40 à 0.
UN SPORT QUI SE DÉMOCRATISE
La période de guerre, avec la concentration de millions d’hommes dont il a fallu organiser les loisirs, a été un accélérateur de la diffusion du rugby. A l’arrière, les différentes équipes des clubs locaux se voient décapitées en 1914 par le départ en guerre de la quasi-totalité des joueurs. Les rencontres reprennent en 1915 et surtout lors du championnat de 1916-1917 autour des Espoirs âgés de 17 à 19 ans. L’Union française des sports amateurs (USFSA) a alors dû mettre en place un système de tranches d’âge pour suppléer à l’appel sous les drapeaux des (jeunes) hommes. Est créé dans ce cadre à Toulouse le 7 octobre 1916 l’hebdomadaire Rugby. Si la dimension « provinciale » est affichée contre le parisianisme dans un souci de « défense des intérêts provinciaux », il s’agit de promouvoir la pratique du rugby en donnant des informations sur les matchs, les joueurs : « Nous osons espérer que tous les sportmen qui tiennent à la vie de leur club, et tous ceux qui aiment leur petite patrie autant que la grande, sauront comprendre l’utilité actuelle de notre existence », écrit dans un éditorial l’international toulousain Clovis Bioussa. Il exhorte les « jeunes » à poursuivre les matchs alors que les « anciens sont à leur place au front ». Et de poursuivre sur ces derniers : « Ils sont maîtres de leur âme, de leurs nerfs et de leur volonté. De tels soldats peuvent-ils être battus ? »
Sans surprise, une place majeure est laissée aux « sportmen méridionaux » et aux équipes du Sud-Ouest : Moutauban, Bordeaux, Villeneuve-sur-Lot, Agen ou Mazamet sont à l’honneur. On apprend également l’organisation de rencontres, telle l’opposition entre l’Union sportive tarbaise et Artillerie sportive de Tarbes. Mais Rugby offre aussi des nouvelles d’autres disciplines sportives, notamment le football-association présenté comme le sport le plus populaire au monde. Une rubrique « Sur le front » ouvre les pages du magazine aux soldats mobilisés. Les rubriques nécrologie et « papotage » permettent également de suivre l’implication des rugbymen dans la guerre.
Ainsi, l’hebdomadaire témoigne de trois éléments-clés qui éclairent l’expérience du conflit : une certaine forme de reconnaissance attendue de la part des sportifs dans l’effort de guerre et qui montre combien l’école du sport produit des citoyens et des patriotes efficaces ; une volonté de poursuivre la démocratisation de la pratique sportive et du rugby, en particulier malgré et contre les effets de la guerre ; une revendication plus large de l’identité provinciale face aux instances politiques parisiennes dans le sillage de la lutte contre le centralisme jacobin.
« J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale»
Au front, la pratique de sports individuels et collectifs se développe avec la stabilisation du front et la nécessité de trouver des occupations aux soldats hors des temps de combat. Des matchs sont organisés à l’arrière des lignes entre les unités, sous l’impulsion des pratiques sportives de l’armée britannique et des sportsmen qui apportent ainsi à l’armée leur pratique du temps de paix. Des sportifs se retrouvent entre eux et des instituteurs et professeurs initiés dans le cadre de l’inscription du sport et de l’éducation physique dans l’instruction des élèves et lors de stages à l’Ecole de Joinville initient leurs camarades, à l’image de Paul Andrillon, joueur en 1914 dans l’équipe du Stade Français, qui écrit en février 1915 alors que la guerre s’est installée dans un temps long : « C’est un vrai délassement que de jouer au football de temps à autre, bien loin de fatiguer les poilus, ça redonne de l’énergie en faisant jouer les articulations qui ont plutôt besoin de ça ; et puis, c’est si bon de plaquer les copains (…) J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout de ce noble sport et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale. » Le tonnelier et caporal socialiste Louis Barthas évoque la tenue de matchs sur un terrain improvisé à l’abri de « la Cuvette » dans le secteur d’Annequin dans le Pas-de-Calais en 1915 à quelques mètres des Allemands qui ne pouvaient ignorer cette pratique en voyant voler le ballon de rugby. Les photographies laissées par son capitaine, Léon Hudelle, originaire du même village audois de Peyriac-Minervois, montrent combien ces matchs ont laissé de bons souvenirs, et combien également la culture du rugby était affirmée dans l’esprit de corps de certains régiments méridionaux. Plus généralement, l’historien Paul Diestchy souligne « l’acculturation sportive » qu’a revêtue la Grande Guerre et le brassage de millions d’hommes, souvent issus des campagnes et peu touchés encore par l’essor des pratiques sportives collectives.
A l’issue de la guerre, un monument aux rugbymen tombés pour la France est élevé au stade de Colombes et plusieurs stades prennent le nom de rugbymen « morts pour la France », tels que le stade Alfred-Armandie d’Agen, joueur du Sporting Union agenais (SUA) tué en septembre 1915. Aimé Giral, un des joueurs phare de l’USAP mort à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne, donne son nom au stade de rugby de Perpignan. La stèle commémorative du stade Mayol, à Toulon, porte les noms de 28 joueurs. La Fédération française de rugby est créée en 1920 et se démarque de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports amateurs). Le nombre de licenciés augmente très sensiblement entre 1920 et 1924, les clubs passant en parallèle de 174 à 894. La Grande Guerre aura sur ce terrain contribué à accélérer le développement de la pratique du rugby en France, en en faisant un des sports collectifs les plus populaires et les plus appréciés.
Alexandre Lafon, historien, conseiller à la Mission du centenaire 14-18.
L’esprit de sacrifice est une valeur qui a traversée le temps pour jouer au rugby. Toute une génération en a fait preuve, non plus sur un terrain de jeu, mais sur un champ de bataille, lors de la première guerre mondiale débutée en 1914. Plus forts physiquement, les joueurs de rugby ont majoritairement été mobilisés au sein de l’infanterie, missionnée pour les combats au corps à corps, et donc en première ligne. En 1916, l’élite du rugby français, soit près de 200 joueurs (dont 23 internationaux) était totalement décimée. Un « effort de guerre » partagé par les Britanniques, avec 1500 joueurs, dont 90 internationaux, qui ont également laissé leur vie dans cet effroyable conflit, qui s’est déroulé entre 1914 et 1918 sur notre sol. Pour honorer la mémoire des hommes morts au combat, et de toutes celles et ceux qui en ont souffert, en ce grand jour commémoratif de l’armistice, nous proposons aux plus jeunes (comme aux plus anciens), la lecture d’un article signé Michel Merkel paru dans le Monde en 2014. De quoi se cultiver et découvrir aussi ce que le rugby était juste avant et pendant la Grande Guerre. Et le lourd tribu payé par les joueurs il y a 100 ans. Un devoir de mémoire entretenu par le port d’un Bleuet, accroché aux vestes ou imprimé sur les maillots des équipes, seule fleur à pousser sur les champs de bataille, retournés pourtant par des milliers d’obus. Petites histoires dans la grande…
Nombre de sportifs de haut niveau ont été mobilisés et sont morts sur les champs de bataille, alors même que le sport en tant que pratique collective se démocratisait dans les cantonnements de l’arrière-front. Le football-rugby a connu avant 1914 une large diffusion par le biais de clubs locaux en France qui disposait d’une équipe nationale intégrée au tournoi des Cinq Nations dès 1910. Le premier club à être fondé en 1872 à l’initiative de marins anglais est Le Havre Athlétique Club. L’implantation du rugby se développe ensuite essentiellement dans le Sud-Ouest via le port de Bordeaux et la présence d’une importante communauté britannique et sur le terreau rural du pays de Soule. En région parisienne, le stade de Colombes devient en 1907 un haut lieu de rencontre de football-rugby et football-association.
Les joueurs ont été largement mobilisés à l’instar de l’ensemble de la société masculine et nombreux sont ceux qui ont péri. Selon Michel Merckel, porteur dans le cadre des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale d’un projet d’édification d’un monument aux sportifs « morts pour la France », sur 424 sportifs de haut niveau, 121 sont des joueurs de rugby. Souvent issus du monde rural, ils ont été versés dans l’infanterie, souvent comme sous-officiers ou promus officiers subalternes au front, catégories qui subirent en pourcentage le taux de pertes le plus élevé. Des équipes comme le Stade Toulousain, l’Aviron bayonnais ou l’Union sportive Arlequins perpignanaise (USAP), champion de France 1914, se sont vus privés de plusieurs de leurs joueurs. Aimé Giral un des joueurs phare de l’USAP meurt ainsi à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne. Le stade de rugby de Perpignan porte encore son nom, comme celui d’Agen porte celui d’Alfred Armandie, grand joueur du Sporting Union Agenais, « mort pour la France » en septembre 1915. La stèle commémorative du stade Mayol à Toulon porte les noms de 28 joueurs.
UN SPORT MARQUÉ PAR LE DEUIL
Le Stade Toulousain compte à lui seul 81 de ses joueurs tombés sur les champs de bataille. Figurent parmi eux les frères Moulinès, André et Paul, qui furent champions de France avec le Stade en 1912. La fameuse équipe championne de France 1912 et surnommée la « Vierge rouge » pour être restée invaincue toute la saison, perd plusieurs de ses grands talents. Le maître à jouer de cette équipe est parmi les premiers à disparaître : Alfred Mayssonnié est tué d’une balle dans le cœur lors de la bataille de la Marne, le 6 septembre 1914, à tout juste 30 ans. Ce demi de mêlée devenu ouvreur reste le premier grand stratège de l’histoire du club. Il a disputé le premier match du XV de France, en 1910, en tournoi des Cinq Nations. « Il était le symbole de ce que tous les vrais sportifs avaient rêvé, voulu et créé », a écrit le docteur Paul Voivenel, grand supporteur du Stade toulousain qui a raconté dans un récit poignant l’enterrement de « Maysso » au front par son camarade et coéquipiers du Stade toulousain Pierre Mounicq, médecin auxiliaire au régiment de Montauban. Le monument d’Héraclès élevé après-guerre, notamment à l’initiative de Paul Voivenel à Toulouse près des allées de Barcelone, témoigne du poids de ce deuil des stadistes toulousains ressenti par la population.
Le Stade Français a souffert également de lourdes pertes durant le conflit. André Vernières et Didier Dorsemaine nous indiquent qu’à la mobilisation d’août 1914, 650 stadistes partirent au front pour 1 400 sociétaires. On déplora 168 tués dont l’as du combat aérien Roland Garros. Le Racing Club de France, créé en 1892 et trois fois champion de France avant-guerre perd nombre de jeunes joueurs comme Paul Dupré. Le Racing est néanmoins champion en 1917 du « Challenge de l’espoir ».
De fait, vingt-trois internationaux sont inscrits sur la liste des victimes combattantes. Lorsque reprennent les rencontres internationales en 1920 (France-Ecosse, le 1er janvier) seuls quatre joueurs de l’équipe de France étaient présents sous le maillot bleu en 1914.
UN SPORT PRATIQUÉ PAR D’AUTRES NATIONS ET TERRITOIRES ENGAGÉS DANS LA GUERRE
Né en Angleterre en 1823, le rugby a très vite connu un grand succès dans nombre des territoires de l’Empire britannique. Les équipes de Nouvelle-Zélande ou d’Afrique du Sud (auteure d’un Grand Chelem sur les équipes britannique en 1912-1913) sont très réputées et les rugbymen australiens ou néo-zélandais viennent se battre sur le sol français.
L’emblématique capitaine et sélectionneur néo-zélandais des All Blacks, Dave Gallaher meurt en 1917 à la bataille de Passchendaele (Belgique). L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. Le trophée Dave Gallaher, créé en 2000 qui concerne la France et la Nouvelle-Zélande est remis à l’équipe vainqueur du premier test-match de l’année en cours.
Neuf internationaux de rugby irlandais sont morts pendant la première guerre mondiale. Parmi eux, Basil Maclear, né en 1881 qui fut sélectionné à 11 reprises dans le XV irlandais entre 1905 et 1907. Son physique impressionnant pour l’époque (1,82 mètre pour 83 kg) le faisait redouter des équipes adversaires. Mobilisé en 1914, il meurt dans les combats d’Ypres (Belgique) le 24 mai 1915 à l’âge de 34 ans.
La pratique du rugby partagée par les pays ou territoires alliés comme l’Australie, l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande est aussi l’occasion d’organiser des rencontres médiatisées entre équipes nationales participant à une mobilisation conjointe du grand public. Ainsi, un match emblématique se déroule au Parc des Princes en avril 1917 qui oppose l’équipe de France militaire et l’équipe britannique composée essentiellement de joueurs néo-zélandais. Les Blacks l’emportent largement 40 à 0.
UN SPORT QUI SE DÉMOCRATISE
La période de guerre, avec la concentration de millions d’hommes dont il a fallu organiser les loisirs, a été un accélérateur de la diffusion du rugby. A l’arrière, les différentes équipes des clubs locaux se voient décapitées en 1914 par le départ en guerre de la quasi-totalité des joueurs. Les rencontres reprennent en 1915 et surtout lors du championnat de 1916-1917 autour des Espoirs âgés de 17 à 19 ans. L’Union française des sports amateurs (USFSA) a alors dû mettre en place un système de tranches d’âge pour suppléer à l’appel sous les drapeaux des (jeunes) hommes. Est créé dans ce cadre à Toulouse le 7 octobre 1916 l’hebdomadaire Rugby. Si la dimension « provinciale » est affichée contre le parisianisme dans un souci de « défense des intérêts provinciaux », il s’agit de promouvoir la pratique du rugby en donnant des informations sur les matchs, les joueurs : « Nous osons espérer que tous les sportmen qui tiennent à la vie de leur club, et tous ceux qui aiment leur petite patrie autant que la grande, sauront comprendre l’utilité actuelle de notre existence », écrit dans un éditorial l’international toulousain Clovis Bioussa. Il exhorte les « jeunes » à poursuivre les matchs alors que les « anciens sont à leur place au front ». Et de poursuivre sur ces derniers : « Ils sont maîtres de leur âme, de leurs nerfs et de leur volonté. De tels soldats peuvent-ils être battus ? »
Sans surprise, une place majeure est laissée aux « sportmen méridionaux » et aux équipes du Sud-Ouest : Moutauban, Bordeaux, Villeneuve-sur-Lot, Agen ou Mazamet sont à l’honneur. On apprend également l’organisation de rencontres, telle l’opposition entre l’Union sportive tarbaise et Artillerie sportive de Tarbes. Mais Rugby offre aussi des nouvelles d’autres disciplines sportives, notamment le football-association présenté comme le sport le plus populaire au monde. Une rubrique « Sur le front » ouvre les pages du magazine aux soldats mobilisés. Les rubriques nécrologie et « papotage » permettent également de suivre l’implication des rugbymen dans la guerre.
Ainsi, l’hebdomadaire témoigne de trois éléments-clés qui éclairent l’expérience du conflit : une certaine forme de reconnaissance attendue de la part des sportifs dans l’effort de guerre et qui montre combien l’école du sport produit des citoyens et des patriotes efficaces ; une volonté de poursuivre la démocratisation de la pratique sportive et du rugby, en particulier malgré et contre les effets de la guerre ; une revendication plus large de l’identité provinciale face aux instances politiques parisiennes dans le sillage de la lutte contre le centralisme jacobin.
« J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale»
Au front, la pratique de sports individuels et collectifs se développe avec la stabilisation du front et la nécessité de trouver des occupations aux soldats hors des temps de combat. Des matchs sont organisés à l’arrière des lignes entre les unités, sous l’impulsion des pratiques sportives de l’armée britannique et des sportsmen qui apportent ainsi à l’armée leur pratique du temps de paix. Des sportifs se retrouvent entre eux et des instituteurs et professeurs initiés dans le cadre de l’inscription du sport et de l’éducation physique dans l’instruction des élèves et lors de stages à l’Ecole de Joinville initient leurs camarades, à l’image de Paul Andrillon, joueur en 1914 dans l’équipe du Stade Français, qui écrit en février 1915 alors que la guerre s’est installée dans un temps long : « C’est un vrai délassement que de jouer au football de temps à autre, bien loin de fatiguer les poilus, ça redonne de l’énergie en faisant jouer les articulations qui ont plutôt besoin de ça ; et puis, c’est si bon de plaquer les copains (…) J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout de ce noble sport et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale. » Le tonnelier et caporal socialiste Louis Barthas évoque la tenue de matchs sur un terrain improvisé à l’abri de « la Cuvette » dans le secteur d’Annequin dans le Pas-de-Calais en 1915 à quelques mètres des Allemands qui ne pouvaient ignorer cette pratique en voyant voler le ballon de rugby. Les photographies laissées par son capitaine, Léon Hudelle, originaire du même village audois de Peyriac-Minervois, montrent combien ces matchs ont laissé de bons souvenirs, et combien également la culture du rugby était affirmée dans l’esprit de corps de certains régiments méridionaux. Plus généralement, l’historien Paul Diestchy souligne « l’acculturation sportive » qu’a revêtue la Grande Guerre et le brassage de millions d’hommes, souvent issus des campagnes et peu touchés encore par l’essor des pratiques sportives collectives.
A l’issue de la guerre, un monument aux rugbymen tombés pour la France est élevé au stade de Colombes et plusieurs stades prennent le nom de rugbymen « morts pour la France », tels que le stade Alfred-Armandie d’Agen, joueur du Sporting Union agenais (SUA) tué en septembre 1915. Aimé Giral, un des joueurs phare de l’USAP mort à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne, donne son nom au stade de rugby de Perpignan. La stèle commémorative du stade Mayol, à Toulon, porte les noms de 28 joueurs. La Fédération française de rugby est créée en 1920 et se démarque de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports amateurs). Le nombre de licenciés augmente très sensiblement entre 1920 et 1924, les clubs passant en parallèle de 174 à 894. La Grande Guerre aura sur ce terrain contribué à accélérer le développement de la pratique du rugby en France, en en faisant un des sports collectifs les plus populaires et les plus appréciés.
Alexandre Lafon, historien, conseiller à la Mission du centenaire 14-18.
L’esprit de sacrifice est une valeur qui a traversée le temps pour jouer au rugby. Toute une génération en a fait preuve, non plus sur un terrain de jeu, mais sur un champ de bataille, lors de la première guerre mondiale débutée en 1914. Plus forts physiquement, les joueurs de rugby ont majoritairement été mobilisés au sein de l’infanterie, missionnée pour les combats au corps à corps, et donc en première ligne. En 1916, l’élite du rugby français, soit près de 200 joueurs (dont 23 internationaux) était totalement décimée. Un « effort de guerre » partagé par les Britanniques, avec 1500 joueurs, dont 90 internationaux, qui ont également laissé leur vie dans cet effroyable conflit, qui s’est déroulé entre 1914 et 1918 sur notre sol. Pour honorer la mémoire des hommes morts au combat, et de toutes celles et ceux qui en ont souffert, en ce grand jour commémoratif de l’armistice, nous proposons aux plus jeunes (comme aux plus anciens), la lecture d’un article signé Michel Merkel paru dans le Monde en 2014. De quoi se cultiver et découvrir aussi ce que le rugby était juste avant et pendant la Grande Guerre. Et le lourd tribu payé par les joueurs il y a 100 ans. Un devoir de mémoire entretenu par le port d’un Bleuet, accroché aux vestes ou imprimé sur les maillots des équipes, seule fleur à pousser sur les champs de bataille, retournés pourtant par des milliers d’obus. Petites histoires dans la grande…
Nombre de sportifs de haut niveau ont été mobilisés et sont morts sur les champs de bataille, alors même que le sport en tant que pratique collective se démocratisait dans les cantonnements de l’arrière-front. Le football-rugby a connu avant 1914 une large diffusion par le biais de clubs locaux en France qui disposait d’une équipe nationale intégrée au tournoi des Cinq Nations dès 1910. Le premier club à être fondé en 1872 à l’initiative de marins anglais est Le Havre Athlétique Club. L’implantation du rugby se développe ensuite essentiellement dans le Sud-Ouest via le port de Bordeaux et la présence d’une importante communauté britannique et sur le terreau rural du pays de Soule. En région parisienne, le stade de Colombes devient en 1907 un haut lieu de rencontre de football-rugby et football-association.
Les joueurs ont été largement mobilisés à l’instar de l’ensemble de la société masculine et nombreux sont ceux qui ont péri. Selon Michel Merckel, porteur dans le cadre des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale d’un projet d’édification d’un monument aux sportifs « morts pour la France », sur 424 sportifs de haut niveau, 121 sont des joueurs de rugby. Souvent issus du monde rural, ils ont été versés dans l’infanterie, souvent comme sous-officiers ou promus officiers subalternes au front, catégories qui subirent en pourcentage le taux de pertes le plus élevé. Des équipes comme le Stade Toulousain, l’Aviron bayonnais ou l’Union sportive Arlequins perpignanaise (USAP), champion de France 1914, se sont vus privés de plusieurs de leurs joueurs. Aimé Giral un des joueurs phare de l’USAP meurt ainsi à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne. Le stade de rugby de Perpignan porte encore son nom, comme celui d’Agen porte celui d’Alfred Armandie, grand joueur du Sporting Union Agenais, « mort pour la France » en septembre 1915. La stèle commémorative du stade Mayol à Toulon porte les noms de 28 joueurs.
UN SPORT MARQUÉ PAR LE DEUIL
Le Stade Toulousain compte à lui seul 81 de ses joueurs tombés sur les champs de bataille. Figurent parmi eux les frères Moulinès, André et Paul, qui furent champions de France avec le Stade en 1912. La fameuse équipe championne de France 1912 et surnommée la « Vierge rouge » pour être restée invaincue toute la saison, perd plusieurs de ses grands talents. Le maître à jouer de cette équipe est parmi les premiers à disparaître : Alfred Mayssonnié est tué d’une balle dans le cœur lors de la bataille de la Marne, le 6 septembre 1914, à tout juste 30 ans. Ce demi de mêlée devenu ouvreur reste le premier grand stratège de l’histoire du club. Il a disputé le premier match du XV de France, en 1910, en tournoi des Cinq Nations. « Il était le symbole de ce que tous les vrais sportifs avaient rêvé, voulu et créé », a écrit le docteur Paul Voivenel, grand supporteur du Stade toulousain qui a raconté dans un récit poignant l’enterrement de « Maysso » au front par son camarade et coéquipiers du Stade toulousain Pierre Mounicq, médecin auxiliaire au régiment de Montauban. Le monument d’Héraclès élevé après-guerre, notamment à l’initiative de Paul Voivenel à Toulouse près des allées de Barcelone, témoigne du poids de ce deuil des stadistes toulousains ressenti par la population.
Le Stade Français a souffert également de lourdes pertes durant le conflit. André Vernières et Didier Dorsemaine nous indiquent qu’à la mobilisation d’août 1914, 650 stadistes partirent au front pour 1 400 sociétaires. On déplora 168 tués dont l’as du combat aérien Roland Garros. Le Racing Club de France, créé en 1892 et trois fois champion de France avant-guerre perd nombre de jeunes joueurs comme Paul Dupré. Le Racing est néanmoins champion en 1917 du « Challenge de l’espoir ».
De fait, vingt-trois internationaux sont inscrits sur la liste des victimes combattantes. Lorsque reprennent les rencontres internationales en 1920 (France-Ecosse, le 1er janvier) seuls quatre joueurs de l’équipe de France étaient présents sous le maillot bleu en 1914.
UN SPORT PRATIQUÉ PAR D’AUTRES NATIONS ET TERRITOIRES ENGAGÉS DANS LA GUERRE
Né en Angleterre en 1823, le rugby a très vite connu un grand succès dans nombre des territoires de l’Empire britannique. Les équipes de Nouvelle-Zélande ou d’Afrique du Sud (auteure d’un Grand Chelem sur les équipes britannique en 1912-1913) sont très réputées et les rugbymen australiens ou néo-zélandais viennent se battre sur le sol français.
L’emblématique capitaine et sélectionneur néo-zélandais des All Blacks, Dave Gallaher meurt en 1917 à la bataille de Passchendaele (Belgique). L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. Le trophée Dave Gallaher, créé en 2000 qui concerne la France et la Nouvelle-Zélande est remis à l’équipe vainqueur du premier test-match de l’année en cours.
Neuf internationaux de rugby irlandais sont morts pendant la première guerre mondiale. Parmi eux, Basil Maclear, né en 1881 qui fut sélectionné à 11 reprises dans le XV irlandais entre 1905 et 1907. Son physique impressionnant pour l’époque (1,82 mètre pour 83 kg) le faisait redouter des équipes adversaires. Mobilisé en 1914, il meurt dans les combats d’Ypres (Belgique) le 24 mai 1915 à l’âge de 34 ans.
La pratique du rugby partagée par les pays ou territoires alliés comme l’Australie, l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande est aussi l’occasion d’organiser des rencontres médiatisées entre équipes nationales participant à une mobilisation conjointe du grand public. Ainsi, un match emblématique se déroule au Parc des Princes en avril 1917 qui oppose l’équipe de France militaire et l’équipe britannique composée essentiellement de joueurs néo-zélandais. Les Blacks l’emportent largement 40 à 0.
UN SPORT QUI SE DÉMOCRATISE
La période de guerre, avec la concentration de millions d’hommes dont il a fallu organiser les loisirs, a été un accélérateur de la diffusion du rugby. A l’arrière, les différentes équipes des clubs locaux se voient décapitées en 1914 par le départ en guerre de la quasi-totalité des joueurs. Les rencontres reprennent en 1915 et surtout lors du championnat de 1916-1917 autour des Espoirs âgés de 17 à 19 ans. L’Union française des sports amateurs (USFSA) a alors dû mettre en place un système de tranches d’âge pour suppléer à l’appel sous les drapeaux des (jeunes) hommes. Est créé dans ce cadre à Toulouse le 7 octobre 1916 l’hebdomadaire Rugby. Si la dimension « provinciale » est affichée contre le parisianisme dans un souci de « défense des intérêts provinciaux », il s’agit de promouvoir la pratique du rugby en donnant des informations sur les matchs, les joueurs : « Nous osons espérer que tous les sportmen qui tiennent à la vie de leur club, et tous ceux qui aiment leur petite patrie autant que la grande, sauront comprendre l’utilité actuelle de notre existence », écrit dans un éditorial l’international toulousain Clovis Bioussa. Il exhorte les « jeunes » à poursuivre les matchs alors que les « anciens sont à leur place au front ». Et de poursuivre sur ces derniers : « Ils sont maîtres de leur âme, de leurs nerfs et de leur volonté. De tels soldats peuvent-ils être battus ? »
Sans surprise, une place majeure est laissée aux « sportmen méridionaux » et aux équipes du Sud-Ouest : Moutauban, Bordeaux, Villeneuve-sur-Lot, Agen ou Mazamet sont à l’honneur. On apprend également l’organisation de rencontres, telle l’opposition entre l’Union sportive tarbaise et Artillerie sportive de Tarbes. Mais Rugby offre aussi des nouvelles d’autres disciplines sportives, notamment le football-association présenté comme le sport le plus populaire au monde. Une rubrique « Sur le front » ouvre les pages du magazine aux soldats mobilisés. Les rubriques nécrologie et « papotage » permettent également de suivre l’implication des rugbymen dans la guerre.
Ainsi, l’hebdomadaire témoigne de trois éléments-clés qui éclairent l’expérience du conflit : une certaine forme de reconnaissance attendue de la part des sportifs dans l’effort de guerre et qui montre combien l’école du sport produit des citoyens et des patriotes efficaces ; une volonté de poursuivre la démocratisation de la pratique sportive et du rugby, en particulier malgré et contre les effets de la guerre ; une revendication plus large de l’identité provinciale face aux instances politiques parisiennes dans le sillage de la lutte contre le centralisme jacobin.
« J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale»
Au front, la pratique de sports individuels et collectifs se développe avec la stabilisation du front et la nécessité de trouver des occupations aux soldats hors des temps de combat. Des matchs sont organisés à l’arrière des lignes entre les unités, sous l’impulsion des pratiques sportives de l’armée britannique et des sportsmen qui apportent ainsi à l’armée leur pratique du temps de paix. Des sportifs se retrouvent entre eux et des instituteurs et professeurs initiés dans le cadre de l’inscription du sport et de l’éducation physique dans l’instruction des élèves et lors de stages à l’Ecole de Joinville initient leurs camarades, à l’image de Paul Andrillon, joueur en 1914 dans l’équipe du Stade Français, qui écrit en février 1915 alors que la guerre s’est installée dans un temps long : « C’est un vrai délassement que de jouer au football de temps à autre, bien loin de fatiguer les poilus, ça redonne de l’énergie en faisant jouer les articulations qui ont plutôt besoin de ça ; et puis, c’est si bon de plaquer les copains (…) J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout de ce noble sport et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale. » Le tonnelier et caporal socialiste Louis Barthas évoque la tenue de matchs sur un terrain improvisé à l’abri de « la Cuvette » dans le secteur d’Annequin dans le Pas-de-Calais en 1915 à quelques mètres des Allemands qui ne pouvaient ignorer cette pratique en voyant voler le ballon de rugby. Les photographies laissées par son capitaine, Léon Hudelle, originaire du même village audois de Peyriac-Minervois, montrent combien ces matchs ont laissé de bons souvenirs, et combien également la culture du rugby était affirmée dans l’esprit de corps de certains régiments méridionaux. Plus généralement, l’historien Paul Diestchy souligne « l’acculturation sportive » qu’a revêtue la Grande Guerre et le brassage de millions d’hommes, souvent issus des campagnes et peu touchés encore par l’essor des pratiques sportives collectives.
A l’issue de la guerre, un monument aux rugbymen tombés pour la France est élevé au stade de Colombes et plusieurs stades prennent le nom de rugbymen « morts pour la France », tels que le stade Alfred-Armandie d’Agen, joueur du Sporting Union agenais (SUA) tué en septembre 1915. Aimé Giral, un des joueurs phare de l’USAP mort à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne, donne son nom au stade de rugby de Perpignan. La stèle commémorative du stade Mayol, à Toulon, porte les noms de 28 joueurs. La Fédération française de rugby est créée en 1920 et se démarque de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports amateurs). Le nombre de licenciés augmente très sensiblement entre 1920 et 1924, les clubs passant en parallèle de 174 à 894. La Grande Guerre aura sur ce terrain contribué à accélérer le développement de la pratique du rugby en France, en en faisant un des sports collectifs les plus populaires et les plus appréciés.
Alexandre Lafon, historien, conseiller à la Mission du centenaire 14-18.
L’esprit de sacrifice est une valeur qui a traversée le temps pour jouer au rugby. Toute une génération en a fait preuve, non plus sur un terrain de jeu, mais sur un champ de bataille, lors de la première guerre mondiale débutée en 1914. Plus forts physiquement, les joueurs de rugby ont majoritairement été mobilisés au sein de l’infanterie, missionnée pour les combats au corps à corps, et donc en première ligne. En 1916, l’élite du rugby français, soit près de 200 joueurs (dont 23 internationaux) était totalement décimée. Un « effort de guerre » partagé par les Britanniques, avec 1500 joueurs, dont 90 internationaux, qui ont également laissé leur vie dans cet effroyable conflit, qui s’est déroulé entre 1914 et 1918 sur notre sol. Pour honorer la mémoire des hommes morts au combat, et de toutes celles et ceux qui en ont souffert, en ce grand jour commémoratif de l’armistice, nous proposons aux plus jeunes (comme aux plus anciens), la lecture d’un article signé Michel Merkel paru dans le Monde en 2014. De quoi se cultiver et découvrir aussi ce que le rugby était juste avant et pendant la Grande Guerre. Et le lourd tribu payé par les joueurs il y a 100 ans. Un devoir de mémoire entretenu par le port d’un Bleuet, accroché aux vestes ou imprimé sur les maillots des équipes, seule fleur à pousser sur les champs de bataille, retournés pourtant par des milliers d’obus. Petites histoires dans la grande…
Nombre de sportifs de haut niveau ont été mobilisés et sont morts sur les champs de bataille, alors même que le sport en tant que pratique collective se démocratisait dans les cantonnements de l’arrière-front. Le football-rugby a connu avant 1914 une large diffusion par le biais de clubs locaux en France qui disposait d’une équipe nationale intégrée au tournoi des Cinq Nations dès 1910. Le premier club à être fondé en 1872 à l’initiative de marins anglais est Le Havre Athlétique Club. L’implantation du rugby se développe ensuite essentiellement dans le Sud-Ouest via le port de Bordeaux et la présence d’une importante communauté britannique et sur le terreau rural du pays de Soule. En région parisienne, le stade de Colombes devient en 1907 un haut lieu de rencontre de football-rugby et football-association.
Les joueurs ont été largement mobilisés à l’instar de l’ensemble de la société masculine et nombreux sont ceux qui ont péri. Selon Michel Merckel, porteur dans le cadre des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale d’un projet d’édification d’un monument aux sportifs « morts pour la France », sur 424 sportifs de haut niveau, 121 sont des joueurs de rugby. Souvent issus du monde rural, ils ont été versés dans l’infanterie, souvent comme sous-officiers ou promus officiers subalternes au front, catégories qui subirent en pourcentage le taux de pertes le plus élevé. Des équipes comme le Stade Toulousain, l’Aviron bayonnais ou l’Union sportive Arlequins perpignanaise (USAP), champion de France 1914, se sont vus privés de plusieurs de leurs joueurs. Aimé Giral un des joueurs phare de l’USAP meurt ainsi à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne. Le stade de rugby de Perpignan porte encore son nom, comme celui d’Agen porte celui d’Alfred Armandie, grand joueur du Sporting Union Agenais, « mort pour la France » en septembre 1915. La stèle commémorative du stade Mayol à Toulon porte les noms de 28 joueurs.
UN SPORT MARQUÉ PAR LE DEUIL
Le Stade Toulousain compte à lui seul 81 de ses joueurs tombés sur les champs de bataille. Figurent parmi eux les frères Moulinès, André et Paul, qui furent champions de France avec le Stade en 1912. La fameuse équipe championne de France 1912 et surnommée la « Vierge rouge » pour être restée invaincue toute la saison, perd plusieurs de ses grands talents. Le maître à jouer de cette équipe est parmi les premiers à disparaître : Alfred Mayssonnié est tué d’une balle dans le cœur lors de la bataille de la Marne, le 6 septembre 1914, à tout juste 30 ans. Ce demi de mêlée devenu ouvreur reste le premier grand stratège de l’histoire du club. Il a disputé le premier match du XV de France, en 1910, en tournoi des Cinq Nations. « Il était le symbole de ce que tous les vrais sportifs avaient rêvé, voulu et créé », a écrit le docteur Paul Voivenel, grand supporteur du Stade toulousain qui a raconté dans un récit poignant l’enterrement de « Maysso » au front par son camarade et coéquipiers du Stade toulousain Pierre Mounicq, médecin auxiliaire au régiment de Montauban. Le monument d’Héraclès élevé après-guerre, notamment à l’initiative de Paul Voivenel à Toulouse près des allées de Barcelone, témoigne du poids de ce deuil des stadistes toulousains ressenti par la population.
Le Stade Français a souffert également de lourdes pertes durant le conflit. André Vernières et Didier Dorsemaine nous indiquent qu’à la mobilisation d’août 1914, 650 stadistes partirent au front pour 1 400 sociétaires. On déplora 168 tués dont l’as du combat aérien Roland Garros. Le Racing Club de France, créé en 1892 et trois fois champion de France avant-guerre perd nombre de jeunes joueurs comme Paul Dupré. Le Racing est néanmoins champion en 1917 du « Challenge de l’espoir ».
De fait, vingt-trois internationaux sont inscrits sur la liste des victimes combattantes. Lorsque reprennent les rencontres internationales en 1920 (France-Ecosse, le 1er janvier) seuls quatre joueurs de l’équipe de France étaient présents sous le maillot bleu en 1914.
UN SPORT PRATIQUÉ PAR D’AUTRES NATIONS ET TERRITOIRES ENGAGÉS DANS LA GUERRE
Né en Angleterre en 1823, le rugby a très vite connu un grand succès dans nombre des territoires de l’Empire britannique. Les équipes de Nouvelle-Zélande ou d’Afrique du Sud (auteure d’un Grand Chelem sur les équipes britannique en 1912-1913) sont très réputées et les rugbymen australiens ou néo-zélandais viennent se battre sur le sol français.
L’emblématique capitaine et sélectionneur néo-zélandais des All Blacks, Dave Gallaher meurt en 1917 à la bataille de Passchendaele (Belgique). L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. Le trophée Dave Gallaher, créé en 2000 qui concerne la France et la Nouvelle-Zélande est remis à l’équipe vainqueur du premier test-match de l’année en cours.
Neuf internationaux de rugby irlandais sont morts pendant la première guerre mondiale. Parmi eux, Basil Maclear, né en 1881 qui fut sélectionné à 11 reprises dans le XV irlandais entre 1905 et 1907. Son physique impressionnant pour l’époque (1,82 mètre pour 83 kg) le faisait redouter des équipes adversaires. Mobilisé en 1914, il meurt dans les combats d’Ypres (Belgique) le 24 mai 1915 à l’âge de 34 ans.
La pratique du rugby partagée par les pays ou territoires alliés comme l’Australie, l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande est aussi l’occasion d’organiser des rencontres médiatisées entre équipes nationales participant à une mobilisation conjointe du grand public. Ainsi, un match emblématique se déroule au Parc des Princes en avril 1917 qui oppose l’équipe de France militaire et l’équipe britannique composée essentiellement de joueurs néo-zélandais. Les Blacks l’emportent largement 40 à 0.
UN SPORT QUI SE DÉMOCRATISE
La période de guerre, avec la concentration de millions d’hommes dont il a fallu organiser les loisirs, a été un accélérateur de la diffusion du rugby. A l’arrière, les différentes équipes des clubs locaux se voient décapitées en 1914 par le départ en guerre de la quasi-totalité des joueurs. Les rencontres reprennent en 1915 et surtout lors du championnat de 1916-1917 autour des Espoirs âgés de 17 à 19 ans. L’Union française des sports amateurs (USFSA) a alors dû mettre en place un système de tranches d’âge pour suppléer à l’appel sous les drapeaux des (jeunes) hommes. Est créé dans ce cadre à Toulouse le 7 octobre 1916 l’hebdomadaire Rugby. Si la dimension « provinciale » est affichée contre le parisianisme dans un souci de « défense des intérêts provinciaux », il s’agit de promouvoir la pratique du rugby en donnant des informations sur les matchs, les joueurs : « Nous osons espérer que tous les sportmen qui tiennent à la vie de leur club, et tous ceux qui aiment leur petite patrie autant que la grande, sauront comprendre l’utilité actuelle de notre existence », écrit dans un éditorial l’international toulousain Clovis Bioussa. Il exhorte les « jeunes » à poursuivre les matchs alors que les « anciens sont à leur place au front ». Et de poursuivre sur ces derniers : « Ils sont maîtres de leur âme, de leurs nerfs et de leur volonté. De tels soldats peuvent-ils être battus ? »
Sans surprise, une place majeure est laissée aux « sportmen méridionaux » et aux équipes du Sud-Ouest : Moutauban, Bordeaux, Villeneuve-sur-Lot, Agen ou Mazamet sont à l’honneur. On apprend également l’organisation de rencontres, telle l’opposition entre l’Union sportive tarbaise et Artillerie sportive de Tarbes. Mais Rugby offre aussi des nouvelles d’autres disciplines sportives, notamment le football-association présenté comme le sport le plus populaire au monde. Une rubrique « Sur le front » ouvre les pages du magazine aux soldats mobilisés. Les rubriques nécrologie et « papotage » permettent également de suivre l’implication des rugbymen dans la guerre.
Ainsi, l’hebdomadaire témoigne de trois éléments-clés qui éclairent l’expérience du conflit : une certaine forme de reconnaissance attendue de la part des sportifs dans l’effort de guerre et qui montre combien l’école du sport produit des citoyens et des patriotes efficaces ; une volonté de poursuivre la démocratisation de la pratique sportive et du rugby, en particulier malgré et contre les effets de la guerre ; une revendication plus large de l’identité provinciale face aux instances politiques parisiennes dans le sillage de la lutte contre le centralisme jacobin.
« J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale»
Au front, la pratique de sports individuels et collectifs se développe avec la stabilisation du front et la nécessité de trouver des occupations aux soldats hors des temps de combat. Des matchs sont organisés à l’arrière des lignes entre les unités, sous l’impulsion des pratiques sportives de l’armée britannique et des sportsmen qui apportent ainsi à l’armée leur pratique du temps de paix. Des sportifs se retrouvent entre eux et des instituteurs et professeurs initiés dans le cadre de l’inscription du sport et de l’éducation physique dans l’instruction des élèves et lors de stages à l’Ecole de Joinville initient leurs camarades, à l’image de Paul Andrillon, joueur en 1914 dans l’équipe du Stade Français, qui écrit en février 1915 alors que la guerre s’est installée dans un temps long : « C’est un vrai délassement que de jouer au football de temps à autre, bien loin de fatiguer les poilus, ça redonne de l’énergie en faisant jouer les articulations qui ont plutôt besoin de ça ; et puis, c’est si bon de plaquer les copains (…) J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout de ce noble sport et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale. » Le tonnelier et caporal socialiste Louis Barthas évoque la tenue de matchs sur un terrain improvisé à l’abri de « la Cuvette » dans le secteur d’Annequin dans le Pas-de-Calais en 1915 à quelques mètres des Allemands qui ne pouvaient ignorer cette pratique en voyant voler le ballon de rugby. Les photographies laissées par son capitaine, Léon Hudelle, originaire du même village audois de Peyriac-Minervois, montrent combien ces matchs ont laissé de bons souvenirs, et combien également la culture du rugby était affirmée dans l’esprit de corps de certains régiments méridionaux. Plus généralement, l’historien Paul Diestchy souligne « l’acculturation sportive » qu’a revêtue la Grande Guerre et le brassage de millions d’hommes, souvent issus des campagnes et peu touchés encore par l’essor des pratiques sportives collectives.
A l’issue de la guerre, un monument aux rugbymen tombés pour la France est élevé au stade de Colombes et plusieurs stades prennent le nom de rugbymen « morts pour la France », tels que le stade Alfred-Armandie d’Agen, joueur du Sporting Union agenais (SUA) tué en septembre 1915. Aimé Giral, un des joueurs phare de l’USAP mort à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne, donne son nom au stade de rugby de Perpignan. La stèle commémorative du stade Mayol, à Toulon, porte les noms de 28 joueurs. La Fédération française de rugby est créée en 1920 et se démarque de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports amateurs). Le nombre de licenciés augmente très sensiblement entre 1920 et 1924, les clubs passant en parallèle de 174 à 894. La Grande Guerre aura sur ce terrain contribué à accélérer le développement de la pratique du rugby en France, en en faisant un des sports collectifs les plus populaires et les plus appréciés.
Alexandre Lafon, historien, conseiller à la Mission du centenaire 14-18.
L’esprit de sacrifice est une valeur qui a traversée le temps pour jouer au rugby. Toute une génération en a fait preuve, non plus sur un terrain de jeu, mais sur un champ de bataille, lors de la première guerre mondiale débutée en 1914. Plus forts physiquement, les joueurs de rugby ont majoritairement été mobilisés au sein de l’infanterie, missionnée pour les combats au corps à corps, et donc en première ligne. En 1916, l’élite du rugby français, soit près de 200 joueurs (dont 23 internationaux) était totalement décimée. Un « effort de guerre » partagé par les Britanniques, avec 1500 joueurs, dont 90 internationaux, qui ont également laissé leur vie dans cet effroyable conflit, qui s’est déroulé entre 1914 et 1918 sur notre sol. Pour honorer la mémoire des hommes morts au combat, et de toutes celles et ceux qui en ont souffert, en ce grand jour commémoratif de l’armistice, nous proposons aux plus jeunes (comme aux plus anciens), la lecture d’un article signé Michel Merkel paru dans le Monde en 2014. De quoi se cultiver et découvrir aussi ce que le rugby était juste avant et pendant la Grande Guerre. Et le lourd tribu payé par les joueurs il y a 100 ans. Un devoir de mémoire entretenu par le port d’un Bleuet, accroché aux vestes ou imprimé sur les maillots des équipes, seule fleur à pousser sur les champs de bataille, retournés pourtant par des milliers d’obus. Petites histoires dans la grande…
Nombre de sportifs de haut niveau ont été mobilisés et sont morts sur les champs de bataille, alors même que le sport en tant que pratique collective se démocratisait dans les cantonnements de l’arrière-front. Le football-rugby a connu avant 1914 une large diffusion par le biais de clubs locaux en France qui disposait d’une équipe nationale intégrée au tournoi des Cinq Nations dès 1910. Le premier club à être fondé en 1872 à l’initiative de marins anglais est Le Havre Athlétique Club. L’implantation du rugby se développe ensuite essentiellement dans le Sud-Ouest via le port de Bordeaux et la présence d’une importante communauté britannique et sur le terreau rural du pays de Soule. En région parisienne, le stade de Colombes devient en 1907 un haut lieu de rencontre de football-rugby et football-association.
Les joueurs ont été largement mobilisés à l’instar de l’ensemble de la société masculine et nombreux sont ceux qui ont péri. Selon Michel Merckel, porteur dans le cadre des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale d’un projet d’édification d’un monument aux sportifs « morts pour la France », sur 424 sportifs de haut niveau, 121 sont des joueurs de rugby. Souvent issus du monde rural, ils ont été versés dans l’infanterie, souvent comme sous-officiers ou promus officiers subalternes au front, catégories qui subirent en pourcentage le taux de pertes le plus élevé. Des équipes comme le Stade Toulousain, l’Aviron bayonnais ou l’Union sportive Arlequins perpignanaise (USAP), champion de France 1914, se sont vus privés de plusieurs de leurs joueurs. Aimé Giral un des joueurs phare de l’USAP meurt ainsi à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne. Le stade de rugby de Perpignan porte encore son nom, comme celui d’Agen porte celui d’Alfred Armandie, grand joueur du Sporting Union Agenais, « mort pour la France » en septembre 1915. La stèle commémorative du stade Mayol à Toulon porte les noms de 28 joueurs.
UN SPORT MARQUÉ PAR LE DEUIL
Le Stade Toulousain compte à lui seul 81 de ses joueurs tombés sur les champs de bataille. Figurent parmi eux les frères Moulinès, André et Paul, qui furent champions de France avec le Stade en 1912. La fameuse équipe championne de France 1912 et surnommée la « Vierge rouge » pour être restée invaincue toute la saison, perd plusieurs de ses grands talents. Le maître à jouer de cette équipe est parmi les premiers à disparaître : Alfred Mayssonnié est tué d’une balle dans le cœur lors de la bataille de la Marne, le 6 septembre 1914, à tout juste 30 ans. Ce demi de mêlée devenu ouvreur reste le premier grand stratège de l’histoire du club. Il a disputé le premier match du XV de France, en 1910, en tournoi des Cinq Nations. « Il était le symbole de ce que tous les vrais sportifs avaient rêvé, voulu et créé », a écrit le docteur Paul Voivenel, grand supporteur du Stade toulousain qui a raconté dans un récit poignant l’enterrement de « Maysso » au front par son camarade et coéquipiers du Stade toulousain Pierre Mounicq, médecin auxiliaire au régiment de Montauban. Le monument d’Héraclès élevé après-guerre, notamment à l’initiative de Paul Voivenel à Toulouse près des allées de Barcelone, témoigne du poids de ce deuil des stadistes toulousains ressenti par la population.
Le Stade Français a souffert également de lourdes pertes durant le conflit. André Vernières et Didier Dorsemaine nous indiquent qu’à la mobilisation d’août 1914, 650 stadistes partirent au front pour 1 400 sociétaires. On déplora 168 tués dont l’as du combat aérien Roland Garros. Le Racing Club de France, créé en 1892 et trois fois champion de France avant-guerre perd nombre de jeunes joueurs comme Paul Dupré. Le Racing est néanmoins champion en 1917 du « Challenge de l’espoir ».
De fait, vingt-trois internationaux sont inscrits sur la liste des victimes combattantes. Lorsque reprennent les rencontres internationales en 1920 (France-Ecosse, le 1er janvier) seuls quatre joueurs de l’équipe de France étaient présents sous le maillot bleu en 1914.
UN SPORT PRATIQUÉ PAR D’AUTRES NATIONS ET TERRITOIRES ENGAGÉS DANS LA GUERRE
Né en Angleterre en 1823, le rugby a très vite connu un grand succès dans nombre des territoires de l’Empire britannique. Les équipes de Nouvelle-Zélande ou d’Afrique du Sud (auteure d’un Grand Chelem sur les équipes britannique en 1912-1913) sont très réputées et les rugbymen australiens ou néo-zélandais viennent se battre sur le sol français.
L’emblématique capitaine et sélectionneur néo-zélandais des All Blacks, Dave Gallaher meurt en 1917 à la bataille de Passchendaele (Belgique). L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. Le trophée Dave Gallaher, créé en 2000 qui concerne la France et la Nouvelle-Zélande est remis à l’équipe vainqueur du premier test-match de l’année en cours.
Neuf internationaux de rugby irlandais sont morts pendant la première guerre mondiale. Parmi eux, Basil Maclear, né en 1881 qui fut sélectionné à 11 reprises dans le XV irlandais entre 1905 et 1907. Son physique impressionnant pour l’époque (1,82 mètre pour 83 kg) le faisait redouter des équipes adversaires. Mobilisé en 1914, il meurt dans les combats d’Ypres (Belgique) le 24 mai 1915 à l’âge de 34 ans.
La pratique du rugby partagée par les pays ou territoires alliés comme l’Australie, l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande est aussi l’occasion d’organiser des rencontres médiatisées entre équipes nationales participant à une mobilisation conjointe du grand public. Ainsi, un match emblématique se déroule au Parc des Princes en avril 1917 qui oppose l’équipe de France militaire et l’équipe britannique composée essentiellement de joueurs néo-zélandais. Les Blacks l’emportent largement 40 à 0.
UN SPORT QUI SE DÉMOCRATISE
La période de guerre, avec la concentration de millions d’hommes dont il a fallu organiser les loisirs, a été un accélérateur de la diffusion du rugby. A l’arrière, les différentes équipes des clubs locaux se voient décapitées en 1914 par le départ en guerre de la quasi-totalité des joueurs. Les rencontres reprennent en 1915 et surtout lors du championnat de 1916-1917 autour des Espoirs âgés de 17 à 19 ans. L’Union française des sports amateurs (USFSA) a alors dû mettre en place un système de tranches d’âge pour suppléer à l’appel sous les drapeaux des (jeunes) hommes. Est créé dans ce cadre à Toulouse le 7 octobre 1916 l’hebdomadaire Rugby. Si la dimension « provinciale » est affichée contre le parisianisme dans un souci de « défense des intérêts provinciaux », il s’agit de promouvoir la pratique du rugby en donnant des informations sur les matchs, les joueurs : « Nous osons espérer que tous les sportmen qui tiennent à la vie de leur club, et tous ceux qui aiment leur petite patrie autant que la grande, sauront comprendre l’utilité actuelle de notre existence », écrit dans un éditorial l’international toulousain Clovis Bioussa. Il exhorte les « jeunes » à poursuivre les matchs alors que les « anciens sont à leur place au front ». Et de poursuivre sur ces derniers : « Ils sont maîtres de leur âme, de leurs nerfs et de leur volonté. De tels soldats peuvent-ils être battus ? »
Sans surprise, une place majeure est laissée aux « sportmen méridionaux » et aux équipes du Sud-Ouest : Moutauban, Bordeaux, Villeneuve-sur-Lot, Agen ou Mazamet sont à l’honneur. On apprend également l’organisation de rencontres, telle l’opposition entre l’Union sportive tarbaise et Artillerie sportive de Tarbes. Mais Rugby offre aussi des nouvelles d’autres disciplines sportives, notamment le football-association présenté comme le sport le plus populaire au monde. Une rubrique « Sur le front » ouvre les pages du magazine aux soldats mobilisés. Les rubriques nécrologie et « papotage » permettent également de suivre l’implication des rugbymen dans la guerre.
Ainsi, l’hebdomadaire témoigne de trois éléments-clés qui éclairent l’expérience du conflit : une certaine forme de reconnaissance attendue de la part des sportifs dans l’effort de guerre et qui montre combien l’école du sport produit des citoyens et des patriotes efficaces ; une volonté de poursuivre la démocratisation de la pratique sportive et du rugby, en particulier malgré et contre les effets de la guerre ; une revendication plus large de l’identité provinciale face aux instances politiques parisiennes dans le sillage de la lutte contre le centralisme jacobin.
« J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale»
Au front, la pratique de sports individuels et collectifs se développe avec la stabilisation du front et la nécessité de trouver des occupations aux soldats hors des temps de combat. Des matchs sont organisés à l’arrière des lignes entre les unités, sous l’impulsion des pratiques sportives de l’armée britannique et des sportsmen qui apportent ainsi à l’armée leur pratique du temps de paix. Des sportifs se retrouvent entre eux et des instituteurs et professeurs initiés dans le cadre de l’inscription du sport et de l’éducation physique dans l’instruction des élèves et lors de stages à l’Ecole de Joinville initient leurs camarades, à l’image de Paul Andrillon, joueur en 1914 dans l’équipe du Stade Français, qui écrit en février 1915 alors que la guerre s’est installée dans un temps long : « C’est un vrai délassement que de jouer au football de temps à autre, bien loin de fatiguer les poilus, ça redonne de l’énergie en faisant jouer les articulations qui ont plutôt besoin de ça ; et puis, c’est si bon de plaquer les copains (…) J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout de ce noble sport et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale. » Le tonnelier et caporal socialiste Louis Barthas évoque la tenue de matchs sur un terrain improvisé à l’abri de « la Cuvette » dans le secteur d’Annequin dans le Pas-de-Calais en 1915 à quelques mètres des Allemands qui ne pouvaient ignorer cette pratique en voyant voler le ballon de rugby. Les photographies laissées par son capitaine, Léon Hudelle, originaire du même village audois de Peyriac-Minervois, montrent combien ces matchs ont laissé de bons souvenirs, et combien également la culture du rugby était affirmée dans l’esprit de corps de certains régiments méridionaux. Plus généralement, l’historien Paul Diestchy souligne « l’acculturation sportive » qu’a revêtue la Grande Guerre et le brassage de millions d’hommes, souvent issus des campagnes et peu touchés encore par l’essor des pratiques sportives collectives.
A l’issue de la guerre, un monument aux rugbymen tombés pour la France est élevé au stade de Colombes et plusieurs stades prennent le nom de rugbymen « morts pour la France », tels que le stade Alfred-Armandie d’Agen, joueur du Sporting Union agenais (SUA) tué en septembre 1915. Aimé Giral, un des joueurs phare de l’USAP mort à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne, donne son nom au stade de rugby de Perpignan. La stèle commémorative du stade Mayol, à Toulon, porte les noms de 28 joueurs. La Fédération française de rugby est créée en 1920 et se démarque de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports amateurs). Le nombre de licenciés augmente très sensiblement entre 1920 et 1924, les clubs passant en parallèle de 174 à 894. La Grande Guerre aura sur ce terrain contribué à accélérer le développement de la pratique du rugby en France, en en faisant un des sports collectifs les plus populaires et les plus appréciés.
Alexandre Lafon, historien, conseiller à la Mission du centenaire 14-18.
L’esprit de sacrifice est une valeur qui a traversée le temps pour jouer au rugby. Toute une génération en a fait preuve, non plus sur un terrain de jeu, mais sur un champ de bataille, lors de la première guerre mondiale débutée en 1914. Plus forts physiquement, les joueurs de rugby ont majoritairement été mobilisés au sein de l’infanterie, missionnée pour les combats au corps à corps, et donc en première ligne. En 1916, l’élite du rugby français, soit près de 200 joueurs (dont 23 internationaux) était totalement décimée. Un « effort de guerre » partagé par les Britanniques, avec 1500 joueurs, dont 90 internationaux, qui ont également laissé leur vie dans cet effroyable conflit, qui s’est déroulé entre 1914 et 1918 sur notre sol. Pour honorer la mémoire des hommes morts au combat, et de toutes celles et ceux qui en ont souffert, en ce grand jour commémoratif de l’armistice, nous proposons aux plus jeunes (comme aux plus anciens), la lecture d’un article signé Michel Merkel paru dans le Monde en 2014. De quoi se cultiver et découvrir aussi ce que le rugby était juste avant et pendant la Grande Guerre. Et le lourd tribu payé par les joueurs il y a 100 ans. Un devoir de mémoire entretenu par le port d’un Bleuet, accroché aux vestes ou imprimé sur les maillots des équipes, seule fleur à pousser sur les champs de bataille, retournés pourtant par des milliers d’obus. Petites histoires dans la grande…
Nombre de sportifs de haut niveau ont été mobilisés et sont morts sur les champs de bataille, alors même que le sport en tant que pratique collective se démocratisait dans les cantonnements de l’arrière-front. Le football-rugby a connu avant 1914 une large diffusion par le biais de clubs locaux en France qui disposait d’une équipe nationale intégrée au tournoi des Cinq Nations dès 1910. Le premier club à être fondé en 1872 à l’initiative de marins anglais est Le Havre Athlétique Club. L’implantation du rugby se développe ensuite essentiellement dans le Sud-Ouest via le port de Bordeaux et la présence d’une importante communauté britannique et sur le terreau rural du pays de Soule. En région parisienne, le stade de Colombes devient en 1907 un haut lieu de rencontre de football-rugby et football-association.
Les joueurs ont été largement mobilisés à l’instar de l’ensemble de la société masculine et nombreux sont ceux qui ont péri. Selon Michel Merckel, porteur dans le cadre des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale d’un projet d’édification d’un monument aux sportifs « morts pour la France », sur 424 sportifs de haut niveau, 121 sont des joueurs de rugby. Souvent issus du monde rural, ils ont été versés dans l’infanterie, souvent comme sous-officiers ou promus officiers subalternes au front, catégories qui subirent en pourcentage le taux de pertes le plus élevé. Des équipes comme le Stade Toulousain, l’Aviron bayonnais ou l’Union sportive Arlequins perpignanaise (USAP), champion de France 1914, se sont vus privés de plusieurs de leurs joueurs. Aimé Giral un des joueurs phare de l’USAP meurt ainsi à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne. Le stade de rugby de Perpignan porte encore son nom, comme celui d’Agen porte celui d’Alfred Armandie, grand joueur du Sporting Union Agenais, « mort pour la France » en septembre 1915. La stèle commémorative du stade Mayol à Toulon porte les noms de 28 joueurs.
UN SPORT MARQUÉ PAR LE DEUIL
Le Stade Toulousain compte à lui seul 81 de ses joueurs tombés sur les champs de bataille. Figurent parmi eux les frères Moulinès, André et Paul, qui furent champions de France avec le Stade en 1912. La fameuse équipe championne de France 1912 et surnommée la « Vierge rouge » pour être restée invaincue toute la saison, perd plusieurs de ses grands talents. Le maître à jouer de cette équipe est parmi les premiers à disparaître : Alfred Mayssonnié est tué d’une balle dans le cœur lors de la bataille de la Marne, le 6 septembre 1914, à tout juste 30 ans. Ce demi de mêlée devenu ouvreur reste le premier grand stratège de l’histoire du club. Il a disputé le premier match du XV de France, en 1910, en tournoi des Cinq Nations. « Il était le symbole de ce que tous les vrais sportifs avaient rêvé, voulu et créé », a écrit le docteur Paul Voivenel, grand supporteur du Stade toulousain qui a raconté dans un récit poignant l’enterrement de « Maysso » au front par son camarade et coéquipiers du Stade toulousain Pierre Mounicq, médecin auxiliaire au régiment de Montauban. Le monument d’Héraclès élevé après-guerre, notamment à l’initiative de Paul Voivenel à Toulouse près des allées de Barcelone, témoigne du poids de ce deuil des stadistes toulousains ressenti par la population.
Le Stade Français a souffert également de lourdes pertes durant le conflit. André Vernières et Didier Dorsemaine nous indiquent qu’à la mobilisation d’août 1914, 650 stadistes partirent au front pour 1 400 sociétaires. On déplora 168 tués dont l’as du combat aérien Roland Garros. Le Racing Club de France, créé en 1892 et trois fois champion de France avant-guerre perd nombre de jeunes joueurs comme Paul Dupré. Le Racing est néanmoins champion en 1917 du « Challenge de l’espoir ».
De fait, vingt-trois internationaux sont inscrits sur la liste des victimes combattantes. Lorsque reprennent les rencontres internationales en 1920 (France-Ecosse, le 1er janvier) seuls quatre joueurs de l’équipe de France étaient présents sous le maillot bleu en 1914.
UN SPORT PRATIQUÉ PAR D’AUTRES NATIONS ET TERRITOIRES ENGAGÉS DANS LA GUERRE
Né en Angleterre en 1823, le rugby a très vite connu un grand succès dans nombre des territoires de l’Empire britannique. Les équipes de Nouvelle-Zélande ou d’Afrique du Sud (auteure d’un Grand Chelem sur les équipes britannique en 1912-1913) sont très réputées et les rugbymen australiens ou néo-zélandais viennent se battre sur le sol français.
L’emblématique capitaine et sélectionneur néo-zélandais des All Blacks, Dave Gallaher meurt en 1917 à la bataille de Passchendaele (Belgique). L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. Le trophée Dave Gallaher, créé en 2000 qui concerne la France et la Nouvelle-Zélande est remis à l’équipe vainqueur du premier test-match de l’année en cours.
Neuf internationaux de rugby irlandais sont morts pendant la première guerre mondiale. Parmi eux, Basil Maclear, né en 1881 qui fut sélectionné à 11 reprises dans le XV irlandais entre 1905 et 1907. Son physique impressionnant pour l’époque (1,82 mètre pour 83 kg) le faisait redouter des équipes adversaires. Mobilisé en 1914, il meurt dans les combats d’Ypres (Belgique) le 24 mai 1915 à l’âge de 34 ans.
La pratique du rugby partagée par les pays ou territoires alliés comme l’Australie, l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande est aussi l’occasion d’organiser des rencontres médiatisées entre équipes nationales participant à une mobilisation conjointe du grand public. Ainsi, un match emblématique se déroule au Parc des Princes en avril 1917 qui oppose l’équipe de France militaire et l’équipe britannique composée essentiellement de joueurs néo-zélandais. Les Blacks l’emportent largement 40 à 0.
UN SPORT QUI SE DÉMOCRATISE
La période de guerre, avec la concentration de millions d’hommes dont il a fallu organiser les loisirs, a été un accélérateur de la diffusion du rugby. A l’arrière, les différentes équipes des clubs locaux se voient décapitées en 1914 par le départ en guerre de la quasi-totalité des joueurs. Les rencontres reprennent en 1915 et surtout lors du championnat de 1916-1917 autour des Espoirs âgés de 17 à 19 ans. L’Union française des sports amateurs (USFSA) a alors dû mettre en place un système de tranches d’âge pour suppléer à l’appel sous les drapeaux des (jeunes) hommes. Est créé dans ce cadre à Toulouse le 7 octobre 1916 l’hebdomadaire Rugby. Si la dimension « provinciale » est affichée contre le parisianisme dans un souci de « défense des intérêts provinciaux », il s’agit de promouvoir la pratique du rugby en donnant des informations sur les matchs, les joueurs : « Nous osons espérer que tous les sportmen qui tiennent à la vie de leur club, et tous ceux qui aiment leur petite patrie autant que la grande, sauront comprendre l’utilité actuelle de notre existence », écrit dans un éditorial l’international toulousain Clovis Bioussa. Il exhorte les « jeunes » à poursuivre les matchs alors que les « anciens sont à leur place au front ». Et de poursuivre sur ces derniers : « Ils sont maîtres de leur âme, de leurs nerfs et de leur volonté. De tels soldats peuvent-ils être battus ? »
Sans surprise, une place majeure est laissée aux « sportmen méridionaux » et aux équipes du Sud-Ouest : Moutauban, Bordeaux, Villeneuve-sur-Lot, Agen ou Mazamet sont à l’honneur. On apprend également l’organisation de rencontres, telle l’opposition entre l’Union sportive tarbaise et Artillerie sportive de Tarbes. Mais Rugby offre aussi des nouvelles d’autres disciplines sportives, notamment le football-association présenté comme le sport le plus populaire au monde. Une rubrique « Sur le front » ouvre les pages du magazine aux soldats mobilisés. Les rubriques nécrologie et « papotage » permettent également de suivre l’implication des rugbymen dans la guerre.
Ainsi, l’hebdomadaire témoigne de trois éléments-clés qui éclairent l’expérience du conflit : une certaine forme de reconnaissance attendue de la part des sportifs dans l’effort de guerre et qui montre combien l’école du sport produit des citoyens et des patriotes efficaces ; une volonté de poursuivre la démocratisation de la pratique sportive et du rugby, en particulier malgré et contre les effets de la guerre ; une revendication plus large de l’identité provinciale face aux instances politiques parisiennes dans le sillage de la lutte contre le centralisme jacobin.
« J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale»
Au front, la pratique de sports individuels et collectifs se développe avec la stabilisation du front et la nécessité de trouver des occupations aux soldats hors des temps de combat. Des matchs sont organisés à l’arrière des lignes entre les unités, sous l’impulsion des pratiques sportives de l’armée britannique et des sportsmen qui apportent ainsi à l’armée leur pratique du temps de paix. Des sportifs se retrouvent entre eux et des instituteurs et professeurs initiés dans le cadre de l’inscription du sport et de l’éducation physique dans l’instruction des élèves et lors de stages à l’Ecole de Joinville initient leurs camarades, à l’image de Paul Andrillon, joueur en 1914 dans l’équipe du Stade Français, qui écrit en février 1915 alors que la guerre s’est installée dans un temps long : « C’est un vrai délassement que de jouer au football de temps à autre, bien loin de fatiguer les poilus, ça redonne de l’énergie en faisant jouer les articulations qui ont plutôt besoin de ça ; et puis, c’est si bon de plaquer les copains (…) J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout de ce noble sport et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale. » Le tonnelier et caporal socialiste Louis Barthas évoque la tenue de matchs sur un terrain improvisé à l’abri de « la Cuvette » dans le secteur d’Annequin dans le Pas-de-Calais en 1915 à quelques mètres des Allemands qui ne pouvaient ignorer cette pratique en voyant voler le ballon de rugby. Les photographies laissées par son capitaine, Léon Hudelle, originaire du même village audois de Peyriac-Minervois, montrent combien ces matchs ont laissé de bons souvenirs, et combien également la culture du rugby était affirmée dans l’esprit de corps de certains régiments méridionaux. Plus généralement, l’historien Paul Diestchy souligne « l’acculturation sportive » qu’a revêtue la Grande Guerre et le brassage de millions d’hommes, souvent issus des campagnes et peu touchés encore par l’essor des pratiques sportives collectives.
A l’issue de la guerre, un monument aux rugbymen tombés pour la France est élevé au stade de Colombes et plusieurs stades prennent le nom de rugbymen « morts pour la France », tels que le stade Alfred-Armandie d’Agen, joueur du Sporting Union agenais (SUA) tué en septembre 1915. Aimé Giral, un des joueurs phare de l’USAP mort à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne, donne son nom au stade de rugby de Perpignan. La stèle commémorative du stade Mayol, à Toulon, porte les noms de 28 joueurs. La Fédération française de rugby est créée en 1920 et se démarque de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports amateurs). Le nombre de licenciés augmente très sensiblement entre 1920 et 1924, les clubs passant en parallèle de 174 à 894. La Grande Guerre aura sur ce terrain contribué à accélérer le développement de la pratique du rugby en France, en en faisant un des sports collectifs les plus populaires et les plus appréciés.
Alexandre Lafon, historien, conseiller à la Mission du centenaire 14-18.
L’esprit de sacrifice est une valeur qui a traversée le temps pour jouer au rugby. Toute une génération en a fait preuve, non plus sur un terrain de jeu, mais sur un champ de bataille, lors de la première guerre mondiale débutée en 1914. Plus forts physiquement, les joueurs de rugby ont majoritairement été mobilisés au sein de l’infanterie, missionnée pour les combats au corps à corps, et donc en première ligne. En 1916, l’élite du rugby français, soit près de 200 joueurs (dont 23 internationaux) était totalement décimée. Un « effort de guerre » partagé par les Britanniques, avec 1500 joueurs, dont 90 internationaux, qui ont également laissé leur vie dans cet effroyable conflit, qui s’est déroulé entre 1914 et 1918 sur notre sol. Pour honorer la mémoire des hommes morts au combat, et de toutes celles et ceux qui en ont souffert, en ce grand jour commémoratif de l’armistice, nous proposons aux plus jeunes (comme aux plus anciens), la lecture d’un article signé Michel Merkel paru dans le Monde en 2014. De quoi se cultiver et découvrir aussi ce que le rugby était juste avant et pendant la Grande Guerre. Et le lourd tribu payé par les joueurs il y a 100 ans. Un devoir de mémoire entretenu par le port d’un Bleuet, accroché aux vestes ou imprimé sur les maillots des équipes, seule fleur à pousser sur les champs de bataille, retournés pourtant par des milliers d’obus. Petites histoires dans la grande…
Nombre de sportifs de haut niveau ont été mobilisés et sont morts sur les champs de bataille, alors même que le sport en tant que pratique collective se démocratisait dans les cantonnements de l’arrière-front. Le football-rugby a connu avant 1914 une large diffusion par le biais de clubs locaux en France qui disposait d’une équipe nationale intégrée au tournoi des Cinq Nations dès 1910. Le premier club à être fondé en 1872 à l’initiative de marins anglais est Le Havre Athlétique Club. L’implantation du rugby se développe ensuite essentiellement dans le Sud-Ouest via le port de Bordeaux et la présence d’une importante communauté britannique et sur le terreau rural du pays de Soule. En région parisienne, le stade de Colombes devient en 1907 un haut lieu de rencontre de football-rugby et football-association.
Les joueurs ont été largement mobilisés à l’instar de l’ensemble de la société masculine et nombreux sont ceux qui ont péri. Selon Michel Merckel, porteur dans le cadre des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale d’un projet d’édification d’un monument aux sportifs « morts pour la France », sur 424 sportifs de haut niveau, 121 sont des joueurs de rugby. Souvent issus du monde rural, ils ont été versés dans l’infanterie, souvent comme sous-officiers ou promus officiers subalternes au front, catégories qui subirent en pourcentage le taux de pertes le plus élevé. Des équipes comme le Stade Toulousain, l’Aviron bayonnais ou l’Union sportive Arlequins perpignanaise (USAP), champion de France 1914, se sont vus privés de plusieurs de leurs joueurs. Aimé Giral un des joueurs phare de l’USAP meurt ainsi à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne. Le stade de rugby de Perpignan porte encore son nom, comme celui d’Agen porte celui d’Alfred Armandie, grand joueur du Sporting Union Agenais, « mort pour la France » en septembre 1915. La stèle commémorative du stade Mayol à Toulon porte les noms de 28 joueurs.
UN SPORT MARQUÉ PAR LE DEUIL
Le Stade Toulousain compte à lui seul 81 de ses joueurs tombés sur les champs de bataille. Figurent parmi eux les frères Moulinès, André et Paul, qui furent champions de France avec le Stade en 1912. La fameuse équipe championne de France 1912 et surnommée la « Vierge rouge » pour être restée invaincue toute la saison, perd plusieurs de ses grands talents. Le maître à jouer de cette équipe est parmi les premiers à disparaître : Alfred Mayssonnié est tué d’une balle dans le cœur lors de la bataille de la Marne, le 6 septembre 1914, à tout juste 30 ans. Ce demi de mêlée devenu ouvreur reste le premier grand stratège de l’histoire du club. Il a disputé le premier match du XV de France, en 1910, en tournoi des Cinq Nations. « Il était le symbole de ce que tous les vrais sportifs avaient rêvé, voulu et créé », a écrit le docteur Paul Voivenel, grand supporteur du Stade toulousain qui a raconté dans un récit poignant l’enterrement de « Maysso » au front par son camarade et coéquipiers du Stade toulousain Pierre Mounicq, médecin auxiliaire au régiment de Montauban. Le monument d’Héraclès élevé après-guerre, notamment à l’initiative de Paul Voivenel à Toulouse près des allées de Barcelone, témoigne du poids de ce deuil des stadistes toulousains ressenti par la population.
Le Stade Français a souffert également de lourdes pertes durant le conflit. André Vernières et Didier Dorsemaine nous indiquent qu’à la mobilisation d’août 1914, 650 stadistes partirent au front pour 1 400 sociétaires. On déplora 168 tués dont l’as du combat aérien Roland Garros. Le Racing Club de France, créé en 1892 et trois fois champion de France avant-guerre perd nombre de jeunes joueurs comme Paul Dupré. Le Racing est néanmoins champion en 1917 du « Challenge de l’espoir ».
De fait, vingt-trois internationaux sont inscrits sur la liste des victimes combattantes. Lorsque reprennent les rencontres internationales en 1920 (France-Ecosse, le 1er janvier) seuls quatre joueurs de l’équipe de France étaient présents sous le maillot bleu en 1914.
UN SPORT PRATIQUÉ PAR D’AUTRES NATIONS ET TERRITOIRES ENGAGÉS DANS LA GUERRE
Né en Angleterre en 1823, le rugby a très vite connu un grand succès dans nombre des territoires de l’Empire britannique. Les équipes de Nouvelle-Zélande ou d’Afrique du Sud (auteure d’un Grand Chelem sur les équipes britannique en 1912-1913) sont très réputées et les rugbymen australiens ou néo-zélandais viennent se battre sur le sol français.
L’emblématique capitaine et sélectionneur néo-zélandais des All Blacks, Dave Gallaher meurt en 1917 à la bataille de Passchendaele (Belgique). L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. Le trophée Dave Gallaher, créé en 2000 qui concerne la France et la Nouvelle-Zélande est remis à l’équipe vainqueur du premier test-match de l’année en cours.
Neuf internationaux de rugby irlandais sont morts pendant la première guerre mondiale. Parmi eux, Basil Maclear, né en 1881 qui fut sélectionné à 11 reprises dans le XV irlandais entre 1905 et 1907. Son physique impressionnant pour l’époque (1,82 mètre pour 83 kg) le faisait redouter des équipes adversaires. Mobilisé en 1914, il meurt dans les combats d’Ypres (Belgique) le 24 mai 1915 à l’âge de 34 ans.
La pratique du rugby partagée par les pays ou territoires alliés comme l’Australie, l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande est aussi l’occasion d’organiser des rencontres médiatisées entre équipes nationales participant à une mobilisation conjointe du grand public. Ainsi, un match emblématique se déroule au Parc des Princes en avril 1917 qui oppose l’équipe de France militaire et l’équipe britannique composée essentiellement de joueurs néo-zélandais. Les Blacks l’emportent largement 40 à 0.
UN SPORT QUI SE DÉMOCRATISE
La période de guerre, avec la concentration de millions d’hommes dont il a fallu organiser les loisirs, a été un accélérateur de la diffusion du rugby. A l’arrière, les différentes équipes des clubs locaux se voient décapitées en 1914 par le départ en guerre de la quasi-totalité des joueurs. Les rencontres reprennent en 1915 et surtout lors du championnat de 1916-1917 autour des Espoirs âgés de 17 à 19 ans. L’Union française des sports amateurs (USFSA) a alors dû mettre en place un système de tranches d’âge pour suppléer à l’appel sous les drapeaux des (jeunes) hommes. Est créé dans ce cadre à Toulouse le 7 octobre 1916 l’hebdomadaire Rugby. Si la dimension « provinciale » est affichée contre le parisianisme dans un souci de « défense des intérêts provinciaux », il s’agit de promouvoir la pratique du rugby en donnant des informations sur les matchs, les joueurs : « Nous osons espérer que tous les sportmen qui tiennent à la vie de leur club, et tous ceux qui aiment leur petite patrie autant que la grande, sauront comprendre l’utilité actuelle de notre existence », écrit dans un éditorial l’international toulousain Clovis Bioussa. Il exhorte les « jeunes » à poursuivre les matchs alors que les « anciens sont à leur place au front ». Et de poursuivre sur ces derniers : « Ils sont maîtres de leur âme, de leurs nerfs et de leur volonté. De tels soldats peuvent-ils être battus ? »
Sans surprise, une place majeure est laissée aux « sportmen méridionaux » et aux équipes du Sud-Ouest : Moutauban, Bordeaux, Villeneuve-sur-Lot, Agen ou Mazamet sont à l’honneur. On apprend également l’organisation de rencontres, telle l’opposition entre l’Union sportive tarbaise et Artillerie sportive de Tarbes. Mais Rugby offre aussi des nouvelles d’autres disciplines sportives, notamment le football-association présenté comme le sport le plus populaire au monde. Une rubrique « Sur le front » ouvre les pages du magazine aux soldats mobilisés. Les rubriques nécrologie et « papotage » permettent également de suivre l’implication des rugbymen dans la guerre.
Ainsi, l’hebdomadaire témoigne de trois éléments-clés qui éclairent l’expérience du conflit : une certaine forme de reconnaissance attendue de la part des sportifs dans l’effort de guerre et qui montre combien l’école du sport produit des citoyens et des patriotes efficaces ; une volonté de poursuivre la démocratisation de la pratique sportive et du rugby, en particulier malgré et contre les effets de la guerre ; une revendication plus large de l’identité provinciale face aux instances politiques parisiennes dans le sillage de la lutte contre le centralisme jacobin.
« J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale»
Au front, la pratique de sports individuels et collectifs se développe avec la stabilisation du front et la nécessité de trouver des occupations aux soldats hors des temps de combat. Des matchs sont organisés à l’arrière des lignes entre les unités, sous l’impulsion des pratiques sportives de l’armée britannique et des sportsmen qui apportent ainsi à l’armée leur pratique du temps de paix. Des sportifs se retrouvent entre eux et des instituteurs et professeurs initiés dans le cadre de l’inscription du sport et de l’éducation physique dans l’instruction des élèves et lors de stages à l’Ecole de Joinville initient leurs camarades, à l’image de Paul Andrillon, joueur en 1914 dans l’équipe du Stade Français, qui écrit en février 1915 alors que la guerre s’est installée dans un temps long : « C’est un vrai délassement que de jouer au football de temps à autre, bien loin de fatiguer les poilus, ça redonne de l’énergie en faisant jouer les articulations qui ont plutôt besoin de ça ; et puis, c’est si bon de plaquer les copains (…) J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout de ce noble sport et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale. » Le tonnelier et caporal socialiste Louis Barthas évoque la tenue de matchs sur un terrain improvisé à l’abri de « la Cuvette » dans le secteur d’Annequin dans le Pas-de-Calais en 1915 à quelques mètres des Allemands qui ne pouvaient ignorer cette pratique en voyant voler le ballon de rugby. Les photographies laissées par son capitaine, Léon Hudelle, originaire du même village audois de Peyriac-Minervois, montrent combien ces matchs ont laissé de bons souvenirs, et combien également la culture du rugby était affirmée dans l’esprit de corps de certains régiments méridionaux. Plus généralement, l’historien Paul Diestchy souligne « l’acculturation sportive » qu’a revêtue la Grande Guerre et le brassage de millions d’hommes, souvent issus des campagnes et peu touchés encore par l’essor des pratiques sportives collectives.
A l’issue de la guerre, un monument aux rugbymen tombés pour la France est élevé au stade de Colombes et plusieurs stades prennent le nom de rugbymen « morts pour la France », tels que le stade Alfred-Armandie d’Agen, joueur du Sporting Union agenais (SUA) tué en septembre 1915. Aimé Giral, un des joueurs phare de l’USAP mort à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne, donne son nom au stade de rugby de Perpignan. La stèle commémorative du stade Mayol, à Toulon, porte les noms de 28 joueurs. La Fédération française de rugby est créée en 1920 et se démarque de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports amateurs). Le nombre de licenciés augmente très sensiblement entre 1920 et 1924, les clubs passant en parallèle de 174 à 894. La Grande Guerre aura sur ce terrain contribué à accélérer le développement de la pratique du rugby en France, en en faisant un des sports collectifs les plus populaires et les plus appréciés.
Alexandre Lafon, historien, conseiller à la Mission du centenaire 14-18.
L’esprit de sacrifice est une valeur qui a traversée le temps pour jouer au rugby. Toute une génération en a fait preuve, non plus sur un terrain de jeu, mais sur un champ de bataille, lors de la première guerre mondiale débutée en 1914. Plus forts physiquement, les joueurs de rugby ont majoritairement été mobilisés au sein de l’infanterie, missionnée pour les combats au corps à corps, et donc en première ligne. En 1916, l’élite du rugby français, soit près de 200 joueurs (dont 23 internationaux) était totalement décimée. Un « effort de guerre » partagé par les Britanniques, avec 1500 joueurs, dont 90 internationaux, qui ont également laissé leur vie dans cet effroyable conflit, qui s’est déroulé entre 1914 et 1918 sur notre sol. Pour honorer la mémoire des hommes morts au combat, et de toutes celles et ceux qui en ont souffert, en ce grand jour commémoratif de l’armistice, nous proposons aux plus jeunes (comme aux plus anciens), la lecture d’un article signé Michel Merkel paru dans le Monde en 2014. De quoi se cultiver et découvrir aussi ce que le rugby était juste avant et pendant la Grande Guerre. Et le lourd tribu payé par les joueurs il y a 100 ans. Un devoir de mémoire entretenu par le port d’un Bleuet, accroché aux vestes ou imprimé sur les maillots des équipes, seule fleur à pousser sur les champs de bataille, retournés pourtant par des milliers d’obus. Petites histoires dans la grande…
Nombre de sportifs de haut niveau ont été mobilisés et sont morts sur les champs de bataille, alors même que le sport en tant que pratique collective se démocratisait dans les cantonnements de l’arrière-front. Le football-rugby a connu avant 1914 une large diffusion par le biais de clubs locaux en France qui disposait d’une équipe nationale intégrée au tournoi des Cinq Nations dès 1910. Le premier club à être fondé en 1872 à l’initiative de marins anglais est Le Havre Athlétique Club. L’implantation du rugby se développe ensuite essentiellement dans le Sud-Ouest via le port de Bordeaux et la présence d’une importante communauté britannique et sur le terreau rural du pays de Soule. En région parisienne, le stade de Colombes devient en 1907 un haut lieu de rencontre de football-rugby et football-association.
Les joueurs ont été largement mobilisés à l’instar de l’ensemble de la société masculine et nombreux sont ceux qui ont péri. Selon Michel Merckel, porteur dans le cadre des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale d’un projet d’édification d’un monument aux sportifs « morts pour la France », sur 424 sportifs de haut niveau, 121 sont des joueurs de rugby. Souvent issus du monde rural, ils ont été versés dans l’infanterie, souvent comme sous-officiers ou promus officiers subalternes au front, catégories qui subirent en pourcentage le taux de pertes le plus élevé. Des équipes comme le Stade Toulousain, l’Aviron bayonnais ou l’Union sportive Arlequins perpignanaise (USAP), champion de France 1914, se sont vus privés de plusieurs de leurs joueurs. Aimé Giral un des joueurs phare de l’USAP meurt ainsi à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne. Le stade de rugby de Perpignan porte encore son nom, comme celui d’Agen porte celui d’Alfred Armandie, grand joueur du Sporting Union Agenais, « mort pour la France » en septembre 1915. La stèle commémorative du stade Mayol à Toulon porte les noms de 28 joueurs.
UN SPORT MARQUÉ PAR LE DEUIL
Le Stade Toulousain compte à lui seul 81 de ses joueurs tombés sur les champs de bataille. Figurent parmi eux les frères Moulinès, André et Paul, qui furent champions de France avec le Stade en 1912. La fameuse équipe championne de France 1912 et surnommée la « Vierge rouge » pour être restée invaincue toute la saison, perd plusieurs de ses grands talents. Le maître à jouer de cette équipe est parmi les premiers à disparaître : Alfred Mayssonnié est tué d’une balle dans le cœur lors de la bataille de la Marne, le 6 septembre 1914, à tout juste 30 ans. Ce demi de mêlée devenu ouvreur reste le premier grand stratège de l’histoire du club. Il a disputé le premier match du XV de France, en 1910, en tournoi des Cinq Nations. « Il était le symbole de ce que tous les vrais sportifs avaient rêvé, voulu et créé », a écrit le docteur Paul Voivenel, grand supporteur du Stade toulousain qui a raconté dans un récit poignant l’enterrement de « Maysso » au front par son camarade et coéquipiers du Stade toulousain Pierre Mounicq, médecin auxiliaire au régiment de Montauban. Le monument d’Héraclès élevé après-guerre, notamment à l’initiative de Paul Voivenel à Toulouse près des allées de Barcelone, témoigne du poids de ce deuil des stadistes toulousains ressenti par la population.
Le Stade Français a souffert également de lourdes pertes durant le conflit. André Vernières et Didier Dorsemaine nous indiquent qu’à la mobilisation d’août 1914, 650 stadistes partirent au front pour 1 400 sociétaires. On déplora 168 tués dont l’as du combat aérien Roland Garros. Le Racing Club de France, créé en 1892 et trois fois champion de France avant-guerre perd nombre de jeunes joueurs comme Paul Dupré. Le Racing est néanmoins champion en 1917 du « Challenge de l’espoir ».
De fait, vingt-trois internationaux sont inscrits sur la liste des victimes combattantes. Lorsque reprennent les rencontres internationales en 1920 (France-Ecosse, le 1er janvier) seuls quatre joueurs de l’équipe de France étaient présents sous le maillot bleu en 1914.
UN SPORT PRATIQUÉ PAR D’AUTRES NATIONS ET TERRITOIRES ENGAGÉS DANS LA GUERRE
Né en Angleterre en 1823, le rugby a très vite connu un grand succès dans nombre des territoires de l’Empire britannique. Les équipes de Nouvelle-Zélande ou d’Afrique du Sud (auteure d’un Grand Chelem sur les équipes britannique en 1912-1913) sont très réputées et les rugbymen australiens ou néo-zélandais viennent se battre sur le sol français.
L’emblématique capitaine et sélectionneur néo-zélandais des All Blacks, Dave Gallaher meurt en 1917 à la bataille de Passchendaele (Belgique). L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. Le trophée Dave Gallaher, créé en 2000 qui concerne la France et la Nouvelle-Zélande est remis à l’équipe vainqueur du premier test-match de l’année en cours.
Neuf internationaux de rugby irlandais sont morts pendant la première guerre mondiale. Parmi eux, Basil Maclear, né en 1881 qui fut sélectionné à 11 reprises dans le XV irlandais entre 1905 et 1907. Son physique impressionnant pour l’époque (1,82 mètre pour 83 kg) le faisait redouter des équipes adversaires. Mobilisé en 1914, il meurt dans les combats d’Ypres (Belgique) le 24 mai 1915 à l’âge de 34 ans.
La pratique du rugby partagée par les pays ou territoires alliés comme l’Australie, l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande est aussi l’occasion d’organiser des rencontres médiatisées entre équipes nationales participant à une mobilisation conjointe du grand public. Ainsi, un match emblématique se déroule au Parc des Princes en avril 1917 qui oppose l’équipe de France militaire et l’équipe britannique composée essentiellement de joueurs néo-zélandais. Les Blacks l’emportent largement 40 à 0.
UN SPORT QUI SE DÉMOCRATISE
La période de guerre, avec la concentration de millions d’hommes dont il a fallu organiser les loisirs, a été un accélérateur de la diffusion du rugby. A l’arrière, les différentes équipes des clubs locaux se voient décapitées en 1914 par le départ en guerre de la quasi-totalité des joueurs. Les rencontres reprennent en 1915 et surtout lors du championnat de 1916-1917 autour des Espoirs âgés de 17 à 19 ans. L’Union française des sports amateurs (USFSA) a alors dû mettre en place un système de tranches d’âge pour suppléer à l’appel sous les drapeaux des (jeunes) hommes. Est créé dans ce cadre à Toulouse le 7 octobre 1916 l’hebdomadaire Rugby. Si la dimension « provinciale » est affichée contre le parisianisme dans un souci de « défense des intérêts provinciaux », il s’agit de promouvoir la pratique du rugby en donnant des informations sur les matchs, les joueurs : « Nous osons espérer que tous les sportmen qui tiennent à la vie de leur club, et tous ceux qui aiment leur petite patrie autant que la grande, sauront comprendre l’utilité actuelle de notre existence », écrit dans un éditorial l’international toulousain Clovis Bioussa. Il exhorte les « jeunes » à poursuivre les matchs alors que les « anciens sont à leur place au front ». Et de poursuivre sur ces derniers : « Ils sont maîtres de leur âme, de leurs nerfs et de leur volonté. De tels soldats peuvent-ils être battus ? »
Sans surprise, une place majeure est laissée aux « sportmen méridionaux » et aux équipes du Sud-Ouest : Moutauban, Bordeaux, Villeneuve-sur-Lot, Agen ou Mazamet sont à l’honneur. On apprend également l’organisation de rencontres, telle l’opposition entre l’Union sportive tarbaise et Artillerie sportive de Tarbes. Mais Rugby offre aussi des nouvelles d’autres disciplines sportives, notamment le football-association présenté comme le sport le plus populaire au monde. Une rubrique « Sur le front » ouvre les pages du magazine aux soldats mobilisés. Les rubriques nécrologie et « papotage » permettent également de suivre l’implication des rugbymen dans la guerre.
Ainsi, l’hebdomadaire témoigne de trois éléments-clés qui éclairent l’expérience du conflit : une certaine forme de reconnaissance attendue de la part des sportifs dans l’effort de guerre et qui montre combien l’école du sport produit des citoyens et des patriotes efficaces ; une volonté de poursuivre la démocratisation de la pratique sportive et du rugby, en particulier malgré et contre les effets de la guerre ; une revendication plus large de l’identité provinciale face aux instances politiques parisiennes dans le sillage de la lutte contre le centralisme jacobin.
« J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale»
Au front, la pratique de sports individuels et collectifs se développe avec la stabilisation du front et la nécessité de trouver des occupations aux soldats hors des temps de combat. Des matchs sont organisés à l’arrière des lignes entre les unités, sous l’impulsion des pratiques sportives de l’armée britannique et des sportsmen qui apportent ainsi à l’armée leur pratique du temps de paix. Des sportifs se retrouvent entre eux et des instituteurs et professeurs initiés dans le cadre de l’inscription du sport et de l’éducation physique dans l’instruction des élèves et lors de stages à l’Ecole de Joinville initient leurs camarades, à l’image de Paul Andrillon, joueur en 1914 dans l’équipe du Stade Français, qui écrit en février 1915 alors que la guerre s’est installée dans un temps long : « C’est un vrai délassement que de jouer au football de temps à autre, bien loin de fatiguer les poilus, ça redonne de l’énergie en faisant jouer les articulations qui ont plutôt besoin de ça ; et puis, c’est si bon de plaquer les copains (…) J’ai plusieurs copains de la campagne qui ignoraient tout de ce noble sport et sont en train de devenir fanatique du ballon ovale. » Le tonnelier et caporal socialiste Louis Barthas évoque la tenue de matchs sur un terrain improvisé à l’abri de « la Cuvette » dans le secteur d’Annequin dans le Pas-de-Calais en 1915 à quelques mètres des Allemands qui ne pouvaient ignorer cette pratique en voyant voler le ballon de rugby. Les photographies laissées par son capitaine, Léon Hudelle, originaire du même village audois de Peyriac-Minervois, montrent combien ces matchs ont laissé de bons souvenirs, et combien également la culture du rugby était affirmée dans l’esprit de corps de certains régiments méridionaux. Plus généralement, l’historien Paul Diestchy souligne « l’acculturation sportive » qu’a revêtue la Grande Guerre et le brassage de millions d’hommes, souvent issus des campagnes et peu touchés encore par l’essor des pratiques sportives collectives.
A l’issue de la guerre, un monument aux rugbymen tombés pour la France est élevé au stade de Colombes et plusieurs stades prennent le nom de rugbymen « morts pour la France », tels que le stade Alfred-Armandie d’Agen, joueur du Sporting Union agenais (SUA) tué en septembre 1915. Aimé Giral, un des joueurs phare de l’USAP mort à 20 ans le 22 juillet 1915 dans la Marne, donne son nom au stade de rugby de Perpignan. La stèle commémorative du stade Mayol, à Toulon, porte les noms de 28 joueurs. La Fédération française de rugby est créée en 1920 et se démarque de l’USFSA (Union des sociétés françaises de sports amateurs). Le nombre de licenciés augmente très sensiblement entre 1920 et 1924, les clubs passant en parallèle de 174 à 894. La Grande Guerre aura sur ce terrain contribué à accélérer le développement de la pratique du rugby en France, en en faisant un des sports collectifs les plus populaires et les plus appréciés.
Alexandre Lafon, historien, conseiller à la Mission du centenaire 14-18.