L’incroyable odyssée du club grec des Cretan Gunners RFC. En voyage en Crète, notre correspondant-photographe migrateur William « Wildon » Donnarel, casquette « RugbyAmateur » vissée sur la tête, croise des locaux visiblement intéressés par le ballon ovale. Ils s’avèrent être en effet trois membres de l’équipe crétoise de rugby. La discussion s’enclenche, et débouche sur un rendez-vous convivial pour évoquer le XV des Cretan Gunners RFC de La Canée. Attablés au Kalouma Café, au pied de la vieille forteresse vénitienne de Rethymnon, Dimitris Katsafrakis, 32 ans, 3ème ligne, ancien international grec à VII et à XV, Antonis Marakakis, 24 ans, également 3ème ligne, et Sofia Anagnostopoulou, 21 ans, ailière de la section féminine du club, les Lady Gunners.
Sous un magnifique soleil d’automne et dans la douceur de l’air, à quelques encablures de la mer, ils devaient parler du seul club de rugby à quinze de Crète évoluant en Grèce, de la mentalité grecque du rugby, de l’identité crétoise, du championnat national, des résultats. Finalement, la discussion va se transformer en révélations sur la situation ubuesque du rugby grec à XV en général et de ses conséquences… (Interview et photos par WilDon)
Kalimera, pedia ! [Bonjour, les Amis], pouvez-vous nous présenter votre club ?Antonis Marakakis : Kalimera ! Le Cretan Gunners RFC est le club de rugby de La Canée, fondé en 2015. C’est d’ailleurs le seul club de rugby à quinze de l’île de Crète. Nous avons une équipe masculine comprenant 45 joueurs et une équipe féminine avec 15 joueuses, dont Sofia [La jeune femme sourit]. La « communauté » des Gunners compte environ 200 personnes.
Rugby Amateur : Et dans quel championnat évoluez-vous ?
[Les trois regards se croisent, avec des sourires un peu crispés]
Antonis Marakakis : Aucun, en fait.
Dimitris Katsafrakis : Effectivement, nous ne jouons dans aucun championnat. Tout simplement parce qu’il n’y en a pas.
Rugby Amateur : Comment est-ce possible ?
Dimitris Katsafrakis : La Grèce n’a plus de championnat de rugby à quinze depuis l’éviction de la fédération grecque de rugby par World Rugby en 2015 pour avoir « détourné » 1,5 million d’euros. Tous les matches des équipes nationales de XIII et de XV ont été annulés ainsi que le championnat de rugby à XV de l’époque [Dimitris Katsafrakis évolue alors au Panathinaïkos d’Athènes, deux fois finaliste du championnat de Grèce, en 2014 et 2015, battu par les Springboks Attica]. Aujourd’hui, il existe deux fédérations grecques de rugby, une créée par le parti politique [de droite] Nea Demokratia et l’autre par le parti [d’extrême gauche] Syriza, ayant rattaché la « fédération » sous celle de la fédération de handball !
RugbyAmateur : de Handball ?
Dimitris Katsafrakis : Oui, oui, les deux « fédérations » ont demandé aux joueurs et aux clubs de prendre position mais tous ont refusé car nous sommes apolitiques. Tout est toujours bloqué, que ce soit avec World Rugby, qui ne reconnait aucune des deux fédérations, ou au niveau du championnat, qui est toujours suspendu.
Pas reconnu par World rugby…
Rugby Amateur : Mais vous avez pourtant deux équipes constituées, une masculine et une féminine ?
Antonis Marakakis : Oui, mais nous ne jouons pas de championnat. Nous faisons plusieurs entraînements par semaine, mais nous ne disputons aucun match. Et si nous jouons un match, l’une des deux fédérations envoie la police pour vérifier que nous sommes dans l’illégalité puisque nous ne sommes pas affiliés à aucune des deux.
Rugby Amateur : C’est hallucinant…
Dimitris Katsafrakis : Oui. Et il faut savoir qu’en 2019, nous avons demandé à être rattaché aux fédérations chypriote ou italienne pour disputer un championnat. Mais aucune des deux n’a donné suite pour des questions financières et d’assurance, là encore puisque nous n’avons pas d’organe national reconnu par World Rugby. Et puis le Covid est arrivé…
Rugby Amateur : Mais que faites-vous de votre temps ?
Dimitris Katsafrakis : Notre philosophie est « let’s act » [Agissons], à savoir ne rien attendre de personne par définition, que ce soit de la municipalité, de la région ou de l’état. Nous menons de grandes actions à caractère social et culturel, qui impliquent les membres du club et des bénévoles. Récemment, nous avons organisé une opération visant à nettoyer le port de La Canée. Nous avons rassemblé 45 nageurs bénévoles qui ont enlevé plusieurs tonnes de détritus. Nous avons créé une structure appelée « Youth of Dope » et qui est en charge de l’organisation d’événements musicaux et d’actions culturelles.
Où est-ce que vous vous retrouvez ?
Le club possède un club-house où nous organisons une soirée tous les samedis, pour les joueurs, les conjoint(e)s, les amis mais aussi les sympathisants et tous ceux qui veulent nous rejoindre. Tout récemment, nous avons ouvert une maison de 350 m² et qui comprend deux chambrées de 25 lits pour accueillir des équipes de rugby, des orchestres, des groupes, etc… Dans l’avenir, nous voulons ouvrir un camping près de La Canée.
Une victoire plus que symbolique…
Rugby Amateur : Rassurez-nous, vous restez bien une équipe de rugby ?
[Antonis, Dimitris et Sophia éclatent de rire] : Oui, plus que jamais !
Dimitris Katsafrakis : Toutes ces actions nous permettent de financer les licences de tous nos joueurs et joueuses. Et aujourd’hui, notre organisation d’événements fait partie du top 5 au niveau national. Du coup, l’attention est plus forte sur les Cretan Gunners. Cela nous permet de pouvoir mieux parler du rugby et de nos actions sociales notamment.
Rugby Amateur : C’est-à-dire ?
Dimitris Katsafrakis : Comme nous jouons en noir, tout le monde pensait que nous étions des « bad boys » ou des « hooligans ». Mais avec nos actions, nous avons montré que ce n’était pas notre mentalité et que le noir est juste esthétique. Nous aidons aussi pour lutter contre la violence dans la rue. Certains ont compris, par l’action des Gunners, d’abandonner le hooliganisme, la violence, l’anarchie, etc… On leur fait comprendre qu’en rejetant la violence, ils deviennent alors fier d’être une équipe plutôt qu’un membre de l’équipe.
Rugby Amateur : Et au niveau du rugby ?
Dimitris Katsafrakis [avec un sourire] : Dans le cadre de notre organisation d’événements, nous avons créé le « Cretan Gunners Festival » qui un festival de musique mais pluridisciplinaire aussi et qui a eu lieu, cette année, du 2 au 10 juillet dernier. Nous avions également programmé un match amical de rugby face aux allemands du club de Sankt-Pauli Hambourg. Nous avons gagné 23 à 10. C’était la seconde fois que nous jouions contre Hambourg. L’an dernier, nous avions été jouer en Allemagne et nous avions gagné la rencontre. Il faut quand même rappeler que Sankt-Pauli Hambourg joue en Bundesliga 1 de rugby…
Rugby Amateur : Quels sont vos projets en matière de rugby alors ?
Dimitris Katsafrakis : Tout d’abord nous voulons créer notre propre terrain de rugby, pour ne dépendre de personne. Ensuite, World Rugby organise des stages d’arbitrage et de coaching. Nous allons y envoyer des personnes du club pour y être formées et nous tenir prêt à jouer si, un jour, la fédération revient en grâce. Nous pensons aussi organiser une fédération crétoise de rugby avec la possibilité de créer une seconde équipe sur l’île, à Akrotiri [près de La Canée].
Rugby Amateur : Et pour l’équipe féminine ?
Sophia Anagnostopoulou : Notre équipe a joué contre d’autres équipes grecques, telle que Zakynthos, le Panathinaïkos d’Athènes, les Springboks Attica ou encore les Centaures d’Athènes. Et le 14 novembre, nous allons disputer le tournoi de rugby à VII d’Athènes. (*)
Rugby Amateur : Quand on prend conscience de toutes vos difficultés, insoupçonnables en France, qu’est-ce qui vous fait encore jouer au rugby ?
Dimitris Katsafrakis : Le rugby n’est pas très connu en Grèce. Mais nous aimons ses valeurs. Nous voulons une résistance sans violence par rapport à notre quotidien de rugbymen et rugbywomen. Par nos initiatives sportives, culturelles et sociales, nous voulons inspirer les autres villes et les autres clubs pour faire du rugby un lien vers une action sociale unifiée. Mais nous voulons aussi que notre club conserve son esprit crétois et son identité insulaire au travers du respect du jeu, de notre adversaire et de notre hospitalité.
Rugby Amateur : comment voyez-vous la suite ?
Antonis Marakakis : Difficilement tant que deux fédérations existeront. Et plus encore quand vous savez qu’aucun des membres actuels de ces fédérations n’a jamais joué au rugby ! A travers le « Cretan Gunners Festival », nous souhaitons développer le match amical en un tournoi amical de rugby qui aurait lieu pendant le festival. On imagine un tournoi avec quatre voire six équipes. Hormis notre équipe, bien sûr, on pourrait voir revenir les Allemands de Hambourg ou les Belges d’Anvers.
Rugby Amateur : Et une équipe française ?
Dimitris Katsafrakis (dans un grand sourire) : Et pourquoi pas ? Ce serait avec un grand plaisir !
Sur un petit signe d’Antonis Marakakis, les trois joueurs prennent la route de retour vers La Canée, l’entraînement du jour étant programmé vers 20h30. Après de chaleureux aurevoirs et deux photos souvenirs, Antonis, Sophia et Dimitris sont repartis vers leur quotidien de joueurs, sans championnat, fait d’entraînements sans dimanche, mais avec la volonté farouche de maîtriser totalement leur destin de club de rugby…
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(*) L’interview s’est déroulée le 26 octobre 2022.
