En 2018, alors qu’il fêtait son centenaire, Camille Bonnet déclarait : «Le SUA est resté mon club de cœur, c’est avec lui que j’ai connu mes meilleures années, […] Ma carrière, c’est Agen !» Avec la disparition, hier, du doyen des joueurs de rugby, du haut de ses 102 ans, c’est tout une époque du rugby français qui vient de se tourner, définitivement. Ce sont aussi les plus grandes heures de gloire du rugby agenais qui se sont éteintes ce week-end…
Pour Camille Bonnet, l’aventure du rugby commence du côté de Nogaro, dans le Gers, où il naît le 31 août 1918. C’est là qu’il est repéré par un dirigeant du SU Agen qu’il rejoint en même temps qu’il intègre l’Ecole normale agenaise lors de la rentrée de 1936. Il y deviendra professeur des écoles. En même temps, il s’impose immédiatement dans l’équipe lot-et-garonnaise : à dix-huit seulement, il est déjà titulaire au poste de demi d’ouverture, avant de s’installer au centre. En 1939, le SUA de Camille Bonnet atteint les demi-finales du championnat de France (défaite 14-6 contre Perpignan).
Aux heures sombres de la guerre et de l’Occupation, une autre guerre fait : entre le rugby à XIII et à XV. Camille Bonnet se voit alors proposer de jouer pour Albi XIII tout en intégrant l’Ecole Normale de Toulouse. Bonnet refuse et reste au SUA. Bien lui en prend : en 1943, Agen atteint la finale du championnat de France de rugby dans une France divisée en deux parties. Si le SUA remporte le titre de champion de France de zone sud, il perd la finale interzone devant Bayonne (défaite 3-0), les Basques étant curieusement rattachés à la zone nord, celle occupée par les Allemands et incluant toute la façade atlantique. Le Gersois en conservera toute sa vie un souvenir amusé et amer à la fois : « C’est le seul match perdu de la saison, sur les 32 disputés en Coupe de France et en championnat. On était les stakhanovistes du rugby. »
Lors de la saison 1944-1945, Camille Bonnet signe ses plus belles performances, en décrochant le doublé Championnat – Coupe de France. C’est d’abord la victoire en Coupe de France contre Montferrand (14-13) puis la finale de championnat de France remportée contre Lourdes (7-3).
Alors que les deux adversaires sont à égalité au score (un essai partout), c’est le drop de Camille Bonnet qui offre le titre au SU Agen. « Ce n’était pas le plus beau », dit-il lors du dîner des légendes d’Armandie, en 2018, « mais il valait tout de même quatre points. » Et Charles Calbet d’écrire de son côté : « Le meilleur des trente fut incontestablement l’arrière Bonnet. Autant par son adresse que par ses longs et judicieux coups de pied en touche que par son drop victorieux. » En 2018, il se rappelait encore : « Cette année-là j’ai réussi un drop pour toutes les rencontres éliminatoires, seizièmes, huitièmes, quart, demi et finale ; il faut dire que j’avais des loisirs car j’avais été remobilisé et j’étais adjoint au chef de gare de Libourne !»
En 1947, le SUA de « Monsieur Drop » atteint à nouveau la finale du championnat de France après avoir successivement éliminé Vichy, Castres et le Paris UC. Bien que titulaire, le trois-quarts centre agenais ne marquera pas en finale, et le SUA perdra contre Toulouse (10-3). Ce sera la dernière année de Camille Bonnet dans son club de cœur, miné par des conflits internes. En 1948, il quitte donc Agen pour rejoindre Graulhet. Il en devient rapidement un des acteurs majeurs de la progression fulgurante du club tarnais, puisqu’il y est sacré champion de France de 3e division en 1948, puis de 2e division l’année suivante : Graulhet entre alors dans l’élite du rugby français.
Devenu entraîneur du SCG, Camille Bonnet atteindra la demi-finale du championnat de France en 1957, après avoir successivement éliminé Aurillac (16-0), Vienne (12-3) et Perpignan (14-3). Au coup de sifflet final de la demi-finale contre le Racing Club de France, les deux équipes sont à égalité 6-6. Comme il n’y a pas de prolongations prévues, le RCF est déclaré vainqueur par… la moyenne d’âge ! Souvenir dont Camille Bonnet se souvenait très bien en 2018 : «Un seconde ligne de Graulhet faisait son service militaire à Paris et jouait au Racing. Alors pour le remplacer j’avais recruté un facteur de Toulouse qui avait 38 ans ! Finalement c’est lui qui nous fait perdre !»
En 1964, Camille Bonnet quitte Graulhet pour aller entraîner Valence Sportif où il officie quelques temps, tout en étant professeur d’éducation physique au collège de Chabreuil (1962-1966). Avant de prendre une retraite bien méritée dans la Drôme, où il est décédé samedi, emporté par le Covid-19.
Sa dernière sortie publique avait été le 2 février dernier, lors du match du Tournoi des Six Nations France-Angleterre, temps fort où il donne le coup d’envoi fictif de la rencontre. Clin d’œil ironique de l’Histoire puisqu’en 1938, alors qu’il tutoie alors la sélection nationale, les Britanniques refusent toujours que la France dispute le tournoi. Camille Bonnet est alors sélectionné dans l’équipe de Guyenne-Gascogne en compagnie de Charles Calbet et Jo Baladié, coéquipiers du SUA, mais ne portera jamais le maillot bleu. Une injustice que ce coup d’envoi a, en partie, réparé. Ce rappel de son parcours, aussi.
Ses obsèques auront lieu, dans la stricte intimité, jeudi 26 novembre au crématorium de Beaumont-lès-Valence, dans la Drôme.