Téo Chéa (arbitre du match Gimont-Tournefeuille victime de racisme) : « Je n’avais jamais vécu un tel déferlement d’insultes »
La diffusion de notre article ce lundi concernant le 16ème de finale retour de fédérale 3 entre Gimont et Tournefeuille, a suscité bon nombre de réactions. Si les acteurs de la rencontre ne sont nullement concernés, ce sont les supporters qui sont mis en cause ouvertement, pour des insultes racistes répétées à l’encontre de l’arbitre de touche, Téo Chéa. Ce dernier s’exprime courageusement et avec beaucoup d’à propos sur RugbyAmateur. Nous avons aussi sollicité Adrien Rowling, co-entraîneur de Gimont, et Didier Rouaix, représentant fédéral de la rencontre, pour avoir une vue d’ensemble et concrète de la montée en puissance de la violence et du racisme dans le rugby. A l’image de la société actuelle… (photos Alain Montségur – RugbyAmateur.fr)
Téo Chéa, arbitre
Téo Chéa, comment s’est déroulée la première mi-temps ?
Il y avait de l’ambiance, mais c’est normal, on connait ça, c’était un match important pour les deux équipes, Le président de Tournefeuille est venu nous voir avant la rencontre, dans le vestiaire, pour nous signaler que ses joueurs se faisaient insulter et recevaient des jets de fumigènes ou de tirs d’artifices durant leur échauffement. Nous n’avons pas pu le constater, car nous étions à l’intérieur à ce moment-là, mais on a bien compris que certains supporters étaient… comment dire… dans un état second, très alcoolisés. Je n’ai pas entendu d’insultes racistes en première mi temps, côté tribune principale. Mais en seconde période, là, dès que j’ai rejoint l’autre côté, ça a commencé immédiatement. Et sans discontinuer.
Qu’avez-vous entendu précisément ?
« Sale chinois », « Ouvre les yeux Chintok », « Espèce d’indou », « On n’est pas à Shangaï ici » et j’en passe. On apprend à faire abstraction, notre concentration sur le match nous pousse à filtrer, à ne pas entendre. Mais là, c’était vraiment trop, j’ai entendu de tout. Les insultes fusaient tout le temps. Je n’avais jamais vécu un tel déferlement.
Vous avez pu identifier les personnes qui vous insultaient ?
J’avais le dos tourné à la tribune opposée, c’est difficile, voire impossible, d’affirmer si c’est telle ou telle personne. Il y a de fortes chances que les insultes provenaient des deux camps, car en fonction des décisions prises, je me faisais insulter à chaque fois de toute façon.
C’est pour cette raison que vous interpelez l’arbitre central ?
J’avais « flagué » deux fois Romain pour des mauvais gestes déjà, mais à la 58ème minute, je l’ai appelé pour lui faire part des insultes oui. Il y en avait trop pour ne pas le signaler, même si une seule, c’est une de trop bien sûr.. Il a arrêté la partie, a convoqué le représentant fédéral, les capitaines, les entraîneurs et les présidents. Ils étaient sincèrement désolés pour moi, je l’ai bien vu. Les présidents sont intervenus, il y a eu un message micro par le speaker du match aussi. Tout est rentré dans l’ordre ensuite, il n’y a plus eu d’insultes
De mémoire, jamais un match de rugby n’avait été arrêté pour des insultes racistes.
Je l’avais fait lors d’un match réserves à Bazas l’an passé, où j’officiais au centre contre un supporter, bien identifié là, qui était particulièrement alcoolisé, et qui traitait tout le monde. Mais là, pour des équipes Une, et en phases finales, c’est la première fois oui.
Quel est votre sentiment trois jours après les faits ?
J’ai 23 ans, et 7 ans d’arbitrage derrière moi, le rugby pour moi, c’est une passion mais aussi un bon moyen de changer d’air. Je suis étudiant, et en pleine rédaction de mon mémoire, donc quand arrive le dimanche, je veux passer un bon moment, me vider la tête. Je parle de ces insultes aujourd’hui, pas forcément pour moi, car je sais passer au-dessus, mais pour les jeunes et futurs arbitres. Je parle aujourd’hui pour faire bouger les choses.
« Je n’oublie pas, mais je passe à autre chose. Des cons, il y en a partout… »
Quand on vous écoute, on ne sait pas vraiment dire si vous êtes dépité, résigné ou détaché de ces « évènements » ?
Quand j’arbitre, je suis concentré sur mon match, ce sont des moments importants pour les équipes, il faut être très attentif aux actions, pas sur ce qu’il se passe derrière ou en tribunes. Ceci étant dit, on reste des hommes, on ne peut pas s’habituer à certains mots, à certaines insultes. Et il ne faut surtout pas s’y habituer. Ca nous touche forcément, même s’il ne faut pas le faire voir. Il y a eu un rapport de fait, les insultes racistes sont notifiées, il y a une procédure mise en place sur l’instant et après, c’est à la Commission de discipline d’intervenir.
Je n’oublie pas, mais je passe à autre chose. Des cons, il y en a partout. Là, les personnes en question étaient en plus très éméchées, et voulaient en découdre, c’était évident. Ils défient l’autorité, et l’autorité pendant un match, ce sont les arbitres. Ce match restera une expérience de vie, une de plus.
Et si vous deviez être désigné pour arbitrer Gimont à nouveau ?
Je le ferai sans aucun problèmes. Les joueurs, le staff et les dirigeants n’ont rien à voir avec leurs pseudos supporters. J’en profite pour saluer la performance des deux équipes, qui ont offert un match intense et spectaculaire. Et je remercie aussi les dirigeants des deux clubs qui ont oeuvré de concert pour calmer leurs supporters.
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Adrien Rowling (co-entraîneur de Gimont)
Adrien Rowling, que vous inspirent ces insultes racistes entendues autour du terrain dimanche dernier ?
« Tout d’abord, je tiens à exprimer tout mon soutien à l’arbitre, et lui redire combien nous sommes désolés des propos qui ont été proférés, tant par certains de nos supporters, que ceux de Tournefeuille. Car il faut que chacun assume ses responsabilités. Je suis triste et déçu aussi pour nos joueurs aussi, qui s’investissent toute une saison pour vivre ces matchs, atteindre des objectifs et à qui on enlève le plaisir de profiter de ces moments.
C’est-à-dire ?
Au final, on parle du comportement de certains individus, plus que de la performance sportive, ce que je comprends, mais ca me désole, car tout le monde s’accorde à dire que tous les acteurs du match ont livré un beau match, sans mauvais geste, hormis cette bagarre générale à la fin.
Le comportement de ces « ultras » est pointé du doigt depuis longtemps, ce n’est pas la première fois qu’ils se signalent ainsi comme en 2017 (voir article) et 2020…
Croyez-bien que nous en avons conscience, des mesures doivent être prises, car ça donne encore une mauvaise image de Gimont. Nous sommes ok pour qu’il y ait de l’ambiance, ce sont des phases finales, c’est normal, et tous les joueurs, des deux camps, disaient combien c’était impressionnant. Mais évidemment que nous sommes absolument contre les insultes, sous toutes leurs formes. Dimanche, des limites ont été franchies, c’était la fois de trop, je le répète, on va devoir intervenir. Tout en espérant que ce soit le cas chez nos adversaires aussi.
Didier Rouaix (Représentant fédéral du match)
Didier Rouaix, vous étiez en première ligne pour voir ce match, qu’avez-vous vu et surtout, entendu ?
Avant de commencer, merci de me solliciter, c’est assez rare que l’on demande l’avis d’un représentant fédéral. J’étais du côté de la grande tribune. En première période, j’ai entendu une insulte raciste à l’encontre de l’arbitre de touche. J’ai immédiatement prévenu la personne en question, qui était de Tournefeuille, je le précise. Il a été sermonné comme il se doit par des gens de son club, ce que j’ai apprécié, et s’est arrêté immédiatement. En deuxième mi-temps, ce même arbitre de touche, qui avait changé de côté, a signalé à l’arbitre central les insultes dont il était la cible.Le match a été interrompu justement à cause des ces insultes racistes…
Oui, le match s’est arrêté peu avant l’heure de jeu. On a réuni les principaux concernés au centre du terrain, notifié les insultes racistes, et fait passer une annonce micro par le speaker, en indiquant que le match s’arrêterait à la prochaine insulte.
Avec effet immédiat a priori…
Oui, tout est rentré dans l’ordre, mais évidemment que tout est notifié dans le rapport : les insultes, la bagarre, les cartons et aussi la qualité du trio arbitral.
Vous êtes un « RF » expérimenté, vous aviez déjà assisté à une interruption de match à cause d’insultes racistes ?
Non, jamais. Et pourtant, comme vous le dites, j’ai plusieurs décennies de rugby derrière moi, comme joueur et comme délégué. Certaines limites sont fréquemment franchies, à tous les niveaux.
Quid des fumigènes ?
Les fumigènes ? On sait très bien qu’il y a de l’ambiance pendant les phases finales, c’est ce qui en fait son charme, il y en a souvent un ou deux qui s’allument, mais il faut rappeler à toutes fins utiles, que les fumigènes sont interdits. Personnellement, dimanche, je n’avais jamais vu un tel embrasement, c’était assez impressionnant. Il a fallu du temps pour que la fumée se dissipe. Mais on ne peut pas contrôler chaque personne qui rentre dans un stade, les clubs savent qu’ils s’exposent à des sanctions bien évidemment, donc il faut assumer.
Et pour les insultes racistes, que va-t-il se passer ?
Quand aux insultes racistes, que je déplore naturellement, je peux vous assurer que cette histoire est suivie de près à la FFR. La Commission de Discipline va faire son travail.