Arbitre depuis 1998, Eric Doria a rapidement intégré des fonctions hors du rectangle vert également : de la Commission Régionale des Arbitres du Languedoc à Délégué Territorial des Arbitres en 2012, jusqu’à sa nomination en 2018 à la tête de l’arbitrage en Ligue Occitanie, ce passionné veut faire bouger les lignes. Après avoir créé la première école de l’arbitrage à Narbonne, l’Audois avait étendu cette initiative à Montpellier, Carcassonne, ou encore Jacou. Depuis un an, Eric Doria a pris la mesure de sa fonction centrale, en s’appuyant sur les Comités départementaux, en nommant un directeur départemental de l’arbitrage, ainsi qu’un responsable de la formation par département. Le tout, sous la responsabilité des formateurs de Ligue. Histoire de parler le même langage, d’avoir un fonctionnement et des objectifs communs, mais aussi, de relever un défi de taille : changer les mentalités avec et face à ceux qu’il préfère appeler, les directeurs de jeu. Entretien sans filtre, et sans carton… (par Jonah Lomu)
Eric Doria, quand vous êtes arrivés au poste de Directeur de l’Arbitrage d’Occitanie, quels étaient vos premiers objectifs ?
Tout d’abord pendre contact avec les 13 départements qui constituaient la nouvelle Ligue. Je souhaitais que l’on se donne les moyens de se rapprocher des clubs quatre anciens comité (Midi-Pyrénées, Armagnac Bigorre, Languedoc et Pays Catalan). Il me semblait nécessaire de rassembler et mutualiser les ressources en arbitrage, uniformiser les procédures pour l’ensemble de la Ligue. Nous avons donc mis en place un directeur départemental de l’arbitrage ainsi qu’un responsable de la formation par département, sous la responsabilité des formateurs de Ligue. Ensuite, j’ai demandé un état des lieux des effectifs pour axer nos actions sur le recrutement de futurs officiels de match.
Un an après, de l’arbitre en formation jusqu’à l’arbitre fédéral, combien y-a-t-il d’arbitres « actifs » dans la région à ce jour ?
Sur les 3000 que nous comptons en France, il y en a 645 dans la région Occitanie. Nous espérons parvenir à 750, voire 800 prochainement, de par la démultiplication des compétitions et des matchs chez les féminines, les jeunes et les séniors.
Vous aviez déclaré que « l’arbitre au coeur de son club, est le meilleur recruteur dans son club ». Est-ce vraiment le cas aujourd’hui ?
C’est en bonne voie oui. Tous les arbitres ont une affiliation administrative au départ, d’être rattaché à un club, pour répondre aux obligations fédérales, et à la charte de l’arbitrage. Mais ce qui me semble important, c’est d’avoir un arbitre dans chaque club capable de parler avec les joueurs, les entraîneurs, de l’école de rugby à l’équipe fanion, présenter les nouvelles directives, répondre à toutes les questions, et elles étaient nombreuses en ce début de saison avec le changement de règle relatif aux plaquages. Autant d’actions qui doivent mener à des possibilités de recrutement en interne.
Romain Poîte et Pierre Brousset étaient présents à Rieumes vendredi dernier lors du réunion d’arbitres. C’est une volonté affichée que de faire du lobbying avec les arbitres internationaux et/ou de top 14 ?
Complètement ! On a la chance en Occitanie d’avoir des arbitres qui nous représentent au plus haut niveau : Romain Poite, Alexandre Ruiz, et Mathieu Raynal, tous présents au Japon, sans oublier nos grands espoirs comme Pierre Brousset que vous citiez. Ces arbitres se prêtent vraiment bien volontiers au jeu, en participant à des réunions avec grand plaisir. J’ai vu des étoiles dans les yeux de jeunes de 15 ans qui écoutaient Romain Poite leur dispenser des conseils juste avant de partir pour le Japon. Il est évident que c’est un vecteur de recrutement. D’autant plus avec les excellents résultats de nos arbitres français lors de ce mondial.
« Un plan de carrière est possible, mais pas avant d’avoir fait ses preuves, et pas avant un certain âge… »
Vous évoquiez la charte de l’arbitrage, pouvez-vous la détailler ?
La charte de l’arbitrage consiste à donner de points de bonification aux clubs qui respecteront les obligations fédérales, c’est à dire le respect du nombre d’arbitres dans leur association. Il ne s’agit donc plus de sanctionner, de parler de rétrogradation sportive comme c’était le cas l’an dernier, mais bien de récompenser. Je suis heureux de cette connotation positive. La comptabilité de ces points de bonus sera tenue de manière à ce que la commission des Épreuves puisse officialiser les classements de chaque club à la fin de la fin de la phase qualificative bien sûr.
Où en est la formation des jeunes arbitres justement ?
On travaille avec la cellule de la Direction Nationale de l’Arbitrage pilotée par Franck Maciello (qui a succédé à Joël Dumé en juillet dernier, parti exercer des fonctions à Rugby Europe), et plus particulièrement par Salem Attalah en charge du rugby amateur fédéral. L’objectif est d’avoir un plan de formation adapté aux jeunes joueurs-arbitres, car ils ont autant besoin de jouer que d’arbitrer. L’apprentissage de la règle doit les rendre plus performants sur le terrain. C’est pourquoi, nous avons des modules adaptés pour permettre à chacun de franchir les paliers progressivement. Jusqu’à ce qu’un jour, ce jeune joueur-arbitre opte pour l’un ou l’autre. Mais il faut que ce soit naturel, qu’il y ait une conviction forte. Et que ce ne soit pas les parents qui poussent leur enfant à devenir arbitre parce qu’il y a des des possibilités de devenir professionnel, comme j’ai pu l’entendre parfois. Un plan de carrière est possible, mais pas avant d’avoir fait ses preuves, et pas avant un certain âge.
Y a-t-il des joueurs plus âgés qui viennent à l’arbitrage ?
Absolument, et j’en suis là aussi ravi, car il faut faire attention au jeunisme. Un joueur de 35 ans qui se blesse plus souvent mais qui veut rester en contact avec le rugby peut choisir la voie de l’arbitrage. Son expérience sera un atout non négligeable.
Quel bilan tirez-vous des nouvelles règles, notamment celles sur le plaquage notamment, qui ont valu bon nombre de matchs hachés, et pas mal d’incompréhensions entre les différents acteurs que sont les arbitres, les joueurs et les entraîneurs ?
Vous savez, quand on a appris pendant de nombreuses années à des joueurs qu’il fallait plaquer au sternum, et que du jour au lendemain, on vous dit que ce n’est plus possible, ce n’est pas simple. Surtout pour des « anciens » de 35 ans (sourire). C’est une directive expérimentale, donc on la teste, un bilan sera fait en janvier prochain avec les clubs de fédérale 2 et 3, puis avec les clubs de séries. Cette modification de règle a été voulue par les instances internationales, qui évidemment, a tenu compte des drames survenus dans notre pays, avec quatre décès. Certes, il s’agissait du haut niveau, mais on se rend compte que le nombre de commotions cérébrales augmente à tous les niveaux du rugby amateur. le législateur a donc voulu privilégier la santé des acteurs, et de fait, rendre plus attractive la pratique de notre discipline en abaissant cette ligne de plaquage. Tout est loin d’être parfait, mais j’ai quand même l’impression que les attitudes évoluent dans le bon sens d’un dimanche à l’autre. Il est vrai que les coachs et techniciens du jeu ne comprennent pas toujours les décisions d’un arbitre, plus pointilleux qu’un autre sur tel ou tel point, et je les comprend moi-même. C’était déjà le cas avant pour d’autres règles. On est conscient qu’il est nécessaire d’apporter des ajustements. Il en va de la sécurité et de la santé des joueurs, donc je suis convaincu que cette règle va s’exporter à toutes les catégories.
» Les arbitres peuvent faire des erreurs, mais il faut arriver à être constructif plutôt que d’être dans la critique permanente… »
Donc pour vous, tout va rentrer dans l’ordre rapidement…
Je rappellerai juste aux collègues et à l’ensemble des formateurs, qu’il y a une dizaine d’années, quand il y a eu des changements au niveau des mêlées, avec des commandements nouveaux, des règles nouvelles, des passeports nouveaux, tout n’a pas été parfait du jour au lendemain, il a fallu une saison complète pour que chacun trouve ses marques. C’est pourquoi oui, je suis confiant pour cette règle du plaquage abaissée, qui va dans le bon sens selon moi. La nouvelle génération va se l’approprier rapidement je pense. Et puis, je profite de cette occasion pour souligner que sur les 12 000 matchs que nous gérons, il y a eu l’an dernier 600 cas de protocoles commotions, dont seulement 20% se sont avérés réels, mais sans conséquence. Il est important de le préciser je pense.
L’arbitrage féminin se développe-t-il dans le bons sens lui aussi ?
C’est un objectif clairement affiché par la Direction Nationale de l’arbitrage dans toutes les Ligues. Pour ce qui est de la Ligue Occitanie, une des plus fortes de France, nous avons le devoir de montrer l’exemple. Nous avons une quarantaine d’arbitres féminines, un groupe de 25 qui prétend sérieusement à franchir les paliers. J’ai confié la responsabilité de ce développement à Christine Anizet, qui a été notre plus haute représentante de l’arbitrage féminin en France, puisqu’elle a officié en Pro D2. Elle a des fonctions importantes au niveau du coaching et de la supervision des matchs au niveau de la fédération, et c’est avec elle que nous comptons bien faire grandir les filles de notre ligue vers des niveaux supérieurs.
L’arbitre que vous étiez en 1998 constate-t-il des changements au niveau du comportement des joueurs ?
Oui, forcément. Nous incitons nos arbitres à être ouvert au dialogue et à la communication. C’était plus facile il y a vingt ans, car il y avait une distance entre les joueurs, les coachs et les officiels de matchs, qui n’existe plus vraiment aujourd’hui. On sait que le match parfait n’existe pas, dans un camp comme dans l’autre. Les arbitres peuvent faire des erreurs, mais il faut arriver à être constructif plutôt que d’être dans la critique permanente. Tout le monde y trouvera son compte au final.
tout à fait d’accord qu’un arbitre ne peut pas tout voir , le rugby est très complexe à arbitrer. en tant que responsable de la sécurité d’un club du niveau honneur je pense qu’on devrai justement redonner plus de pouvoir aux délégués qui sont présents sur le bord des stades pour palier aux agréssions dont peuvent ètre victimes les joueurs dans le dos de l’arbitre .