Albéric Lascou (coach en régionale 3) : « Contraint d’arbitrer, et je n’en garderai pas un bon souvenir »- L’histoire du match sans arbitre officiel, diffusé hier dans nos colonnes (voir article : « Un président très en colère appuie sur la sonnette d’alarme ») entre l’Association Sportive Penne Saint-Sylvestre et l’Union Sportive Lanquais Varennes, a fait réagir. Pour cette première rencontre de Régionale 3 de la Ligue Nouvelle-Aquitaine, Albéric Lascou, entraîneur des avants du club lot-et-garonnais, et ancien arbitre de fédérale 2, a pris le sifflet. Mais ne gardera pas un bon souvenir de cette expérience…
Albéric Lascou, vous avez donc dû arbitrer la rencontre de votre équipe dimanche…
A.L. : « Oui, nous avons appris sur le tard que l’arbitre officiel, prévu pour notre match, ne viendrait pas. Nous avons donc procédé à un tirage au sort. Si j’avais pu m’en passer, je l’aurais fait volontiers. Malheureusement pour moi, j’étais le seul disponible et j’avais de l’expérience. Donc j’ai dû y aller. »
Votre président nous a confié que vous avez été insulté par le banc de Lanquais…
« Oui c’est vrai, mais rien de très grave. Je peux comprendre les adversaires : c’est le premier match du championnat, ils jouent à l’extérieur et en plus l’arbitre est un entraîneur adverse. Ils ont du se sentir lésés. Sur le fond, ils disent ne pas voir les mêmes fautes que moi. C’est du grand classique. Ils ont sûrement cru que je cherchais à nous avantager, mais je tiens à vous assurer que c’est faux. Lorsque j’étais arbitre, j’ai toujours été droit et ça ne risque pas de changer. J’ai même dirigé plusieurs fois des matchs importants de mon propre frère, sans jamais modifier mes décisions pour autant. »
Pas de conséquences sur la suite de votre saison donc ?
« Non, pas réellement. Mais ma motivation en a quand même pris un sacré coup. J’ai rendu service, mais je n’en garderai pas un bon souvenir. Ça m’ennuie vraiment de passer des dimanches comme celui-là. Surtout que j’ai été mis en porte-à-faux avec mes joueurs. Je n’avais pas mes cartons, donc j’ai dû les engueuler pour qu’ils ne se mêlent pas aux conflits. »
« Plus on descend en catégorie et plus c’est difficile »
Plus largement, pensez-vous qu’il y a un problème de respect envers les arbitres dans le rugby amateur ?
« Je pense oui. Le souci, c’est qu’on ne peut pas forcément mettre de sanctions aux supporters. Lorsqu’il s’agit des entraîneurs, on peut sortir des cartons et exclure. Pour le public en revanche, c’est aux présidents de clubs de gérer. Mais les pauvres sont déjà débordés et ne peuvent pas faire grand chose. »
Arbitrer ce match ne vous a pas trop dépaysé, car vous étiez arbitre durant de nombreuses années. Vous avez même été 4ème arbitre en Top 14, à Agen. Pourquoi avoir changé de casquette pour devenir entraîneur ?
« J’ai été déçu de certaines personnes et notamment de la Ligue. J’ai appris que des présidents peuvent se permettre de choisir leur arbitre ou, en tout cas, ont un poids important dans la décision. J’ai donc logiquement été dégouté et maintenant, je veux me concentrer sur le coaching. »
L’arbitrage est différent selon les niveaux ?
« Oui clairement. Plus on descend en catégorie et plus c’est difficile. Premièrement, les joueurs de Régionale 3 connaissent forcément moins les règles que ceux de Fédérale 1, et discutent donc plus les décisions. Deuxièmement, la rémunération entre en jeu. Quand un joueur touche une prime de match, il prend vite ses précautions pour ne pas être exclu, ni suspendu. C’est logique. C’est un ensemble »
« 70€ pour vous faire insulter pendant 80 minutes, vous préférez logiquement rester au chaud, chez vous… »
Revenons à la Régionale 3, votre président nous confiait que certains clubs de ce niveau ont des difficultés à remplir leur quota d’arbitres chaque saison…
« (Il coupe) Effectivement. Il faut savoir que chaque club doit fournir un arbitre pour au moins 8 matchs. Sinon, l’équipe n’a pas droit aux deux points de bonus sur le classement en fin de saison. Par exemple, il y a quelques saisons, le club des 4 Cantons a manqué de peu la qualification, à cause de ça. C’est donc un réel enjeu.
C’est plus difficile en Régionale qu’en fédérale de trouver un arbitre ?
La concurrence entre les clubs est déloyale en tout cas. Les plus huppés peuvent se permettre de payer leurs arbitres, en plus des rémunérations de match. Par exemple, ils les incluent d’une manière ou d’une autre dans le staff. Donc forcément, pour les petits clubs comme nous, ça devient difficile de remplir les quotas. Déjà que peu de jeunes se tournent vers l’arbitrage… »
Justement, avec votre regard d’ancien arbitre, pourquoi les jeunes ne semblent plus motivés à prendre le sifflet ?
« Il y a une politique de réduction des défraiements déjà. Pour diminuer les coûts de transport, on fait jouer les arbitres proche de chez eux. Par conséquent, ils sont toujours dans les mêmes clubs et ne découvrent plus de nouveaux coins, ni de nouvelles personnes. Pire, ils croisent les joueurs durant la semaine. Vous imaginez bien la pression que ça représente. Ensuite, on manque d’accompagnement pour ces jeunes. Rendez-vous bien compte, il n’y a pas de délégué fédéral sur les matchs de Régionale 3, qui est la catégorie la plus dure à arbitrer. Un novice peut donc se retrouver seul face à 30 joueurs. C’était encore le cas d’un petit jeune il y a 15 jours, lors du Challenge de 3 Tours. Même pas un officiel pour le soutenir. l’arbitrage dans le rugby amateur est à repenser ! »
C’est-à-dire ?
Albéric Lascou : « Pour revenir à ce que je disais, il faudrait commencer par les faire jouer plus loin de chez eux, et mieux les accompagner dans leur début de carrière. Ensuite, il ne faut pas oublier l’aspect financier. Quand vous êtes payé 70 euros pour vous faire insulter pendant 80 minutes, vous préférez logiquement rester au chaud, chez vous. Alors bien sûr, les jeunes font ça par plaisir, mais il faut bien qu’ils soient justement récompensés. D’ailleurs, lorsque vous êtes rémunéré, vous êtes plus assidu. Certains veulent limiter la rémunération, afin que l’arbitrage reste uniquement un loisir. Mais, comme vous l’aurez compris, je ne suis absolument pas d’accord. Si vous ne voulez pas de cet argent, rien ne vous empêche de le donner à des associations après tout. »